Alors que les troupes russes commencent à peine à bouger pour se retirer de leur positions autour du port géorgien stratégique de Poti et de la localité voisine de Senaki, conformément à un accord dont la conclusion a été facilitée par une médiation française, la tension semble être à son comble dans la sphère d'influence Sud des Etats-Unies, précisément dans l'Amérique latine. D'aucuns tentent déjà l'exagération en utilisant le concept « guerre ». Vite tempéré toutefois : « guerre d'ambassadeurs »… Dans la ligne de mire, l'attitude des diplomates américains, accusés d'encourager les troubles et d'alimenter le séparatisme en Bolivie et au Venezuela. L'escalade politique qui règne et se propage actuellement est la plus forte depuis nombreuses années. Elle menace l'image historiquement bien ancrée d'un empire nord-américain infaillible. Le club des contestataires s'élargit d'une vitesse remarquable. D'abord, deux puissances régionales, à savoir le Brésil et l'Argentine, ont explicitement et officiellement manifesté leur solidarité avec le président bolivien Evo Morales, appelant au respect de l'intégrité territoriale de la Bolivie. L'Honduras a, à son tour, rejoint la liste, qui semble d'ailleurs loin d'être close. Le président de ce pays, Manuel Zelaya, est allé jusqu'à refuser de recevoir les lettres d'accréditation du nouvel ambassadeur américain dans un autre geste de solidarité avec Morales.
A voir la périphérie de la Russie déstabilisée suite à la dernière crise géorgienne, le jeu de symétrie ne semble point être aléatoire. La décision du président vénézuelien Hugo Chavez, juste au début de l'apaisement de la situation en Géorgie, d'entamer des manœuvres militaires conjointes avec les Russes en fait parfaitement preuve. C'était bien avant la crise des ambassadeurs.
Sur un autre plan, l'omniprésente question énergétique n'est pas écartée, encore cette fois, du conflit. En effet, parmi les pays impliqués dans les dernières tensions, il y a ceux qui assurent une part assez importante des approvisionnements des U.S.A. Les menaces de suspendre les fournitures de brut ont ainsi marqué le discours de Chavez dès les premiers moments. Les provinces riches en réserves d'hydrocarbures ainsi que les gazoducs ont également été ciblés par les opposants de Morales en Bolivie. Faut-il rappeler ici que le même jeu de symétrie a fait que l'énergie -précisément les approvisionnements de l'Union européenne- soit un élément de premier rang dans le récent conflit caucasien.
La symétrie a toutefois des limites et une nuance paraît, à cet égard, inéluctable. Washington a une influence certaine dans le Caucase depuis la fin de la guerre froide. Moscou, pour sa part, ne jouit pas certainement d'une influence semblable du côté opposé. Ce fait est néanmoins compensé par la montée de sentiments anti-américains dans plusieurs pays de l'Amérique latine durant les deux mandats de l'Administration Bush; et qui font que ces mêmes pays cherchent, par leur propres diligence et initiative, et en faisant recours à tous les moyens possibles, à encombrer leur voisin superpuissant et à réduire ses ingérences. Un certain équilibre se trouve ainsi rétabli. Et les cartes sont redistribuées.
Dans ce casse-tête…latin, la conclusion la plus importante devrait être tirée par Washington : une alliance d'ennemis, si « modestes » qu'ils soient, pourrait être autant, voire plus, nuisible que la rivalité d'une autre superpuissance symétrique. La prochaine administration, quelque soit sa couleur, aura certes du pain sur la planche, notamment en ce qui regarde la politique étrangère des States. Car, à vrai dire, l'héritage de l'Administration Bush est on ne peut plus lourd !