Les charges déductibles sont un sujet constamment à l'ordre du jour. Elles sont au cœur d'une politique fiscale servant à la fois l'impératif budgétaire et le souci d'éviter l'effet inhibitif de l'impôt. En effet, dans un contexte particulièrement concurrentiel, l'entreprise est appelée à maîtriser parfaitement ses charges pour pouvoir les contrôler. Un grand fiscaliste (Maurice COZIAN) avait affirmé dans l'une de ses études que le droit fiscal est amoral. Mais quant il s'agit de la déduction des charges, le droit fiscal devient volontiers moraliste. Ce constat a pourtant été rudement mis à l'épreuve par les intervenants au colloque organisé par le Centre d'Etudes Fiscales de la Faculté de Droit de Sfax en collaboration avec l'UTICA (Union Régionale de Sfax) et l'Institut des Hautes Etudes Commerciales de Sfax. Le rapport introductif présenté par M. Sami KRAIM (maître-assistant à La Faculté de droit de Sfax) a mis l'accent sur l'impact du régime fiscal des charges déductibles sur la gestion de l'entreprise. Les règles de déductibilité des charges ne sont pas, dans l'état actuel, particulièrement favorables à la compétitivité, la productivité et la capacité d'innover d'autant plus que l'ouverture nous impose la prise en compte des évolutions en fiscalité comparée. L'optimisation de la déductibilité des charges devient comme l'a habilement souligné M. Ridha KTATA (expert-comptable) une préoccupation de l'entreprise qui va essayer dés lors de « faire une combinaison de choix permettant de minimiser la charge d'impôt, des choix que le législateur offre et pour lesquels le chef d'entreprise doit être suffisamment éclairé pour profiter des opportunités allégeant la charge fiscale en rentabilisant son affaire». Ce souci d'optimisation se heurte, toutefois, à la différence de traitement des charges déductibles entre droit fiscal et droit comptable. Les efforts accomplis par la législation tunisienne ces dernières années demandent à être consolidés. L'évolution du régime de l'amortissement, retracée par l'expert-comptable M. Faeïz CHOYAKH a mis l'accent sur l'importance de « l'excellente réforme de 2008au du régime de l'amortissement à travers l'alignement de la législation fiscale au régime comptable en la matière ». Pour les provisions, le texte initial du CIR a fait preuve d'une rigueur extrême en matière de provisions en prévoyant uniquement les provisions pour créances douteuses. Les interventions législatives ultérieures ont apporté des améliorations considérables au régime des provisions, en créant d'autres catégories et en améliorant les conditions de déductibilité des provisions déjà existantes. Toutefois, et comme l'a démontré Mme Salma AKROUT (enseignante à la Faculté de droit de Sfax) ces améliorations, dont les dernières en date sont celles apportées par la loi de finances 2010, s'apparentent à des retouches, dissimulant parfois des remises en cause de certains progrès antérieurs. M. Mohamed KOSSENTINI (maitre-assistant à la Faculté de droit de Sfax) s'est penché sur le régime des frais financiers et l'impact de la fiscalité sur les moyens de financement de l'entreprise. Dans un contexte de crise, la fiscalité des revenus et des charges financières devient un paramètre de survie de l'entreprise. Le traitement fiscal du coût de l'endettement de l'entreprise pourrait être décisif quant aux choix d'expansion ou de restructuration de l'entreprise. Les différentes contradictions ou divergences entre fiscalité et comptabilité, malsaines pour l'entreprise, traduisent en fait la divergence entre les objectifs poursuivis par les deux disciplines. Pourtant, une certaine harmonie devrait être recherchée entre ce couple désunis. Comme le dit Platon « il ne faut pas les dresser l'un sans l'autre », ou l'un contre l'autre « mais les conduire également comme un couple de chevaux, attelé à timon ». Même la fiscalité des ménages souffre de la rigueur législative à l'admission de la déductibilité des charges. Le droit fiscal ne favorise guère la charité, a précisé Mme Neïla CHAABANE (maitre assistante à la Faculté des sciences juridiques de Tunis). Les abattements pour charges de famille au profit du chef de la famille demeurent dérisoires et ne tiennent pas compte du coût des charges familiales et des capacités contributives réelles. En réalité, derrière les insuffisances du régime fiscal des charges déductibles, se profile une méfiance excessive du législateur tunisien justifiée par des considérations financières. Les finances publiques sont soumises à des contraintes aggravées par la crise dont l'impact négatif sur les recettes fiscales s'est fait sentir au cours de l'exercice précédent. Certes, sur le plan des principes, le fisc n'a pas à s'immiscer dans la gestion fiscale des entreprises. La réalité est cependant moins simple. Avec la théorie de l'acte anormal de gestion, de l'abus de droit et de la simulation, l'administration fiscale peut être amenée à apporter un jugement de valeur sur la qualité de la gestion. Le contribuable est, dans bien des cas tenté de frauder à travers les charges. Le juge serait amené par conséquence à effectuer des arbitrages, souvent difficiles, entre un contribuable proclamant son droit à la déductibilité des charges et une administration soucieuse de défendre les intérêts du trésor contre un contribuable présumé fraudeur. L'évolution contrastée de la jurisprudence tunisienne, soulignée par Mme Sawssen JAMMOUSSI (enseignante à l'IHEC de Sfax) en la matière, illustre les difficultés rencontrées par le juge à appréhender les réalités fiscales et économiques. La complexité et la contradiction ne constituent pas toutefois une particularité du droit fiscal tunisien. L'étude comparée à travers l'exposé donné par M. Bernard PLAGNET (professeur émérite à l'Université de Toulouse et grand ami de la Faculté de droit de Sfax) prouve que les difficultés et les problèmes sont à peu près les mêmes en France et en Tunisie. L'éclairage comparé nous a rappelé que les imperfections de notre système fiscal sont pratiquement partagées par tous les pays fiscalisés. Dans son rapport de synthèse, le Professeur Néji BACCOUCHE (directeur du Centre d'Etudes Fiscales) a mis l'accent sur les enjeux politiques, économiques et juridiques des charges déductibles qui dépassent le cadre de la technique et la froideur des chiffres. Il a insisté sur la qualification des charges pour être déductibles, leur évaluation et leur utilisation par le la législation fiscale comparée. Il a mis l'accent sur les progrès réalisés par la législation en matière de déductibilité des charges même s'il reste beaucoup à faire pour rendre notre système fiscal compétitif. Les charges déductibles sont devenues le support de la politique d'incitation à l'investissement. Les Etats agissent sur les charges pour inciter les investisseurs car, ce qui compte pour les financiers, ce n'est pas tellement les taux, mais plutôt l'assiette de l'impôt. Les législations se disputent sur le terrain de l'assiette et auquel cas, ils ne sont pas accusés de concurrence fiscale dommageable. Mais l'instrumentalisation des charges, conduit à la complexité du système fiscal. C'est le revers de la médaille.