Fidèle compagnon de route de feu Béji Caid Essebssi depuis le lancement de Nidaa Tounes en 2012 et responsable de la logistique financière et de l'organisation du parti jusqu'à ce qu'elle prenne les rênes du ministère du Tourisme et de l'Artisanat en 2016 au sein du gouvernement de Habib Essid, pionnière pour la prise en compte de l'écologie dans l'habitat, l'industrie et l'agro-alimentaire, disposant de l'un des CV les plus beaux de la République, Mme Selma Elloumi, femme d'affaires et de devoir, dont les filières industrielles et les intérêts s'étendent de la Tunisie à l'Europe, à l'Afrique, à l'Amérique latine et aux Etats-Unis d'Amérique, fière et dure avec elle-même, ancienne directrice du cabinet présidentiel au temps de Bajbouj, présidente actuellement du parti « El Amal », prolongement, nous dit-elle, des valeurs libérales nidaistes, a tout connu de la politique. Ou presque. Les honneurs et les succès. Les déceptions et les trahisons. D'ailleurs, dans toutes ses discussions avec ses convives, elle revient toujours sur la vie politique qui « n'est jamais un long fleuve tranquille mais plutôt un torrent bouillonnant ». Insiste-t-elle. « En politique, il faut avoir des plumes de canard. Tout glisse sur elles. Alors... Il importe de tenir bon face à l'adversité.», lui disait souvent son mentor Béji Caid Essebssi. Si certains reprochent à Selma Elloumi ses rares apparitions médiatiques, sa réputation de légitimiste convaincu au temps de la dissidence contre Bajbouj et ses balbutiements dans son entreprise fédératrice de la famille centriste et moderniste après la disparition du Nidaa de la scène publique, elle encaisse en silence la litanie des ces remontrances, passe l'éponge, réaffirme sa stratégie d'offensive permanente dans les épreuves, balaie ces controverses de la main et met l'accent plutôt sur son projet d'alternance politique après avoir rassemblé, précise-t-elle, le plus largement possible les Tunisiennes et les Tunisiens autour d'une plate-forme commune. Bien entendu, la nostalgie de l'ère Bajbouj demeure vivace chez elle. Mais elle assure n'avoir jamais renoncé à servir la Tunisie. Ses valeurs. Ses intérêts. Sa révolution. Sa grandeur. « Je suis toujours dans le présent ou dans le futur. Et toujours loin des slogans. Des pamphlets. Des diatribes. Des idéologies. Des haines. Des diabolisations. Des uns et des autres », nous confie-t-elle dans une conversation amicale avec « L'expert » dans les locaux du parti Amal dans la région du Lac. Féministe, Mme Selma Elloumi ?
Je défendrai toujours la méritocratie. A chaque occasion, à chaque tribune, je me battrai pour qu'une femme, qui a les compétences, ait la place qu'elle mérite dans la vie économique et sociale. Car, aucun poste n'est réservé. Je ne suis pas mécontente d'avoir ouvert des brèches dans le monde si masculin de la politique. Qu'avez-vous appris de Béji Caid Essebssi ?
Après avoir percé dans le monde de l'industrie et de l'agro-alimentaire durant des décennies, maîtrisé le monde de la finance et des affaires, contribué à renforcer l'attractivité du site Tunisie dans son environnement régional et international, je découvre la politique et le sens de l'Etat avec le lancement du Nidaa en 2012 et la proximité de feu Béji Caid Essebssi, qui m'a permis d'apprécier le travail collaboratif partisan, de saisir l'histoire des sensibilités idéologiques du pays, de jeter les ponts avec la société civile, d'aiguiser encore davantage ma curiosité intellectuelle et de refonder mon sens de l'engagement au contact d'éminentes personnalités publiques. Une richesse inouïe. Une véritable saga. Vécue aux côtés d'un homme exceptionnel. Quels étaient vos objectifs en lançant le « Parti Amal ?
C'est le projet d'alternance que nous allons porter pour sortir les Tunisiens de la crise. De la difficulté. De la déprime. De l'impasse politique. Nous voulons donner de l'espoir. Marquer notre différence. Travailler à l'élaboration d'un projet législatif et de gouvernance commune. Disposer d'un programme clair, volontariste. Définir un socle de propositions. Appeler au « devoir de vigilance ». Défendre une République moderne, généreuse, ouverte, exigeante. Invoquer l'audace réformatrice. Présenter des choix clairs. De nouvelles ambitions. Restaurer une nation respectée. Rayonnante. Voilà notre objectif. Mais nous sommes lucides. L'heure est au rassemblement de la famille centriste devant la montée des périls. Des populismes. Du bipolarisme. Des dogmes. Le pari est ardu. C'est le temps de la reconstruction. De l'énergie. De la sérénité. De l'endurance. De la ténacité. Nous avons la pêche. Le moral. Car il y a toujours une lumière au bout de la route. Eh ! Oui...Face au repli sur soi, à l'individualisation des comportements, à la défiance, à la peur, à la délation et à la perte des repères, le lancement du « Parti Amal » réaffirme, plus que jamais, les principes de cohésion, de justice et de solidarité. Que recommande votre programme économique pour sortir de l'ornière ?
