« A voir le soin que les conventions sociales paraissent avoir pris d'écarter le mérite de toutes les places où il pourrait être utile à la société; en examinant la ligue des sots contre les gens d'esprit, on croirait voir une conjuration de valets pour écarter les maîtres ». Chamfort, Maximes et pensées Pour s'assurer de l'acception du terme ligue, il conviendrait de joindre au dictionnaire un manuel d'histoire. Très précisément l'histoire de la France au seizième siècle, au cours du triste épisode de la guerre des religions entre catholiques et protestants. Le lecteur risque d'être surpris, et d'une drôle de manière, par les affinités troublantes entre la situation de la France, à cette époque lointaine, et la situation actuelle de la Tunisie. La Ligue se trouve être justement l'une des plus inquiétantes de ces affinités. L'affaire du sieur Imed Dgheïj, et l'étrange remue-ménage qu'elle a suscité, en particulier chez les « députés » (à ma connaissance, les Tunisiens n'ont jamais élu de parlement) de la « majorité » (qui s'obstine à maintenir en vie la Troïka de triste mémoire, officiellement décédée et enterrée) à l'ANC (cette structure encombrante et coûteuse qui n'aurait jamais dû continuer d'exister au-delà de la date fatidique du 23 octobre 2011), est ce qui donne à ce rapprochement son caractère incontournable. Des représentants des « blocs » parlementaires d'Ennahdha (la plus imposante des sectes religieuses du pays, déguisées en partis politiques), du CPR et de Wafa (transfuge du précédent, les deux étant des partis politiques déguisés en sectes), ayant formé le fameux groupe des vingt-cinq députés, se sont permis, au mépris de la loi de la république dont ils sont censés être les garants, de harceler le ministre de l'intérieur après l'arrestation du sinistre hors-la loi, dénommé Imed Dgheïj. En moins de temps qu'il n'en faut pour prononcer son nom, l'ancien homme de main de Imed Trabelsi est devenu une célébrité nationale et, et c'est là le bouquet, la figure de proue de la Révolution Tunisienne ! Madame Meherzia Labidi et le digne Abdellatif Ayadi, pour ne citer que les illustres figures de cette Ligue Sacrée, devraient être, ainsi que leurs acolytes, fort contents d'avoir réalisé l'extraordinaire exploit de métamorphoser un simple agitateur, doublé d'un casseur, en militant ! Mais de quoi ? se demandent des millions de tunisiens. A cette question, les ligueurs de l'ANC s'empressent de répondre que le chef de la filiale des LPR (je précise, pour ceux qui l'ignorent, que la lettre L est l'abréviation de ligue. Il est normal donc que les ligues soient solidaires entre elles) aurait subi, lors de son arrestation, de très graves sévices. Sa mère et son cafetier en étaient les principaux témoins. La parole des agents de l'ordre, qui ont affirmé que tout s'est déroulé dans le respect de la loi, ne compte pas aux yeux de ces austères représentants du « peuple », révulsés par les bévues policières ! Les répercussions de ce coup de poignard, que les ennemis de la Tunisie lui ont assené dans le dos, est que la Révolution (impérativement avec une majuscule) est actuellement sans défense. Pire encore, celui ou ceux qui ont pris l'inconséquente décision de mettre le sieur Dgheïj à l'ombre, auraient facilité la tâche des fossoyeurs en les aidant à décapiter carrément la Révolution. En effet, sans les milices, baptisées pompeusement par leurs fondateurs Ligues de Protection de la Révolution (LPR), et considérées par Rached Gannouchi comme étant les « consciences (remarquez ce pluriel augmentatif) de la Révolution », la Tunisie est confrontée à un danger imminent : justement, celui de tomber entre les mains de la contre-révolution. Voilà pourquoi les dignes représentants de la « légitimité », qui ne se sont jamais offusqués des terribles atteintes aux droits de l'homme lors du règne de la troïka, dont ils faisaient partie (entre autres l'affaire de la chevrotine et ses conséquences tragiques), sont sortis de leur léthargie et ont volé au secours de la nation. En l'absence des LPR, et de leurs chefs zélés, qui se chargeraient de barrer la route aux bataillons des contre-révolutionnaires ? La jeune Révolution Tunisienne a encore besoin des légions des Ravaillac, enrôlés dans ces fameuses LPR, et prêts à tout pour servir la Tunisie et, bien entendu, l'Islam dont la « légitimité » a fait son cheval de bataille et la pièce maîtresse de la démocratie que R. Gannouchi prétend avoir instaurée dans le pays. On comprendrait mieux l'émotion du groupe des vingt-cinq, et tous ceux qui l'ont soutenu, si on réalisait (et malheureusement la majorité des tunisiens n'en est consciente) que la Tunisie est actuellement en guerre (guerre sainte, cela s'entend) contre toutes les manifestations d'impiété et de dissolution, héritées de la dictature. Sans le concours précieux des LPR, les sentinelles de la Révolution, à l'ANC et ailleurs, risquent d'être débordées. Les louables efforts du ministre de l'éducation nationale, soucieux d'afghaniser au plus vite les établissements scolaires, ceux de certains professeurs d'instruction religieuse (entre autres, le fameux Jawadi, l'imam de la mosquée Lakhmi à Sfax), déterminés à hijabiser (néologisme signifiant imposer le hijab) à toute la gente féminine, ceux surtout de l'idéologue et du réformiste R. Gannouchi, le chef de file de l'islamisme, en particulier ses dernières prestations aux USA, dans lesquelles il aurait apporté la preuve décisive que l'Islam n'est pas du tout (alors là pas du tout) en désaccord avec la démocratie. Sa démonstration magistrale a eu un écho tel que la classe politique américaine envisage sérieusement d'abandonner sa démocratie vieillissante au profit de l'islamisme ganouchien, dernier cri de la démocratie ! Pour toutes ces raisons, il est impératif de sauver Ravaillac des griffes de la police et de lui épargner l'humiliation d'être jugé, lui le révolutionnaire en titre, par la contre-révolution. Le Ravaillac tunisien, et ses acolytes, ont encore un boulot monstre à abattre en prévision des prochaines échéances électorales. Sans les Ravaillac, les duc de Guize tunisiens enturbannés ne pourraient pas venir à bout des mécréants réformés. Sans compter que la Tunisie n'a pas eu encore droit à sa Saint-Barthélemy. Les attentats perpétrés jusqu'ici par des Ravaillac sans envergure ne sont rien en comparaison de ce qui reste à faire. Tant que le coriace Henri IV, qui n'arrête pas de plaider en faveur de la tolérance, n'a pas été abattu, la Révolution Tunisienne est exposée aux pires dangers. Selon le fameux groupe des vingt-cinq, porte-parole de la « légitimité révolutionnaire », et de tous les « politiciens » qui l'appuient, R. Gannouchi en tête, la Tunisie aurait beaucoup plus besoin, dans l'état actuel des choses, de Ravaillac (en l'occurrence le dénommé Imed Dgheïj) que d'Henri IV. C'est que, vous l'aurez compris, la démocratie ganouchienne, érigée en dogme, ne s'accommode point de tolérance.