Nous l'avions souligné ici même, Mohamed Abbou fait de la politique politicienne, celle-là qui essaie de ménager la chèvre et le chou en milieu de pouvoir, quitte à broyer les agneaux des autres sphères. Pour ce faire, la recette est simple : un discours d'honnêteté mêlé à un masque de rigueur excessive, épisodiquement amadoué par une esquisse de sourire ou un semblant de bonhomie qui trouve des difficultés à paraître comme tel. En tout cas, Mohamed Abbou nous paraissait dernièrement en situation difficile à gérer entre un gouvernement qui exigeait de lui un minimum de discipline et un parti dont il était devenu le premier responsable, en prévision d'une importante opportunité à saisir en cas de discrédit, de plus en plus attesté, de son président fondateur qui finira peut-être par recueillir beaucoup plus les inconvénients électoraux de la présidence provisoire que ses avantages (mauvaise gestion de son rapport à ses bienfaiteurs d'Ennahdha oblige. A preuve, voyez comment Mustapha Ben Jaâfar s'y applique). Mohamed Abbou, je le répète, fait figure d'un personnage politique soucieux de réussir cette carrière et, pour ce faire, de faire ce qu'il faut, dans la logique du secteur. Mais le dernier conflit entre la présidence et le gouvernement l'a amené à danser sur deux fils pour construire une logique d'argumentation lui évitant de passer pour un « traître » dans son clan, mais n'insultant pas l'avenir de ses rapports avec le maître de la situation actuelle, le Mouvement d'Ennahdha. Qu'importe si certaines contradictions se laissent percevoir, on pourra toujours dire que la presse (surtout écrite souligne aujourd'hui l'ancien ministre sur les ondes d'une radio de la place) déforme les propos des gens et œuvre pour des agendas suspects ! D'ailleurs la conférence de presse de la démission (un nouveau genre, sans doute) n'a pas ajouté grand-chose à ce qui se savait déjà : les précédentes « menaces » de démission de M. Abbou. Il faut dire qu'il s'agit bien de « menaces », pesant cette fois sur la transition démocratique où l'on ne sait plus distinguer ce qui est de l'intérêt de la collectivité et ce qui est de l'ordre du personnel, parfois trop personnel. En effet, en termes d'équipe gouvernementale (même de coalition, car une fois constitué, le gouvernement est équipe et non coalition), il n'y a pas de menace, il y a coordination et décision démocratique. Or M. Abbou, semble-t-il, voulait faire sa propre politique, personnelle, au-delà de toute cohérence gouvernementale. C'est à se demander si une certaine dictature ne naît pas dans les méandres d'un tel comportement. J'avoue avoir prévu un vrai coup politique lors de l'annonce de cette démission déjà dans les coulisses depuis un certain temps. J'ai été déçu que cela se fasse encore au nom des attributions personnelles, comme si toute la politique du CPR n'était que politique personnelle (voir à titre d'exemple le nombre de fois que le ministre de l'Emploi, Abdelwahab Maâtar dit « je », quand il développe une politique censée être celle d'un gouvernement !). A moins que, de fait, l'actuel gouvernement ne soit qu'une mosaïque d'individus, chantant chacun sa Leïla ! Auquel cas, il faudrait le souligner et en montrer les tares. Je croyais donc que M. Abbou allait mettre en évidence le malaise où il a pu se trouver dans le courant des accusations réciproques entre le président et le chef du gouvernement (pour l'instant à l'avantage de ce dernier) et qu'il allait agir en premier responsable de son parti, solidaire de son candidat et président fondateur, au risque même de mettre les points sur les i avec les partenaires. Je croyais donc qu'il allait s'agir d'une démission vraiment politique, sur des principes de partis non d'individus ; malheureusement, on nous a balancé encore une démission d'individu et l'intéressé a même pris soin de souligner de nouveau que tout est pour le mieux dans la troïka. Ajoutons : « sauf entre le chef du gouvernement d'une part et Marzouki et Abbou d'autre part ». Avec la remarque que bientôt ces deux derniers vont peut-être être amenés à se départager ou à se séparer. Mais cela, c'est une autre histoire ! Le plus curieux dans l'histoire, c'est que jeudi dernier on nous disait que Mohamed Abbou était le seul membre du gouvernement à avoir déposé l'état de ses biens. Le faire en même temps que deux ou trois menaces de démission, cela pousse à réfléchir. Cela pousse surtout à actualiser les enjeux des prochaines élections. Le jeu politique tend à devenir intéressant, passionnant même, pourvu qu'il ne s'agisse pas de cette passion qui ne se soucie pas de finir dans le sang ! Dieu préserve la Tunisie ! Mais M. Abbou pensera peut-être que nous sommes de ceux qui pêchent en eaux troubles, cela sonnerait à notre avis comme une nouvelle langue de bois.