Solidarité et capitalisation Historiquement, on peut distinguer deux modèles de base qui ont influencé l'évolution des régimes de retraite : le modèle « Bismarckien » fondé sur l'assurance et le modèle « Beveridgien » fondé sur la solidarité. Chaque pays s'est inspiré de ces deux concepts afin d'établir son propre système de retraite, en tenant compte de ses propres caractéristiques économiques, démographiques, sociales, culturelles... Deux principaux modes de financement sont alors retenus à savoir la répartition qui assure la solidarité entre les générations et la capitalisation qui se base sur l'accumulation de l'épargne individuelle en vue de la retraite. Dans un régime de retraite par répartition, les cotisations reçues financent les pensions versées au cours de la même période, ce qui crée une solidarité entre les actifs et les retraités et entre les jeunes et les anciennes générations. Par ailleurs, dans un régime de retraite par capitalisation, les actifs épargnent en vue de leur retraite. Leurs cotisations font l'objet de placements financiers ou immobiliers. La capitalisation peut être effectuée dans un cadre individuel ou collectif au sein d'une entreprise et l'assureur s'engage définitivement à verser un capital ou une rente à la retraite. Ce système offre la possibilité aux individus de se constituer un supplément de retraite qui s'ajoute à la retraite versée éventuellement par les régimes de base et complémentaires. Les systèmes par répartition et par capitalisation ne sont pas concurrents mais complémentaires. La capitalisation est en général le complément aux régimes de répartition qui sont des régimes de base dans la plupart des pays. Il est important dans l'intérêt des retraités et des entreprises cotisantes de respecter la logique de chacun des deux systèmes : une logique de mutualisation et de transferts de revenus entre les générations pour les régimes de répartition et une logique d'épargne volontaire individuelle et de performance financière pour les régimes par capitalisation. Tout comme les autres branches de la sécurité sociale, les régimes de retraite ont connu depuis leur naissance des mutations dues aux changements économiques, démographiques et sociaux. Ces mutations ont donné lieu à des régimes caractérisés par des modes de financement et de gestion de prestations diversifiés. L'évaluation de ces régimes a permis aux pays de faire leurs choix concernant les systèmes de retraite adoptés. Cette évaluation se fait selon un certain nombre de critères dont principalement le rendement et la pérennité de l'équilibre financier que peut assurer le régime tout en tenant compte de l'interaction existante entre les régimes et les évolutions démographiques et économiques. Une refonte totale de nos caisses sociales ? Les systèmes de retraite tunisiens constituent, incontestablement, l'un des acquis sociaux de la Tunisie dont profitent plusieurs catégories de Tunisiens. Ces régimes offrent une assurance vieillesse, invalidité et survie aux retraités et travailleurs invalides et aux personnes à leur charge pour les protéger contre la perte de revenus, causée par la retraite et contre le risque de longévité, ainsi que pour assurer la redistribution de pensions aux travailleurs à faibles revenus . Ces régimes relèvent du principe bismarckien basé sur la répartition, en ce sens que ces régimes sont obligatoires, professionnels et contributifs. Néanmoins, ils font face à des difficultés financières qui ne cessent d'accroître d'année en année, les rendant moins viables en l'état. Aussi, le pays est confronté à un vieillissement démographique et à une conjoncture économique difficile qui provoquent une transformation profonde dans les équilibres budgétaires des caisses de retraite et qui nécessitent des réformes tangibles des politiques de la sécurité sociale. En 2015, les déficits financiers de la CNRPS et de la CNSS ont atteint respectivement (436,812 MD) et (439,2 MD) avec des prévisions d'accroissement rapide dans les prochaines années. Cet effondrement de la situation financière est dû au déséquilibre croissant entre les prestations versées aux pensionnés (dépenses) et les cotisations des actifs (recettes) depuis plusieurs années, qui va de pair avec la dégradation du ratio démographique (nombre d'actifs cotisants/ retraité). Au regard de cette fragilité financière, les autorités publiques sont conscientes que le système de retraite actuel ne répond plus aux impératifs de l'efficacité. Il devient alors nécessaire d'examiner le processus de réformes éventuelles afin de protéger les générations actuelles et futures des retraités contre les risques des déséquilibres financiers. Jusqu'à ce jour, les pouvoirs publics n'ont usé que du levier de relèvement des cotisations, négligeant ainsi les autres leviers, à savoir le recul de l'âge de départ à la retraite, la modification des taux d'intérêt, du salaire de référence et de l'indexation des pensions. Il serait alors judicieux de mettre en place, aujourd'hui, un système flexible, selon la spécificité des besoins de chaque catégorie socio-professionnelle, permettant de garantir aux retraités un taux de remplacement décent et de répondre au mieux aux besoins de la population vieillissante tout en se conformant