Après une première vague du Covid-19 relativement légère sur le plan sanitaire, mais catastrophique sur le plan économique vu qu'il y a eu un confinement général, vient maintenant une deuxième vague, qui est légèrement clémente sur le plan économique mais catastrophique sur le plan sanitaire. Entre ces deux phases, les patrons ont subi un impact économique important, en l'absence d'aides et de soutien immédiat et adéquat de l'Etat. L'addition pour ces patrons est très lourde. Entre fermetures, et difficultés financières : Durant la phase pré-covid, l'économie tunisienne n'était pas en beaux jours. La situation était caractérisée par une instabilité politique, des disparités régionales, une économie atone. La pandémie n'a fait qu'aggraver une situation déjà grave, que ce soit pour l'Etat et ses finances publiques, ou pour l'activité économique du secteur privé. Selon un récent rapport de la BERD, l'économie tunisienne devrait se contracter de -8% durant cette année, pour une reprise de 4% en 2021. Dans un niveau micro, un récent rapport de la PNUD affirme que les secteurs d'activité les plus impactés par la crise sont les industries non manufacturières (-29% sur le chiffre d'affaires), le tourisme (-23% sur le chiffre d'affaires), le transport (-19,6% sur le chiffre d'affaires) et le textile (-17,7% sur le chiffre d'affaires). Les autres secteurs d'activité sont également impactés mais dans une moindre mesure. Le secteur des industries agro-alimentaires, ou encore celui de l'enseignement, sont parmi les secteurs les moins impactés. Cette situation a engendré la fermeture de plusieurs entreprises en Tunisie et nous avons aujourd'hui 35% des PME qui sont menacées de faillite. * 50% des unités hôtelières ont mis la clef sous la porte, Sur les neuf premiers mois de l'année, les recettes touristiques ont chuté de 60 % par rapport à la même période de l'année écoulée, soit l'équivalent de 2,6 milliards de dinars, selon les données de la Banque Centrale de Tunisie. Le secteur touristique a généré 1,75 milliard de dinars à fin septembre dernier, contre 4,36 milliards de dinars une année auparavant. * 40% des entreprises d'artisanat ont déjà mis la clef sous la porte, * Selon le président de la FTAV, 98% des agences de voyage exerçant en Tunisie, sont menacées de faillite, d'ici fin octobre 2020, si les mesures d'appui financier prises par le gouvernement en faveur du secteur, depuis le début de la crise sanitaire du Covid-19, ne sont pas mises en exécution. Le secteur regroupe plus de 1300 agences de voyages et près de 20 mille emplois directs et indirects. 28% des agents du secteur ont été déjà licenciés. * 60% des cafés ont vu leur chiffre d'affaires baisser entre 40 et 50% * 30% des restaurants, toute catégorie confondue ont fermé ou changé d'activité. Tous les secteurs d'activités ont été touchés, et les chefs d'entreprises souffrent énormément pour subvenir aux besoins de leurs familles et assurer la pérennité de leur activité. En effet, les patrons ont des charges fixes (loyer, électricité, SONEDE, charges sociales,..) qu'il faut couvrir, alors que l'activité économique tourne au ralenti ou elle est en stand-by. Entre un confinement général et un confinement partiel, les patrons préfèrent, dans la majeure partie des cas, fermer, que payer des salaires et des charges fixes, sans une réelle contrepartie. Un moral en berne : Le moral des patrons en Tunisie est en berne. Selon la confession de certains, ils pensent soit à changer de vocation ou à investir dans des secteurs plus sûrs tels que la spéculation immobilière, ou les placements bancaires. Un chef d'entreprise totalement exportatrice de textile et habillement, et qui employait jusqu'à Mars 2020 plus de 70 personnes, a fermé son unité et il a ouvert une superette de produits alimentaires qui emploie actuellement 2 personnes seulement. Selon lui, au moins l'alimentaire ne risque pas de chuter, et ceci peut lui assurer un minimum de survie. L'addition du Covid-19 est selon lui trop salée. Un autre chef d'entreprise œuvrant dans le secteur du bâtiment, que nous avons contacté, a affirmé qu'outres les charges financières de sa banque ainsi que les charges fixes de son administration, il n'arrive pas à trouver la main d'œuvre nécessaire pour terminer ses chantiers. Pour l'avenir, son carnet de commande est vide, et la visibilité est très floue. Les chiffres des enquêtes menées ses derniers temps par plusieurs instituts et organismes confirment bien le moral des patrons et la situation des entreprises en Tunisie. En effet, selon une récente enquête réalisée par l'IACE et l'APII, 40% des entreprises du secteur des services expriment une baisse de leur CA contre 30% des entreprises industrielles et ce suite à la première vague. 