Depuis l'avènement du Covid 19, autour de nous, le monde, comme toujours, va comme ci, comme ça. La Tunisie, nous le savons tous, va mal. Les chiffres désastreux du chômage. De l'économie. De l'informel. Des finances publiques. Du déficit de la balance commerciale. Du délitement de nos PME. Sont là. Nous avons mal. Où allons-nous ? Hélas ! De nos jours, la notion de risque et de l'enrichissement à la force du biceps est perçue négativement. C'est ce que l'on voit actuellement lorsqu'il s'agit de faire valider des flux financiers, des projets industriels, des centres commerciaux. Nous sommes enfermés dans le fantasme du risque zéro. De l'égalitarisme. Du misérabilisme. Face aux sombres perspectives qui se dessinent, la Tunisie devrait s'assumer comme une société du risque. Risque entrepreneuriale d'abord, qui est le ressort premier de tout développement économique. Qui dit risque entrepreneuriale dit créativité, invention de nouveaux services, amélioration de ce qui existe, ouverture de nouveaux marchés et donc à terme, création d'emplois et de croissance. J'ai toujours plaidé pour une société entrepreneuriale. Moteur du progrès. La Tunisie, qui ne restera pas une société solidaire que si elle accepte de redevenir une société du risque, a besoin d'avancer. De faire sauter les verrous contre-productifs. D'accélérer la validation de certaines sources de croissance. De réformer l'Etat. L'organisation territoriale. La protection sociale. De changer les habitudes pour dépenser moins. De s'attaquer à l'Etat ventripotent. D'élaborer une feuille de route économique claire. Afin de favoriser les conditions d'un début de reprise. De travailler au retour de la confiance des entrepreneurs et des investisseurs avec une fiscalité adaptée à la concurrence. De trouver un nouveau point d'équilibre où solidarité sociale et risque économique ne sont pas incompatibles. Croyez- vous au rassemblement de la famille centriste ?
« Rassembler toutes les composantes de la mouvance moderniste et démocratique, c'est comme conduire une brouette pleine de grenouilles, elles sautent dans tous les sens », a pour habitude de dire feu Béji Caid Essebssi, qui connaissait bien son sujet. Cela dit, sous peine d'un échec collectif, nous avons besoin de nous concerter, de créer une nouvelle dynamique, de présenter aux Tunisiens une alternative crédible et d'offrir, lors des prochaines échéances électorales, une « valeur refuge » aux électeurs, déboussolés par les divisions et les scissions au sein de la classe politique, toutes tendances confondues. Comment évaluez-vous le rendement du locataire de Carthage ?
Dans le grand match entre la réalité et Kais Said, la réalité n'en finit pas de marquer des points contre le président. Provoquant chez l'opinion publique une avalanche de déceptions inéluctables. C'est que les attentes des Tunisiens sont d'ordre économique et social. Et le locataire de Carthage, empêtré dans les slogans et les quolibets, dénué d'emprise sur le réel en raison de ses prérogatives limitées, en est venu à s'exprimer dans le vide et à évoluer dans un univers, qui n'est pas loin de relever de la schizophrénie. La crise économique et sanitaire est là, bien sûr, mais son positionnement politique et ses apparitions publiques nous y enfoncent un peu plus. S'il m'est permis de lui adresser un reproche principal, c'est cette confiance aveugle en lui et en son destin. Il se voit en messie. Missionné. Passionné. Persuadé de son infaillibilité. Il lui faudra prendre conscience au plus vite de l'imminence d'un dialogue national pour apaiser les tensions, redonner de l'espoir, conforter la transition démocratique, renouer avec les instances financières mondiales, commencer un nouveau cycle de concertations et replacer la Tunisie dans l'échiquier régional et international. Afin que le peuple cesse de broyer du noir et de continuer à croire aux vertus de l'alternance et du pacte social. Le parti Amal est-il prêt pour les échéances municipales de 2023 ?
Il s'agit pour nous d'un rendez-vous crucial. D'un défi d'une grande audace. Notre travail d'implantation dans les différentes régions nous permet d'afficher une posture optimiste et conquérante. Nous croyons énormément au pouvoir local car la proximité est à la source de l'acte démocratique, de la créativité, de l'inventivité, de l'intégration socio-économique, de l'engagement associatif, de la vocation autogestionnaire et des attentes des citoyens. Le parti Amal, dont l'objectif primordial est de renforcer ses effectifs, de retrousser ses manches, de proposer aux Tunisiens des motifs sérieux d'espérer au lieu de leur fournir des motifs supplémentaires de désespérer, de s'ouvrir à tous les talents et à toutes les sensibilités qui ont fait naguère la force du Nidaa, compte appeler, à cette occasion électorale, à la mobilisation afin de bâtir un modèle municipal unitaire, intégratif, écologique et culturel. C'est ainsi que nous avons gagné en 2014. Dans l'unité de base. Des élites. Sans exclusion aucune. Car les élections municipales auront un impact certain sur la politique nationale. Il faut que la famille moderniste soit unie dans cette confrontation pour stopper les élans populistes, destructeurs, reconstituer des digues face aux extrêmes, se projeter dans l'avenir et mener le combat sur les valeurs républicaines. Mon obsession est de convaincre. Nos militants iront voir chacun. Les Tunisiens. Les élus. Les acteurs associatifs. Institutionnels. Sociaux. Politiques. Nous voulons faire infuser notre parole. Il y va de l'avenir de la transition démocratique. Si nous n'y prenons garde à l'éparpillement, je ne donnerai pas cher de notre place dans le dispositif politique des prochaines années et nous irons fatalement vers plus de tension civile extrêmement dure, ce qui est de nature à compromettre encore davantage le développement économique du pays et à isoler notre site sur le plan régional et international. Propos recueillis par Imededdine Boulaâba