aux contraintes de l'économie. Cependant, afin de réussir et assurer la stabilité financière des régimes de retraite tunisiens, les réformes paramétriques doivent être obligatoirement accompagnées par des réformes institutionnelles. En effet, au-delà du bien-fondé de ces réformes, les réformes paramétriques présentent plusieurs limites, dans le contexte tunisien, qui tendent à en restreindre la portée et, en particulier, l'insuffisante prise en compte de la dimension structurelle de l'économie. Afin d'améliorer les régimes de pensions, il serait important de favoriser l'emploi dans le secteur formel et d'augmenter la dimension de la population couverte, ce qui permettra d'élargir l'assiette de cotisations et augmentera ainsi les ressources financières du système de retraite fonctionnant par répartition. Cet objectif nécessite non seulement le développement de secteurs d'activités porteurs mais aussi le renforcement du système financier tunisien. Dans ce contexte, l'introduction et le développement des régimes de retraite privés, par capitalisation, gérés par des assureurs-vie semble devenir une alternative importante à prendre en considération par les pouvoirs publics. L'épargne retraite privée ? L'assurance vie permet une protection sociale à l'assuré grâce à la souscription d'une assurance retraite complémentaire par capitalisation. Cette épargne de long terme permet à l'individu de compléter ses revenus et de faire face aux risques liés au vieillissement et à l'incertitude quant à la pérennité des systèmes de retraite de base par répartition. En effet, face à cette incertitude qui plane autour de l'avenir de la retraite par répartition, l'épargne retraite privée par capitalisation va permettre aux actifs tunisiens de constituer un complément à leur retraite de base et de se protéger contre la perte de revenu lors du départ à la retraite. Cette épargne retraite par capitalisation contribue fortement à la bonne santé socio-économique d'un pays, en procurant une sécurité financière à l'assuré et en finançant l'économie à travers l'investissement des cotisations qu'elle collecte. Ces contrats, qui n'ont pas encore acquis une grande tradition dans notre pays, commencent à attirer l'attention des assureurs locaux et à acquérir de plus en plus de part de marché. La part de l'assurance- vie dans le marché tunisien est en amélioration continue mais reste encore faible (17,98% en 2015 contre 17,6% en 2014 ; 16,6% en 2013 ; 16,4% en 2012 et moins de 9,8% en 2006). En 2015, le montant des primes émises de la branche assurance- vie s'élève à 301,867 MD contre 270,194 MD en 2014 et 221,310 MD en 2013, soit une augmentation de 11,72% en 2015. D'autre part, le résultat technique a affiché une progression en 2015 par rapport à 2014. Il est excédentaire de 51,384 MD en 2015 contre 27,287 MD en 2014 et représente 17,02% des primes émises en 2015. Toutefois, le chiffre d'affaires du marché de l'assurance-vie est constitué dans sa majeure partie des primes générées par les assurances temporaires décès exigées généralement par les organismes financiers prêteurs .Par conséquent, les assurances en cas de vie et la capitalisation (les assurances longues) demeurent modestes, malgré la diversité des produits proposés par les assureurs et les nombreux avantages fiscaux qu'ils présentent. Les autorités publiques sont censées jouer un rôle important dans le développement de ces produits. La défiscalisation doit être aussi accompagnée par la mise en place de règles de prudence et par la régulation des investissements des assurances. La générosité du système de retraite tunisien On peut définir l'épargne comme étant un flux issu du revenu que produisent sur une période donnée, des agents économiques qui peuvent être des ménages, des entreprises ou des administrations publiques. L'épargne et les comportements patrimoniaux conditionnent une large partie du financement de l'économie et sont tributaires de différents déterminants et motifs macroéconomiques et microéconomiques liés aux ressources, préférences et anticipations. De ce fait, le niveau d'épargne se voit affecté par les évolutions permanentes des marchés financiers, les innovations financières en produits d'épargne et aussi le vieillissement de la population. Les comportements d'épargne des ménages tunisiens ont considérablement changé depuis quelques années. En effet, la conjoncture économique difficile, la générosité des systèmes de retraite publics, la forte inflation des prix et l'assouplissement des conditions d'octroi des crédits à la consommation ont provoqué une détérioration du niveau d'épargne en faveur d'une augmentation du niveau de consommation et d'endettement des ménages. Au-delà des enjeux de stabilité financière, la compréhension des spécificités économiques et sociales des entreprises et des ménages tunisiens, accompagnée de réformes économiques d'envergure, permettront de modifier les stratégies d'allocation des revenus et de relancer l'épargne en Tunisie. La diversification et la défiscalisation des produits d'épargne, la réforme des régimes de pension et le développement du secteur de l'assurance-vie sont autant de mesures à adopter afin de relancer l'épargne et limiter le recours à l'endettement extérieur.