Dans un monde qui vit sa crise la plus importante et la plus grave, et où l'environnement économique bouge très vite et les fluctuations sont devenues imprévisibles ; l'entreprise tunisienne est soumise à des contraintes énormes manifestées surtout par le flou dans l'avenir et l'augmentation des incertitudes. C'est à ce niveau qu'intervient la notion de la maîtrise de l'information en tant que facteur décisif pour rester compétitif, et « naviguer » en clair à travers la réduction des incertitudes. L'économie est avant tout basée sur l'information. Le décideur en entreprise doit avoir une bonne base informationnelle pour pouvoir prendre les décisions les plus adéquates et faire prospérer son investissement. Dans cette perception théorique, la pratique nous offre-t elle des signes de satisfactions en Tunisie? L'information économique vulgarisée, utile et détaillée est-elle disponible pour les opérateurs économiques ? De l'autre côté, nos entreprises donnent-elles la vraie valeur de l'information économique ? Cherchent-elles à améliorer leur système d'information interne et externe ? Quel est le rôle des pouvoirs publics dans la stratégie informationnelle au profit de l'entreprise ? C'est à cette panoplie de questions qu'on essayera de répondre.
Quelle information économique pour nos entreprises : L'entreprise d'aujourd'hui vit et se nourrit d'information. Pour ne pas être extrémiste d'information, je dirais même que l'information est la base de l'existence et des performances de l'entreprise. Les sources d'information économique sont multiples et différentes (radio télévision, internet, presse, organes gouvernementaux, publications universitaires, études et recherches…). Face à cette « Amazonie » informationnelle, l'entreprise d'aujourd'hui a besoin d'une nature bien définie d'informations économiques. En effet, pour prendre la bonne décision qui permet à l'entreprise d'être compétitive et surtout d'exporter, le chef d'entreprise tunisienne a besoin d'une information : - Actualisée : c'est-à-dire une information du jour de sa demande et non pas une information historique, même si elle s'avère importante dans certains cas. La vie et l'intérêt portés à une information économique dépendent de sa nouveauté. Sa durée de vie dépend aussi de son secteur (en bourse, l'information économique n'est plus actuelle si elle dépasse les 24 heures). - Une information complète : Si l'entreprise obtient la moitié d'une information économique, sa décision sera influencée et elle ne verra que la moitié de la réalité économique, ou la moitié du problème ou de l'opportunité. - Une information pointue : la spécialisation dans les entreprises et la fragmentation des activités économiques imposent une information très pointue et poussée à ses plus fins détails. Une entreprise de papeterie a besoin de savoir les sources d'approvisionnement du papier blanc, mat, qui a un poids de 5 grammes, de format….et dont la composition est de……Si on donne une information concernant le papier en général à cette entreprise, elle ne lui servira à rien. - Une information simple : La vulgarisation de l'information économique pour nos entreprises leur permet de l'assimiler et assure sa bonne utilisation. Une information économique trop technique avec des variables et des termes ambigus pousse à ne pas chercher à l'utiliser. Une entreprise de plastique n'a pas besoin de savoir la composition chimique et les différentes étapes de découverte d'un produit, mais a surtout besoin de savoir comment se procurer cette nouvelle matière qui peut lui faire gagner de l'argent, le reste peut venir après, si on veut approfondir la recherche. - Une information concise : L'information économique qui peut bénéficier à l'entreprise et au décideur doit être la plus concise possible. Un manager n'a pas le temps de lire toute une étude de 200 pages pour savoir que l'exportation de son produit vers tel pays n'est pas rentable vu qu'il n'a pas d'avantage comparatif. La synthétisation des informations au profit des entreprises est importante, les détails peuvent venir en complément. - Une information fiable : Une information économique mène à prendre des décisions de gestion au sein de l'entreprise, dont la vie peut même en dépendre. C'est pour cette raison que le fournisseur de l'information, en interne (système d'information de l'entreprise) ou en externe doit se baser sur une source fiable ou des calculs scientifiques qui ne laissent aucun doute. La fiabilité de l'information est un élément important pour convaincre le décideur et surtout l'amener à prendre la bonne décision.
Quelle est la nature des informations économiques nécessaires à nos entreprises : La nature d'informations économiques nécessaires à nos entreprises est très diversifiée. La Tunisie s'est engagée depuis des années dans une aventure d'ouverture économique et d'intégration progressive dans le système commercial mondial. Dans ce contexte nos entreprises ont besoin d'information d'ordre : - Technique : ce sont les informations concernant les nouvelles normes internationales, les nouveaux procédés de production, les dernières innovations dans leurs secteurs d'activités, les dernières publications, les nouveaux outils de production,…. - Juridique et réglementaire : les nouvelles lois, les nouveaux documents exigés, les incitations gouvernementales,….. - Financier - Commercial : les nouveaux marchés d'exportation, les nouveaux marchés d'approvisionnements, les goûts et les tendances des consommateurs dans les marchés d'exportation, les nouvelles techniques de commercialisation, les salons et foires, les conférences et manifestations internationales,…..Il s'agit aussi d'avoir des informations sur la situation et l'état des fournisseurs et clients. Un exportateur d'huiles d'olives vers la France, a besoin de savoir la situation financière de son client (chiffre d'affaires, crédits obtenus, liquidités, difficultés financières, solvabilité envers d'autres clients) ainsi que son climat social. Une grève peut nuire à la solvabilité du client. - Scientifique et d'innovation, - Concurrentiel : chaque chef d'entreprise a besoin d'informations sur ces concurrents, sans tomber dans l'espionnage ou dans l'illégalité. Ces informations concernent surtout la part de marché, les clients, et les produits les plus vendus. - Stratégique : l'information économique stratégique est l'information vitale à la survie et à la continuité de l'entreprise. Elle peut être en relation avec un changement radical dans les tendances (le passage de l'analogique au numérique) ou dans les normes internationales (la norme REACH pour les produits chimiques) ou dans la stabilité du pays d'exportation (début de conflit armé en côte d'ivoire, troubles au Niger,….). Pour exemple : une société française en PVC avait une part de marché de 10% sur le marché français. Contre toute attente elle fait de grands investissements pour le changement de son procédé de fabrication et éléments chimiques utilisés. Les concurrents croient à un effet de mode ou à une nouvelle stratégie commerciale. Un mois après, la commission européenne impose une nouvelle réglementation concernant les PVC. La part de marché de ladite société grimpe à 55%, puisque ses concurrents sont occupés à modifier les machines et les matières premières. La société a su avoir l'information stratégique adéquate et s'est mise aux normes. C'est ce qui fait la différence entre les entreprises.