80% des entreprises sondées ont repris leurs activités, dont 4% viennent de reprendre l'activité en mois de septembre. 20% des entreprises sont encore en arrêt d'activité. 38% des entreprises industrielles qui n'ont pas repris leurs activités sont incertaines de la date de reprise contre 28% qui estiment que leur reprise serait dans moins de 6 mois et 13% leur reprise serait dans plus de 6 mois. Sur un autre plan 65 % des entreprises estiment une baisse au niveau de leur chiffre d'affaire dans le cas d'une deuxième vague et 71% des industriels affirment qu'ils ne sont pas préparés à la deuxième vague. La manifestation de cette situation chaotique pour les patrons, est la baisse de l'investissement. En effet, selon les derniers chiffres officiels, le nombre des projets d'investissement a baissé de 21,6% sur la période des 8 premiers mois de l'année 2020. Autres chiffres et autres enquêtes qui confirment le malaise des patrons tunisiens, viennent du côté de IFC. Selon les conclusions d'une récente enquête, le risque de fermeture définitive menace jusqu'à 54,3% des entreprises enquêtées. Sur le plan du niveau d'activité, 78,2% des entreprises ont vu leur cashflow régresser, 70,1% ont vu les demandes baisser et 69,8% ont enregistré une baisse du nombre d'heures de travail. Peu, ou pas de marge de manœuvre pour le gouvernement : Depuis le déclenchement de la crise sanitaire au mois de Mars, le gouvernement n'a pas cessé de faire des annonces d'aides et de soutien au profit des entreprises. Le gouvernement Fakhfakh avait annoncé un plan de sauvetage de 2500 millions de dinars. Force est de constater que toutes ces aides n'ont pas vu le jour. En effet, selon l'enquête IFC, 10% des entreprises enquêtées ont déclaré avoir pu bénéficier des mesures gouvernementales d'appui durant la période de crise. Les patrons se sentent délaissés et laissés à leur sort. Un industriel nous a affirmé « je ne compte plus sur l'Etat pour m'aider ou me soutenir, car je sais les difficultés financières qu'il a et les procédures administratives longues qu'il met en place, alors que la survie de mon entreprise nécessite une perfusion d'urgence ». Avec des budgets 2020 et 2021 nécessitant un financement complémentaire de 30 milliards de dinars, la marge de manœuvre du gouvernement est très limitée et même inexistante. Les patrons des entreprises en Tunisie sont obligés de faire des sacrifices importants, que ce soit au niveau des frais de fonctionnement, le licenciement du personnel, la réduction des heures de travail, réduction de salaires, rééchelonnement de dettes,...autant d'acrobaties à faire pour essayer de sauver « les meubles ». Selon l'enquête publiée par CONNECT (Miqyes) avec le PNUD, 72,6% des responsables de PME ont manifesté le souhait de bénéficier de reports d'échéances fiscales et sociales, de baisses d'impôts et d'accès à la trésorerie. Mais ce souhait ne semble pas avoir un répondant auprès des instances gouvernementales. Une mauvaise gestion de la crise au plan économique peut coûter un effritement du tissu économique du pays, et une désindustrialisation précipitée, dont le rattrapage serait très difficile dans les prochaines semaines. Les patrons délaissés par le patronat : Face à la souffrance des patrons tunisiens, le syndicat patronal à savoir principalement l'UTICA, est presque aux abonnés absents. Il n'est pas très actif sur le plan des politiques gouvernementales pour imposer sa vision des mesures à prendre ou proposer les orientations nécessaires. L'UTICA n'est même pas actif pour la mobilisation de lignes de crédits ou d'aides internationales au profit des PME tunisiennes. On n'a surtout pas vu de mesures de soutien ou d'assistance pour les entreprises afin d'adopter et d'appliquer les protocoles sanitaires pour réduire la contagion et assurer le bon fonctionnement des entreprises. L'immobilisme de l'UTICA dénote d'une impuissance face à cette crise sans précédent, mais aussi dénote du poids de cette centrale dans l'échiquier des institutions en Tunisie. Les patrons affirment que le gouvernement est sous l'emprise de l'UGTT, et que leurs représentants ne pèsent pas dans les décisions prises. En effet, la loi des finances pour 2021, n'apporte rien aux entreprises en difficultés, et a été préparée sans l'avis de la centrale patronale. Les patrons, ont laissé et laisseront beaucoup de plumes suite à cette crise sans précédent, le plus dur c'est qu'ils n'ont qu'à se remettre à dieu.