La gauche radicale le qualifie de renégat, d'opportuniste, de traître, Nidaa Tounes, au temps de sa splendeur, l'a toujours présenté comme un élément déstabilisateur, magouilleur à volonté en dépit de ses accointances avec feu Béji Caid Essebssi et Ennahdha le regarde toujours avec suspicion et certains rancuniers à Mont-Plaisir n'hésitent pas à l'affubler du titre d'éradicateur et de gauchiste déguisé. Il s'agit de Mustapha Ben Ahmed, vieux routier de la cause syndicale, un esprit engagé et combatif, non sans humeur sur lui-même et les situations traversées chaque jour dans l'enceinte du Bardo, une personnalité joviale au parler franc et direct, au physique rond et au caractère fort, un politique à la peau blanchie par trop de veilles jusqu'au petit matin, partisan, dans sa jeunesse, de la révolution culturelle maoîste et de la théorie des trois mondes, imprégné des ouvrages de Karl Marx, d'Engels, de Lénine, de Rosa Luxembourg, de Karl Liebknecht, de Mao-Tsé-Toung, des situationnistes et de Gramchi, actuellement déniaisé de toutes les illusions idéologiques, arpenteur des abîmes, apôtre du compromis, toujours fidèle à Youssef Chahed en dépit des déboires électoraux du parti, président du bloc parlementaire de Tahya Tounes au sein de l'ARP, ancien syndicaliste durant les années de braise et émetteur des idées de justice sociale et de bonne gouvernance depuis 2011. Un parcours exceptionnel ....Qui est loin de s'arrêter là. L'ancrage de la démocratie et du pluralisme en Tunisie étant sa grande cause. Une position peu enviable, mais cruciale par les temps qui courent. « De partout, on le guette, on l'observe, on vient recueillir ses augures, disséquer ses silences et ses confidences », nous dit un pote de Mustapha Ben Ahmed, pour qui, son copain, homme affable, très apprécié des médias, fidèle en amitié et bon vivant, féru d'histoire et de cinéma depuis son adhésion à 15 ans au ciné-club de Carthage, adepte du corps à corps politique dans les chaudes ambiances de la Place Mohamed Ali, un autodidacte distingué, prolixe, décontracté, batailleur, volontiers blagueur, connu pour son franc-parler, dit-il, n'a rien perdu de son talent pour l'intempestif, a toujours refusé de replonger dans le charivari polémique, a gardé sa capacité d'indignation face aux obscurantistes de tout bords, s'est toujours engagé dans les projets politiques fédérateurs tout en s'opposant aux lobbyistes organisés, combattu farouchement la corruption, appelé à dépasser les querelles de chapelle, de corps, de galons, mis en garde les partis politiques modernistes contre les tentatives de noyautage et d'infiltration des groupes de pression, liés à l'argent sale et aux vestiges de l'ancien régime. « J'ai défendu, depuis 2011, l'idée de la réconciliation nationale, lutté contre l'exclusion, fait partie intégrante des professionnels de la vigilance républicaine, cultivé une farouche volonté de concilier les contraires, de rapprocher les points de vue, sans sectarisme et poussé les uns et les autres à la tolérance et l'acceptation de l'autre », s'insurge M. Mustapha Ben Ahmed, qui s'élève contre le retour des démons de la superstition sous la forme du « conspirationnisme », les calomnies, les invectives, les quolibets et les injures, refuse qu'on le taxe d'ennemi des destouriens et promet d'être vent debout face à un jeu de dupes visant à semer la zizanie au sein des groupes parlementaires et à retribaliser les réseaux de pouvoir. Quand on l'interroge sur ce qui lui sert de boussole politique, Mustapha Ben Ahmed, engagé avec « l'Expert » dans une discussion spontanée à la sortie du palais du Bardo, nous parle du « bon sens » et des idées de liberté exaltées dans les syndicats de base et les milieux des arts. Du ciné-club. Son milieu d'origine. Qui lui a inculqué une conscience politique. Donné un sens à sa vie. Construit sa méditation. Forgé son caractère. Et depuis, notre interlocuteur creuse son sillon. Continuez-vous à saluer l'avènement de la révolution des Jasmins ? Après le triomphe de la révolution du 14 janvier 2011 et le départ précipité du président défunt Zine El Abidine Ben Ali, la Tunisie, grâce à son rôle pionnier et avant-gardiste dans la dynamique révolutionnaire en cours dans la région du Moyen-Orient et d'Afrique du nord, a disposé de l'un des meilleurs outils diplomatiques au monde. Véritable nappe d'intelligence, de réactivité, de mobilisation en temps de crise. Mais, pour faire tourner cette machine, il nous fallait un cap durable, une direction visionnaire, volontariste, j'oserai dire un minimum de consensus politique et d'idéal. Or, la Tunisie est en dépression nerveuse grave depuis dix ans, entretenue quotidiennement par une classe politique inexpérimentée. Le résultat : Les Tunisiens, libéraux ou conservateurs, à gauche comme à droite, se montrent à la fois déprimés et arrogants. La situation actuelle est très difficile. Le blocage est total entre les institutions, issues de la constitution de 2014. A cause des nouvelles élites politiques, hélas tétanisées, n'arrivant pas à décider. Il faut nous rassembler autour d'un dialogue national et faire face aux lacunes constitutionnelles. On parle beaucoup de corruption. A mon avis, la corruption la plus grave n'est pas celle des comptes en banque. Des pots de vin. Des abus de pouvoir. Mais la corruption de la pensée, qui nous empêche de bouger. D'avancer. De réformer. De conquérir les cœurs. Et les esprits. Quel est le positionnement politique actuel de Tahya Tounes ?