La tendance à l'implantation à l'étranger prend son chemin en Tunisie, avec des initiatives très encourageantes de la part de grands groupes tunisiens. Cette tendance impose de présenter un autre genre d'informations pour ces entreprises. Il s'agit d'informations d'ordre politique, sur le pays d'investissement : le climat politique, les forces politiques, les personnes influentes, les conflits politiques, ….Ces informations sont capitales dans la décision d'investir ou de maintien d'un investissement dans un pays. Ce qui vient d'être présenté est le côté « besoin en informations » pour l'entreprise du point de vue de la qualité et de la nature de l'information économique. Que se passe t-il du côté de l'offre d'information économique ?
L'offre de l'information économique pour l'entreprise tunisienne : L'offre d'informations économiques nous mène à plusieurs interrogations : - Qui offre l'information économique pour nos entreprises ? - Cette offre reçoit-elle une demande qui lui correspond ? - Y a-t-il des difficultés pour accéder à cette offre ?
Plusieurs sources offrent l'information économique au profit de nos entreprises. Il existe des sources en interne de l'entreprise, c'est-à-dire les différents départements qui s'intègrent dans un système d'information. La taille petite ou moyenne de nos entreprises n'encourage pas à faire un diagnostic continu du système d'information de l'entreprise, la notion est même ambiguë chez certains chefs d'entreprise. Toutes les informations économiques transitent par le « boss ». La communication entre les départements ou la tenue de briefing quotidien ou hebdomadaire, n'est pas coutume dans nos entreprises, sauf dans certains groupes (Groupe Poulina Holding). Cette situation veut que le financier ne soit pas en contact avec le magasinier qui n'est pas en contact avec l'atelier de production, d'où de possibles pertes financières, qui peuvent être évitées. En externe, plusieurs sources d'information économiques se présentent : sources gouvernementales, presse, cabinets privés, médias,……Il est légitime de poser la question sur la quantité et la qualité d'informations économiques délivrées par ces sources. En effet, les sources externes de nos entreprises tunisiennes : - Ne consacrent pas une part importante à l'information économique, - Délivrent une information brute, sans analyse ni vulgarisation - L'accès à l'information n'est pas toujours facile, - L'information économique ne s'intègre pas dans la stratégie de développement de l'entreprise,
De l'autre côté, avons-nous une entreprise curieuse ? Difficile de l'affirmer. Nos entreprises subissent l'information économique mais ne cherchent pas à l'avoir. Chacun sait l'importance de s'informer sans vraiment l'intégrer dans une démarche stratégique au sein de son fonctionnement. Parfois, il suffit de faire une simple recherche sur internet pour savoir que le litre d'huile d'olive se vend à 4 euros en France ou que le pantalon Jean fabriqué en Tunisie se vend 40 euros en Italie, ou que tel fournisseur ou client a des difficultés financières. L'utilisation des nouveaux outils de communication par nos entreprises n'est assez répandue, ni optimisée. Plusieurs logiciels, libres ou payant, peuvent assurer une veille continue autour de certains thèmes au profit d'une entreprise.
Le premier souci des entreprises doit être la gestion du risque concurrentiel et de marché. Pour arriver à cet objectif il est nécessaire d'optimiser la collecte et la valorisation de l'information, protéger son patrimoine immatériel, mettre en œuvre des stratégies d'influence, et ce, dans le respect des lois et des règles. Un esprit de veille stratégique et concurrentielle doit s'instaurer pour que l'entreprise se garantisse d'être détentrice des informations indispensables à sa survie. Elle en a besoin pour innover, se développer, conserver ses compétences clés, se distinguer au sein de son marché mais aussi évoluer en accord avec la culture de son environnement et dans le respect de sa réglementation. Dans un autre répertoire, l'entreprise doit maîtriser la gestion de son image, à travers le suivi des informations qui sont véhiculées sur son activité sur le net et dans les médias. La maîtrise de l'information au sein de l'entreprise, signifie aussi la protection des informations sensibles relatives aux procédés de fabrication, aux brevets, aux stratégies commerciales, ….. En développant une stratégie de production ou une stratégie marketing, l'entreprise doit aussi développer une stratégie informationnelle. Le secteur public en Tunisie doit contribuer activement à cette stratégie, car il y va de la compétitivité de nos entreprises. La réflexion doit être poussée autour de ce sujet pour définir le rôle de l'administration publique et des médias dans l'approvisionnement en informations économiques pour l'entreprise. Une synergie est nécessaire pour préserver un rythme de croissance important et une compétitivité soutenue.
L'actuelle crise économique doit s'accompagner d'une véritable prise de conscience de la part des dirigeants d'entreprises, pouvoirs publics, organismes professionnels et milieux universitaires autour de la nécessité de promouvoir et de mettre en œuvre une démarche d'intelligence économique au sein de toutes les organisations. Ceci doit même être érigé en stratégie ou politique nationale.