La Libye, pays frère, qui constitue la profondeur stratégique et l'alter ego historique, culturel et social de la Tunisie, est aujourd'hui à la croisée des chemins. L'absence de l'Etat, national et central, a laissé le champ libre aux clans, armés ou non. La structure tribale de la Libye se prête à ce genre de fragmentation. Le chaos actuel en est l'expression et le fruit. Durant plus de quarante ans, Kaddafi a agi et réagi en chef de clan et jamais en chef d'Etat. A sa disparition, le pays n'a pu compter sur un édifice étatique fédérateur et non moins protecteur. Et c'est là où se situe tout le drame libyen. Il faut d'abord reconstruire l'Etat. Ce n'est plus un choix mais un impératif de la première urgence. C'est la dynamique de l'histoire qui l'exige. Dans ce cadre, la Tunisie serait en mesure de jouer un rôle important si un consensus dans ce sens était dégagé entre les parties prenantes au conflit. Dans le désordre ambiant, l'idée même d'Etat n'est pas encore à l'ordre du jour. Le pays est divisé entre deux gouvernements, deux parlements et surtout deux alternatives de gouvernance diamétralement opposée. D'une part, la quête d'un pouvoir civil. Et d'autre part, la marche vers le Califat. Et ce, sur fond de rivalité et de course au leadership, dans un climat de sédition et de terreur. La prolifération des milices armées met le pays à genoux, au bord de l'implosion. L'allégeance est accordée beaucoup plus à la confrérie ou à la tribu beaucoup plus qu'au pays lui-même. Toute réflexion cloîtrée n'est point en soi une solution. Les bruits des bottes commencent à se faire entendre, les appels à l'intervention militaire extérieure sont de plus en plus pressants, même à l'intérieur de la Libye. Pour le bloc occidental, ce ne sont guère l'intérêt supérieur de la Libye, sa stabilité et son devenir qui animent leurs stratèges, mais bien ses richesses pétrolières sur lesquelles la crise fratricide, la profusion des armes et des factions et autres cohortes armées pèsent de grands risques et menacent la disponibilité de cette manne. Sans le pétrole, la Libye serait déjà somalisée. Un autre grave problème : Les forces démocrates libyennes n'ont pas d'interlocuteurs sur le terrain. Et il faut être au moins deux parties pour dialoguer et construire un compromis. Malheureusement ces forces ne peuvent négocier un Etat civil et un système de gouvernance moderne avec des vis-à-vis pour qui la Constitution, l'Etat, la république et la démocratie ne sont que des figures d'hérésie et des formes impies incompatibles avec les préceptes de l'Islam. Donc, imperméables à toute idée de négocier l'ordre divin ou ce qu'ils considèrent comme tel. La cassure est inéluctable. La table de négociation n'est qu'un écran de fumée, un euphémisme tordu. Dans de pareilles conditions, le dialogue national et le règlement politique ne sont que des leurres. En revanche, deux options restent envisageables : Démilitarisation de la zone et reconstruction de l'Etat. La Tunisie est appelée à en faire le plaidoyer et à mobiliser la communauté internationale derrière ce double objectif. Le pouvoir tunisien ne peut rester neutre. De quelle neutralité parle-t-on quand la Tunisie est tout aussi menacée ?! Il ne s'agit nullement de s'ingérer dans les affaires internes libyennes mais de se positionner sur la scène internationale en apportant sa force de proposition et de persuasion. Un seul mot d'ordre : Désarmer tout le territoire libyen pour pouvoir créer les conditions de reconstruire l'Etat sur tout le sol libyen. A défaut la Libye ne peut que s'enliser davantage, les perspectives de plus en plus bouchées.