Au-delà de la question fondamentale du modèle de société souhaitable pour la Tunisie de l'après Ben Ali, la question économique constitue un rude chantier pour la prochaine Constituante. Le fonds constitutionnel économique de l'Ancien Régime sera-t-il reconduit, aménagé ou reformulé ? Dans quel sens, et avec quelle intensité ? La question économique n'a pas vraiment été abordée depuis le début de la révolution. Toutes les questions ont été jusque lors axées sur le politique et le social. Le Centre des Etudes Economiques relevant de l'Institut arabe des Chefs d'entreprises a organisé, mercredi 22 juin une étude tournant autour du thème « Constitution et Economie : quels principes constitutionnels économiques » et présentée par Hédi Ben Mrad, professeur de Droit constitutionnel (Voir l'intégralité de l'Etude en version PDF). Dans cette étude, M.Ben Mrad essaye de répondre aux questions posées plus haut. Nous en publions ci-dessous quelques extraits vous pourriez trouver l'étude entière sur le site de WMC en version PDF. De plus en plus, et parallèlement à leur emprise sur le jeu politique, les constitutions modernes tendent à encadrer les règles du jeu économique en traçant ses normes de base, sur fond de consensus social. Base du système juridique, la Constitution est aussi, d'une certaine manière, la base du système économique ..Il est probablement prévisible que les intérêts en jeu, des uns et des autres, pourraient pousser vers des compromis socio-politiques tenant compte des contraintes internes et externes de tous genres. Exception faite, bien évidemment, de la survenance des extrémismes indésirables et, espérons-le, sans emprise sur la culture de la modération, caractéristique du peuple tunisien Il apparait ainsi que la réflexion sur la question constitutionnelle économique pourrait emprunter la voie d'un remodelage du patrimoine constitutionnel tunisien, dans le sens de la Liberté et de la Dignité clamées par le peuple. En dehors d'un hypothétique changement idéologique radical, il est attendu que soit reconduit le schéma de développement libéral, moyennant quelques ajustements de justice sociale En toutes circonstances, la Tunisie de l'après 14 janvier ne sera pas en dehors de la globalisation économique sur fond de libre échange, porté par les Accords de l'OMC et l'Accord de partenariat avec l'Union européenne. Ce dernier, du moins, institue entre les parties contractantes une zone de libre échange emportant « une libéralisation de l'essentiel des échanges commerciaux portant sur les produits originaires des territoires des membres » Pour mémoire, il suffit de rappeler aussi que la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne, qui a la même valeur juridique que les traités, reconnaît dans son article 16 « la liberté d'entreprise ». Si l'ambiance constitutionnelle libérale devrait prévaloir au sein de la Nouvelle Constituante, dans la lignée des deux premières constitutions tunisiennes (celles de 1861 et de 1959), il y a lieu de s'attendre à une continuité constitutionnelle du corpus économique, en concordance avec les exigences de l'économie moderne, mais probablement en discordance avec l'élan social de l'après 14 janvier Rupture politique et débat constitutionnel économique Alexis Jacquemin et Guy Schrans admettent que « la constitution économique précise les conceptions fondamentales de l'Etat à l'égard de la propriété privée, la liberté contractuelle, la liberté du commerce et de l'industrie, la nature et le degré de l'intervention des Pouvoirs publics dans l'économie, le degré d'initiative personnelle des participants au marché et la protection juridique de cette initiative ». De manière plus profonde, selon « la théorie de la constitution économique toute constitution devrait respecter les interdépendances entre un système de libre concurrence, de libertés publiques et d'Etat de droit- plus encore, elle devrait s'investir à protéger cet équilibre précieux contre toute ingérence politique ». Au-delà du droit de propriété, et à un moindre degré du principe de la liberté contractuelle, le principe de la liberté d'entreprendre, différemment formulé, se taille une place de choix dans les textes constitutionnels actuels La rupture politique du 14 janvier relance le débat constitutionnel économique en Tunisie, et il incombe à la prochaine Constituante d'opérer les choix fondamentaux en la matière, en conformité avec l'expression populaire. L'aléa de l'exploration des pistes possibles du futur système économique doit être signalé, mais il n'est pas exclusif d'une probable continuité constitutionnelle. Car, il faut bien le savoir, le changement de régime politique ne rime pas, nécessairement, avec discontinuité constitutionnelle matérielle. Sur ce plan, du moins, un vaste fonds commun entre « la 1ère et la 2ème République » pourrait continuer d'exister, moyennant les aménagements qu'exige la nouvelle configuration politique A puiser dans le répertoire constitutionnel de la Tunisie, et même au-delà, il est plausible de voir se dessiner un consensus économique constitutionnel libéral, teinté d'une coloration sociale probablement plus aigue qu'auparavant. En faveur de cette piste libérale, on pourrait faire valoir l'histoire commerciale et économique de la Tunisie depuis l'époque ancienne. Mais, au niveau du « patrimoine constitutionnel tunisien », il ya des dates marquantes du choix économique libéral de notre pays, dont il serait regrettable de s'en décharger totalement. Deux grands repères historiques sont dignes d'intérêt, nonobstant les anomalies d'application de ce choix économique libéral). A leur lumière, nous tenterons d'explorer la ligne de continuité constitutionnelle, même dans une situation de rupture politique. Si on emprunte une logique de « dédramatisation (sans banalisation) du pouvoir constituant » (C. klein, Théorie et pratique du pouvoir constituant, p.188), l'option constitutionnelle libérale est fortement plausible. Exception faite de certains courants politiques minoritaires, le discours politique dominant de la transition n'est pas anti-libéral, et ne peut pas l'être. Le 14 janvier était bel et bien un discours de dignité, mais aussi de Liberté et de démocratie. Et on voit mal comment l'invocation du libéralisme politique pourrait totalement sacrifier le libéralisme économique, et l'économie de marché. Certainement, des aménagements seront apportés, mais les principes fondateurs méritent d'être explicitement énoncés. En Tunisie, la ressemblance historique est à grand trait, sauf que les parcours sont différents. Si le principe de la liberté du commerce et de l'industrie a été cautionné par le juge administratif, sur fond d'incertitude constitutionnelle, le chemin de la liberté d'entreprendre pourrait, probablement, être tracé par la prochaine Constituante, sous l'il vigilent de la justice constitutionnelle. Sa constitutionnalisation lèvera, définitivement, l'équivoque sur la réalité économique libérale ancestrale de la Tunisie, à la condition bien évidente de son adaptation à l'évolution du contexte national et international. Elle aura, pour effet, d'enrichir notre patrimoine constitutionnel économique, tout en l'inscrivant dans cette action moderne d'appropriation de l'économie par la Constitution. La détermination de la substance économique de la future Constitution tunisienne ne peut plus être que nationale. Elle supporte, nécessairement, le poids de nos engagements internationaux (Union européenne et OMC), dans un cadre de globalisation de plus en plus pesant et contraignant. Les principes économiques d'ordre constitutionnel n'en seront qu'affectés. En Tunisie, et ailleurs, « l'identité économique de l'Etat », ne semble plus pouvoir s'identifier aux seules normes constitutionnelles nationales. Son accommodement à l'air du temps, ne peut que les valoriser aux yeux de leurs destinataires.