Actuellement, je ne peux pas parler de positionnement politique de Tahya Tounes car le parti est en pleine mutation structurelle après le départ de son S.G M. Slim Azzabi et les retombées des dernières élections législatives et présidentielles. C'est ainsi que la direction est assumée à la fois par Youssef Chahed et le bloc parlementaire et nous parvenons à gérer au mieux certains différents liés à l'appréciation de certaines alliances conjoncturelles, d'arbitrages douloureux, de croisements avec des orientations a priori contre nature et des événements judiciaires à répétition dans notre pays. Regrettez-vous votre alliance avec Ennahdha au temps de Youssef Chahed ?
Je récuse le terme « alliance ». C'était plutôt une convergence d'intérêts momentanée entre Tahya Tounes et Ennahdha . A l'époque, Youssef Chahed était sur les pas de Nidaa Tounes et consacrait la ligne politique de feu Béji Caid Essebssi, fondée sur le consensus avec Mont-Plaisir. Cela dit, me concernant, il s'agit d'une expérience, passée par pertes et profits pour les deux partis politiques, qui sont sortis exsangues, affaiblis, désorientés, décrédibilisés auprès de leurs bases après ce bon bout de chemin ensemble dans la gestion des affaires publiques. Lorsqu'on néglige ses repères, ses références culturelles, son soubassement idéologique et sa mobilisation partisane, on paye cash à l'heure des échéances électorales toute ligne politique opportuniste et non conforme aux vœux du socle électoral partisan. Vous avez voté pour Nabil Karoui ou Kais Said ? Ni pour l'un ni pour l'autre. Selon moi, le vote est un engagement dans un projet politique, économique et sociétal et non pas en faveur d'une personne. Je ne me suis reconnu ni dans le discours démagogique et misérabiliste de Nabil Karoui ni dans les diatribes enflammés et passionnés de Kais Said. Comment évaluez-vous l'année présidentielle de Kais Said ?
L'économique et le social sont mon terrain de prédilection. Or, il s'agit d'un champ loin des prérogatives présidentielles, ce qui me pousse à poser un regard mitigé sur l'exercice politique du locataire de Carthage dont on peut retenir quand même une certaine résistance aux tentatives visant sa marginalisation et son isolement de la scène publique. S'il est resté au début de son mandat fermé sur lui-même, réfractaire à toute ouverture sur un potentiel d'alliés politiques de poids, je remarque, à l'ombre de la récente crise avec la Kasbah, des pas significatifs envers des forces centristes à même de jouer un rôle de déblocage dans l'impasse vécue actuellement au niveau de l'exécutif. Selon moi, en nommant à la Kasbah Elyes Fakfakh, débouté pour soupçon d'abus de pouvoir et de corruption puis Hichem Méchichi, qui a vite retourné casaque et rejeté son autorité, Kais said a étalé sa naïveté et son inexpérience sur la scène publique, pris le risque de lancer des arbitrages dont il se serait bien passé et hypothéqué son statut de rassembleur et de président de tous les Tunisiens. Quels sont les issues possibles du blocage institutionnel actuel ? Quoi que.... Je crois qu'entre Kais Said et Hichem Méchichi, ce n'est pas tenable. Car lui, c'est lui, l'autre, c'est l'autre. Désormais, entre eux, il y a un problème personnel. Avec un lourd passif. A un moment, en politique, il y a un trop plein. Cependant, il existe deux alternatives pour dépasser cet imbroglio constitutionnel et dépasser cette querelle à la tête de l'exécutif du pays. Primo, passer outre la nomination des ministres, entachés de rumeurs de corruption. Secundo, l'actuel patron de la kasbah, prenant acte de l'hostilité du président à son égard et à ses alliances politiques, démissionne au nom de l'intérêt supérieur de la Tunisie. Ce qui va appeler immanquablement Kais Said à entamer un dialogue national et à engager des pourparlers avec un large éventail de forces politiques afin de se mettre d'accord sur une personne expérimentée, capable d'apaiser les tensions, de rassurer l'opinion publique et de concilier les institutions de l'Etat. Expliquez-nous cette soudaine vocation littéraire chez vous.
Je suis à mon 2ème roman. Le premier s'intitule « la rencontre de la nuit zéro » où j'évoque la crise existentielle de ma génération devant la chute du mur de Berlin en 1989 et le Waterloo idéologique à la suite de la déconfiture du pacte de Varsovie et le second « le dernier rêve dans une ville qui meurt », dédié aux événements du 14 janvier 2011. Au fait, depuis mon jeune âge, j'ai toujours été habité par l'écriture des romans et des poèmes. Un exercice qui me permet de me ressourcer, de m'élever, de courtiser mon âme, d'interpeller les anges, de retrouver le repos. D'être le narrateur pittoresque des consciences délabrées. De fabriquer un monde de pures volontés. De faire l'inventaire de toute une génération. De perpétuer le rêve. De répondre à certaines attentes fondamentales des humains. De se remettre debout après chaque coup. D'avancer en bonne intelligence avec soi. Propos recueillis par Imededdine Boulaâba