L'implosion de Nidaâ Tounes a provoqué une grande redistribution des cartes sur la scène politique. Ce séisme qui frappé le parti sorti vainqueur des dernières joutes électorales a non seulement permis au mouvement islamiste Ennahdha de redevenir la première force de l'hémicycle du Bardo mais aussi apporté de l'eau au moulin de deux jeunes loups qui incarnent la relève générationnelle face à l'octogénéraire Béji Caïd Essebsi: l'ancien chef du gouvernement Mehdi Jomâa et Mohsen Marzouk, l'ex-directeur de campagne de l'actuel président de la République. Si le premier se contente pour l'heure de préparer le lancement d'un think tank ayant pour mission d'élaborer des alternatives économiques, sociales et culturelles, le second semble être un homme pressé. Au lendemain même de sa brutale éviction du poste de secrétaire général de Nidaâ Tounes à la suite d'un putsch mené par Hafedh Caïd Essebsi, le propre fils du président, ce quinquagénaire a annoncé la création d'un nouveau parti qui a pour noyau dur ses camarades démissionnaires de Nidaa et les membres du nouveau bloc parlementaire «Al-Horra». Une consultation nationale autour de ce nouveau parti qui se fixe pour objectif de rester fidèle aux engagements originels de Nidaa Tounes a été menée tambour battant dans les régions. Dans le même temps, des pourparlers ont été engagés avec des personnalités nationales, dont l'ancien ministre Mondher Zenaïdi et l'ancien gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Mustapha Kamel Nabli. Le brillant orateur qui avait milité au sein de l'Union générale des étudiants tunisiens (UGET) dans les années 80 ne cache pas son projet de récupérer l'âme de Nidaâ Tounes en profitant du désenchantement des bases de ce parti qui se sentent flouées par la participation des islamistes d'Ennahdha au gouvernement de Habib Essid. Il tente, en somme, de rééditer l'exploit de Béji Caïd Essebsi qui avait réussi à créer en moins de deux ans à bâtir une grande formation qui a remporté les élections législatives et présidentielle de 2014 en capitalisant sur le rejet épidermique du projet sociétal du mouvement Ennahdha par une bonne partie des Tunisiens. «On devient pas bourguibiste du jour au lendemain» Selon plusieurs observateurs avertis, le pari de Mohsen Marzouk semble très hypothétique d'autant plus que son initiateur cumule les handicaps. L'ancien conseiller spécial de Béji Caïd Essebsi en charge des affaires politiques s'est d'abord auto-attribué une identité qui n'est pas réellement la sienne. «Mohsen Marzouk se revendique aujourd'hui de la mouvance bourguibiste alors qu'il était l'un des leaders du courant des patriotes démocrates (Watad, extrême gauche). En 1987, il avait été même arrêté avec feu Chokri Belaïd et enrôlé de force au service militaire. Les deux hommes ont passé plus d'un an dans la caserne de Rjim Maâtoug, un camp de travail forcé en plein désert», fait remarquer un vieux bourguibiste. Et d'ajouter : « Celui qui orne désormais son bureau du portrait du leader Bourguiba est en flagrant délit de mensonge caractérisé. On ne devient pas bourguibiste du jour au lendemain». Selon le journaliste Omar S'habou, un des fondateurs de Nidaâ Tounes, Mohsen Marzouk qui dénonce aujourd'hui haut et fort la trahison de la promesse de barrer la route à un retour d'Ennahdha au pouvoir faites aux 1,7 million d'électeurs ayant accordé leurs voix à Béji Caïd Essebsi en décembre 2014 est lui-même «l'un des architectes de l'alliance contre-nature entre Nidaâ Tounes et le mouvement islamiste». Absence d'expérience au sein de l'appareil de l'Etat Dans un entretien accordé le 29 janvier à Mosaïque FM, l'homme a d'ailleurs affirmé qu'il pourrait gouverner avec Ennahdha à l'issue des prochaines élections, provoquant une volée de bois vert au sein de son parti naissant. «Mohsen Marzouk a déclaré qu'il accepte de gouverner avec Ennahdha si les résultats des élections seront les mêmes que ceux de 2014. Du coup, plusieurs adhérents au nouveau projet ont considéré que cette position nous ramène à celle de Nidaa Tounes, et qui a été rejetée par les électeurs et par la majorité de l'opinion publique nationale», avait alors réagi Tahar Ben Hassine, qui se présente comme étant le «bailleur de fonds » de la nouvelle formation en cours de constitution par les dissidents de Nidaâ Tounes. Autre handicap qui pourrait contrarier les ambitions de l'ancien militant de l'UGET : il n'a jamais occupé des fonctions aussi minimes soit-elles au sein de l'appareil de l'Etat. Son image auprès de l'opinion publique est celle d'un homme de parti bagarreur et non pas celle d'un gouvernant. Après avoir renoncé à ses idées de gauche au début des années 90, Mohsen Marzouk a en effet rejoint El Taller, une ONG internationale fondée par Nelson Mandela et spécialisée dans le renforcement des sociétés civiles. En 2002, il intègre Freedom House, une ONG créée en 1941 et financée par le gouvernement américain, l'Union européenne et des groupes privés, dont la Fondation Soros. Devenu de directeur régional de Freedom House pour la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord), l'activiste s'est installé en 2008 à Doha, où il contribua à la création de la Fondation arabe pour la démocratie présidée par Cheïkha Moza, l'épouse de l'émir du Qatar, avant de rentrer en Tunisie immédiatement après la fuite de Ben Ali.