La lâche agression contre Abdelfattah Mourou n'est aucunement un acte isolé, n'en déplaise à ce dernier, mais s'inscrit dans le prolongement de ce syndrome de terrorisme intellectuel, rampant dans la société tunisienne. De tels agissements sont légion à chaque coin de rue. Les nouveaux tuteurs des consciences, détenteurs de la vérité et de la sagesse, ne ratent aucune occasion pour ramener par la force ceux-ci au droit chemin, d'accuser ceux-là de “koffar” voués à l'enfer pour avoir adopté et défendu une tout autre manière de réfléchir et d'agir. Ils franchissent allègrement le pas de la violence pour échanger et dégainent leurs sabres en guise d'arguments. Le bon vieux Abdelfattah Mourou en a fait, à ses dépens, l'expérience et les frais. Au nom de l'Islam (lequel ?), on utilise le bâton pour clouer le bec aux présumés apostats car coupables de penser autrement. L'esprit obscurantiste n'admet ni pensées critiques ni penseurs libres, il ne vit que de ses propres dogmes et de son inculture. Un tel esprit brille beaucoup plus par son ignorance encyclopédique (dixit Jean Jaurès) que par son savoir occulte. Malheureusement, ce genre d'esprits illuminés semble mieux marquer le territoire et la mémoire que les esprits lumineux, prompts à réagir mais toujours mous à agir, à prendre l'initiative et le dessus. Il est vraiment grave de constater que, depuis quelque temps, les attaques prolifèrent contre les hommes d'art ou de lettre sans que le gouvernement ne daigne frapper fort pour punir les coupables, donner l'exemple et renverser la donne. Il semble y aller de main morte, avec le dos de la cuillère, juste pour sacrifier aux convenances. Rien que des effets d'annonce ! Des relents d'impunité derrière un écran de complicité. Et quand bien même la population en soit terrorisée, les razzias salafistes, pourtant sanglantes parfois, sont réduites à leur portion congrue sinon passées sous silence. Nous pouvons multiplier les protestations et les manifestations mais quand le gouvernement n'y mis pas du sien, tout est littérature. Penser différemment relève désormais de l'hérésie, donc passible de représailles physiques, même si l'on se réclame de la même mouvance idéologique. Cet esprit imperméable à la dialectique, réfractaire à la différence, est la pire menace pesant sur le processus de démocratisation du pays. Un esprit formaté, “vacciné” contre le savoir, la culture et le dialogue. Comme disait Goebbels “dès que j'entends le mot culture, je sors mon revolver”. Pourquoi cette animosité envers la connaissance et la culture ? Et de me rappeler la tragique fin d'Antoine Laurent de Lavoisier, père de la chimie moderne, qui, accusé de contre-révolution, traduit au tribunal révolutionnaire en 1794 et condamné à la guillotine, avait demandé à la cour un sursis de quinze jours pour pouvoir mener à terme des expériences importantes pour la science, la France et l'humanité. En réponse, le président du tribunal révolutionnaire, un certain Jean-Baptiste Coffinhal, s'était fendu de la tristement célèbre réplique “La République n'a pas besoin de savants”. Pour paraphraser, serait-on également tenter de dire que ” La République n'a pas besoin de penseurs”, au vu des velléités de plus en plus fréquentes, dans la Tunisie post-révolution, de maltraiter les hommes d'art ou de lettres ou les icones de la culture et de mépriser les arcanes du savoir et les vertus du débat.