Etant un peu comme la réforme des retraites, la réforme de la gouvernance économique de l'Union européenne était difficile à avaler, mais incontournable. La crise de la dette qui a fait trembler les gouvernements a énormément démontré l'échec du système de contrôle européen tout entier contenu dans le pacte de stabilité : surveillance insuffisante des budgets nationaux, de l'inflation et de la dette, publique comme privée, toute l'attention étant portée sur les déficits publics ; incapacité des gouvernements à respecter les règles du pacte, et de la Commission à les faire appliquer. Le résultat est connu : sous le parapluie protecteur de l'euro, les Etats les moins compétitifs se sont laissés aller au laxisme budgétaire et à l'endettement dans une totale impunité jusqu'à ce que la crise financière les rattrape… En mars dernier, la réforme de la gouvernance économique a été imposée par l'Allemagne depuis sa signature au bas du chèque de 110 milliards d'euro octroyé à la Grèce alors en déconfiture. Certes, la France pourra revendiquer la paternité de ce concept. Depuis toujours, elle a vanté les mérites d'un gouvernement économique de la zone euro sans jamais parvenir à convaincre l'Allemagne rétive à l'idée d'une possible mainmise des gouvernements sur la Banque centrale européenne. Mais la crise est passée par là, la Grèce a été à deux doigts de faire faillite, l'euro a chancelé et l'Allemagne s'est convertie. Les débats sur la gouvernance ont alors pris dans l'esprit de l'Allemagne un tout autre tour. Il ne s'agit plus tant d'asseoir un pouvoir économique face à l'action de la BCE que d'empêcher à l'avenir les dérives qui ont jalonné la courte vie de la monnaie unique. Une série de propositions instaurant de nouveaux instruments de prévention et de sanctions sont sur la table provenant de la Commission européenne et du groupe de travail dirigé par Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen ce qui donne déjà une bonne idée de l'évolution en cours. On devine que l'intégration européenne va faire là, de gré ou de force, un pas de géant. Mais au moins deux questions cruciales restent en suspens. Les questions qui se posent : - Les Etats sont-ils prêts à abandonner leur souveraineté budgétaire au profit de l'Union européenne en gage d'une saine gestion des finances publiques ? - Sont-ils prêts à ériger en règle le geste de solidarité qu'ils ont manifesté en aidant la Grèce et en créant le Fonds de stabilisation financière, en contradiction flagrante avec le pacte de stabilité ? Les réponses à ces interrogations dépendront le futur visage de l'Europe économique. La Commission européenne propose d'élargir considérablement le spectre de la surveillance des politiques économiques et budgétaires des Etats et de durcir les sanctions qui les pénaliseraient en cas de dérapage persistant. Un Etat dont la dette est supérieure au plafond autorisé par le pacte de stabilité (60 %) devrait la réduire de 5 % chaque année. Un effort jugé au passage « considérable » par Paris. En cas de déficit public excessif (supérieur à 3 % du PIB) le gouvernement fautif serait contraint de constituer un dépôt non rémunéré de 0,2 % du PIB. Un dépôt converti en amende si les corrections exigées n'étaient pas réalisées. Les déséquilibres macroéconomiques (déficit des paiements courants, marché immobilier, coûts salariaux) seront repérés et devront être rectifiés sous peine d'une amende annuelle de 0,1 % du PIB. Et pour garantir la bonne application de ces sanctions, la Commission innove. Le vote se fera à la majorité inversée : d'où les mesures s'appliqueront automatiquement sauf si les Etats les refusent à la majorité qualifiée, difficile à réunir. L'avantage du nouveau système est évident : ainsi contraints par ce corset réglementaire, les pays européens géreront leurs finances publiques mieux qu'un père de famille. On comprend dès lors la sympathie de l'Allemagne - et de la BCE -à l'égard de ce projet. De Dublin à Athènes, en passant par Paris, les gouvernements ne pourront plus échapper au châtiment comme ils l'ont fait dans le passé. Ce choix n'est pas sans danger : il porte en germe un rejet de l'Europe et de ses « bureaucrates sans légitimité ».L'automatisme des sanctions a ses limites. Les capitales auront tôt fait de les contester. Les capitales auront tôt fait de les contester, ce choix mettrait les souverainetés nationales à rude épreuve au moment où la crise les a ranimées. En faisant porter par l'Europe les contraintes que les gouvernements sont incapables d'assumer, l'euroscepticisme risque de gagner un peu plus de terrain. C'est pourquoi il est utile que les gouvernements gardent, dans une certaine mesure, la main politique dans la conduite de la gouvernance économique, y compris dans le vote des sanctions. Le degré de solidarité qu'il est bon d'introduire dans le fonctionnement de la zone euro, représente le deuxième enjeu de la réforme Le maintien ou la suppression en 2013 du Fonds européen de stabilité destiné à secourir les pays en danger de défaut sur leur dette extérieure est le cœur de ce sujet. Pour l'instant, l'Allemagne s'oppose à sa pérennisation et s'accroche à la règle du « no bail out », d'où le non-renflouement d'un pays en difficulté, pierre angulaire du traité de Maastricht. L'avantage c'est que les gouvernements dûment informés que personne ne viendrait à leur secours en cas de crise grave s'obligeraient d'eux-mêmes à la vertu ou organiseraient leur propre faillite. L'inconvénient c'est que les pays européens renoncent au principe de la solidarité qui a constitué le ciment ultime de la zone euro pendant la crise Cette solidarité a pourtant accru le sentiment de responsabilité des Etats les moins vertueux, à l'exemple de la Grèce. La mise en place des sanctions automatiques et le refus de la solidarité financière feraient de l'Europe un gendarme sans âme que les opinions publiques rejetteraient sans scrupule.