Qu'il soit libre ou versifié, allongé ou condensé, lyrique ou engagé, le poème nous interpelle, nous touche, nous émeut. Nous le savourons dans toutes ses matérialisations, dans toutes ses formes, dans tous ses styles. En effet, la poésie est l'art d'exprimer d'une manière élevée les choses de la vie, du quotidien, c'est l'art de « réaliser la représentation de l'irreprésentable, voire l'invisible, toucher l'impalpable » comme le dit Novalis. Cet automne, Sidi Bou Saïd sera au rendez-vous de la poésie mondiale avec la présence de grands poètes internationaux. Nous avons rencontré le directeur du festival Moez Majed pour nous parler de cet événement grandiose. Interview. Le Temps : Présentez aux lecteurs votre événement culturel. Moez Majed : Il s'agit de la 4ème édition du Festival international de la poésie à Sidi Bou Saïd. Dans les sessions précédentes, la manifestation était un peu modeste. Elle se déroulait en une seule soirée, animée par trois ou quatre poètes étrangers en plus de quelques poètes tunisiens et musiciens. Cette formule a duré bien entendu trois ans, depuis 2013, vu que nous n'avions pas beaucoup de moyens. Cependant, le public était assez nombreux. Alors, cette année, nous avons organisé un festival qui dure trois jours. A partir d'aujourd'hui jusqu'au dimanche 6 novembre. Pendant ce festival, il y a des lectures toutes les heures jusqu'à minuit, éparpillées dans différents endroits à Sidi Bou Saïd, avec un rythme de deux ou trois lectures simultanées. Le nombre des poètes participants est 20 poètes, dont 13 sont étrangers. Quels sont les pays participants ? L'Espagne, la France, l'Italie, Malte, la Slovénie, la Grèce, la Turquie, le Syrie, le Liban, l'Algérie, la Palestine, l'Arabie saoudite et bien évidemment la Tunisie. Le festival est-il réservé uniquement à la poésie ? Oui ! Mais la poésie sera accompagnée de musique. Nous avons l'ambition d'innover la manière de déclamer la poésie, en la fusionnant avec des arts vivants, comme le théâtre et la musique. Il y aura une lecture par le poète lui-même dans sa langue dans laquelle il écrit, ensuite une lecture par un comédien professionnel de la traduction soit arabe ou française. Pendant ces lectures, un soliste dialoguera avec le poème, il ne s'agira pas d'un simple accompagnement mais plutôt d'une totale fusion avec le texte. Nous avons sélectionné 5 solistes professionnels avec des instruments comme le luth, le violoncelle, la guitare... cette méthode de communiquer de la poésie, échappe en quelque sorte de son format classique, c'est-à-dire le cliché d'une soirée poétique avec un poète devant un pupitre. On aspire à marier la poésie avec la prestation d'un comédien professionnel et d'un soliste, et à faire sortir la poésie de son carcan habituel, C'est au Palais d'Ennejma Ezzahra comme les autres éditions ? Cette année, nous avons évité les espaces clos, nous avons choisi tout simplement la rue. On se rend compte que, quand la poésie est délivrée de cette manière-là, elle touche des gens qui ne sont pas forcément un public de poésie. On veut impliquer aussi un public profane qui pourrait être sensibilisé à la poésie. Tous les styles et formes poétiques seront-ils convoités ou uniquement de la poésie lyrique? Non, c'est très varié ! D'ailleurs nous avons invité des poètes qui sont inscrits dans la mouvance anti-lyrique postmoderne. Comme il y a des poètes lyriques contemporains. Il y aura des poètes engagés politiquement. En fait, et c'est la poésie contemporaine. Nous ne sommes pas coincés sur un genre particulier, on est ouvert sur tous les styles d'écriture. Avez-vous suivi des critères de sélection ? Pour être honnête, en poésie, c'est le coup de cœur qui est le critère. Personnellement, je ne crois pas à la grille d'évaluation universitaire. En tant que directeur du festival, j'ai invité des poètes d'après la qualité de leurs écrits. J'assume ma responsabilité en tant que directeur de festival. Le poète Moez Majed sera-t-il présent ? En réalité, c'est un peu délicat ! Le fait d'organiser et de se mettre en scène, est un peu suspect. Je n'apprécie pas cela, mais certains de mes amis m'ont proposé de lire quelques poèmes. Comme nous avons pendant le festival des sections hors programme, qui ne font pas partie de section officielle. Juste pour le plaisir ou d'une manière anecdotique. Je ne suis pas là pour mettre en valeur ce que j'écris. Pourquoi le choix de Sidi Bou Saïd comme cadre de la manifestation ? Sidi Bou Saïd est un village magnifique et c'est bien de présenter la poésie dans un endroit beau et onirique. C'est un endroit propice à la poésie et on peut attirer le public pour venir y assister. Ensuite, et ce qui est important, c'est le rôle de la municipalité de Sidi Bou Saïd qui porte largement le projet et le finance. Y a-t-il d'autres ressources de subvention ? Oui. Il y a le Ministère de la culture qui nous a donné de l'argent, le ministère du tourisme qui nous a offert le logement, la fédération des agences de voyage qui nous a octroyé quelques billets d'avion pour les poètes. Cette année, quelques ambassades ont joué la carte de culture, à l'instar de l'Ambassade du Liban, l'ambassade d'Italie, l'Ambassade d'Espagne, et Turkich –Airlines. Chacune a payé le billet d'avion pour son poète. Par contre, et c'est étonnant, certaines ambassades ont jugé inutiles de payer les billets des poètes de leurs pays. L'idée d'apprécier de la poésie déclamée dans une langue étrangère est importante. Quel message voulez-vous lancer ? Même si la langue n'est pas forcément accessible, on savoure la poésie. Le poète écrit dans sa langue maternelle ou sa langue d'adoption, donc il y a quelque chose qui passe ; il y a l'émotion, la sensibilité, la musicalité... ceci dit, nous avons aussi traduit les textes pour accéder au sens. Il y a une première lecture par le poète lui-même, après une lecture par un comédien du texte traduit en arabe ou en français. Parfois, un poète qui lit mal sa poésie peut influer sur la réception de sa poésie. Justement non seulement l'expressivité est importante, mais aussi la scénographie. Tout à fait, nous avons impliqué un scénographe, Hacen Moadhen qui organise la scène, le timing, la lumière, le son, l'ordre du passage des poèmes en fonction du contenu du texte. Il y a un effort de scénographie qui donne beaucoup de profondeur à ce genre de lecture. Y a-t-il un thème particulier qui unit tous ces poètes ? On a des poètes qui écrivent avec des sensibilités différentes, on offre un choix au public deux ou trois lectures simultanées chaque deux heures, et finalement chacun va choisir la poésie qu'il veut écouter, un poète maltais, ou français, ou tunisien, ou italien. Les poètes invités, de langue et de culture différentes, vont résider au village de Sidi Bou Saïd, ceci permettra des discussions littéraires dans les cafés, de nouvelles amitiés qui vont se nouer. Je crois que c'est important autant que la lecture elle-même. D'habitude, on célèbre la poésie au printemps, cette année c'est en plein automne. L'automne est une belle saison en Tunisie. Dans le circuit de la poésie mondiale que je connais assez bien, il y a généralement, un « embouteillage » de festivals au printemps et en été. Les grands poètes ne sont pas toujours disponibles. Donc, c'est plus facile de les avoir en automne qu'au printemps. Il y a parmi les invités deux ou trois noms qui font partie de la crème de la poésie mondiale, et d'autres qui ne sont pas moins importants.