Pour son premier recueil de poésie, Tounès Thabet prend la passion révolutionnaire à bras-le-corps et fait naître des corolles d'émotions. Réunissant une quarantaine de poèmes, cette première oeuvre égrène des mots comme des "chapelets en partage" et tisse le verbe d'ardeur et d'amertume... Avec des mots simples, des images limpides et un don inné pour la scansion des vers, Tounès Thabet écrit une poésie qu'on lirait volontiers à voix haute, pour en scander les subtilités, en goûter la texture et en chanter la joie toujours feutrée. Scander les vers, psalmodier l'espoir Avec "J'ai tissé l'espérance d'épines et de fils de soie", cette auteure entre dans le monde de la poésie de langue française par la grande porte et place son premier recueil sous le signe de la révolution tunisienne. Dès les premiers poèmes, le style de Thabet révèle son penchant à marteler les mots, à multiplier les signifiants pour embrasser une même réalité. Comme une psalmodie, "nos défaillances, nos tragédies, nos colères muettes, nos rêves avortés" irriguent les poèmes de ce recueil qui, entre violence retenue et espoirs-horizons, parvient à dire un peu de nous tous. Face au pays qui "crie, saigne et pleure", les mots du poète deviennent remède à la douleur et, surtout, invitation à une salutaire catharsis loin du " crépitement des mots étouffés" dans la "sérénité des chants soufis". Au coeur de la révolte et des espoirs d'un être singulier se trouve l'épicentre de ce recueil qui jaillit comme un cri, comme une source et un ressourcement, comme une anabase aussi. Tounès Thabet invoque la liberté, les buveurs de lune, le brouillard et l'errance. Elle navigue entre délivrance et barbarie, cherchant l'empreinte des mots dans la danse des jours. Il est vrai que son premier livre a tout d'un serment singulier, d'un chant de toutes les aubes, cherchant un étroit chemin entre silence et tintamarre, contre vents et marées. Les poèmes se succèdent, fruit d'une inspiration binaire, d'un temps suspendu entre la douleur et la renaissance. Tout se passe dans cet entre-deux subreptice, dans cet instant furtif qui structure par son caractère fugace la poésie de Tounès Thabet. Face à l'écoulement du temps et la tragédie du monde, la poésie devient l'ultime anabase, le recours qui permet de dire, chuchoter, tempêter ou implorer, apostropher ou gémir. Tour à tour, les mots déchainent les passions subreptices et les élans fulminants. Si elle chante la liberté avec un lancinant "Je t'ai cherché liberté dans le regard des humbles insoumis", la voix de Thabet dit aussi le 14 janvier avec un "Dites-leur" qui enfle comme lorsque "la saison de la colère gronde" pour s'amplifier jusqu'à " déterrer la lumière". La poésie de Thabet est ainsi. Elle enfle comme l'orage, murmure comme la tendresse et s'emporte comme l'ire des peuples. Ces textes poétiques écrits de décembre 2010 à novembre 2015 épousent les contours de la révolution, ses creux, ses hésitations ou ses embellies. Clairement, l'auteure se réfère à des moments douloureux et lumineux mais toujours en les parant d'éternité, en recherchant leur reflet dans notre âme collective. Car la poésie n'est pas affaire de tribuns mais devoir de subtilité et travail sur le verbe. Et c'est bien le cas avec Tounès Thabet qui tourne le dos à une certaine poésie militante pour nous inviter à cheminer dans une forêt de symboles qui, tous, nous interpellent. Ainsi, la révolution devient "semence d'allégresse". "espérance à tresser" ou "souffle d'un pays à naitre". Alliage des mots, beauté transcendante Comme le souligne un poème, l'auteure "habite un poème à rêver" même s'il est "transpercé par ses rimes". Au-delà, la poésie de Tounès Thabet est bien cernée par l'incipit du recueil qui prend la valeur d'un manifeste et surtout esquisse un projet poétique: "J'aimerais que ma plume danse avec l'azur, que ma main emprunte les dédales ocres du désert, puise son encre dans les eaux pures du premier déluge". Car, tout est Beauté d'abord; cette beauté que les poètes savent effleurer par l'alliage de leurs mots, cette beauté qui transcende les vécus pour installer une sereine permanence. En ce sens, ce bref recueil de Tounès Thabet pourrait être placé sous la double légitimité des symbolistes et des surréalistes, à la confluence féconde des mots de René Char et des fulgurances d'Arthur Rimbaud. Ciselés, dépouillés de leurs scories, habillés de lumière, les mots de Tounès Thabet disent bien cet écart fuyant entre les épines et les fils de soie. Bruts et austères, ardents et resplendissants, ils disent aussi toutes les contradictions de l'espérance, cette aspiration qui peut devenir illusion, cette conviction qu'obère l'attente, cet espoir fou et confiant qui, toujours, finit par revenir et s'imposer...