Quatorze martyrs parmi les forces de l'ordre -auxquels on ne rend même pas les honneurs qu'ils méritent qui sont pratiquement absents du paysage médiatique-, 25 agents de l'ordre emprisonnés -«sans raisons convaincantes» L'agent de sécurité est-il un citoyen de second degré si cela existe? Conteste Montassar Matri, secrétaire général de l'Union nationale des syndicats des forces de sécurité. Un syndicat pour la police nationale, que l'on tient aujourd'hui à appeler républicaine, aurait pu passer pour une aberration, une «bidaa» à une autre époque. Aujourd'hui les changements opérés dans la Tunisie de l'après 14 janvier touchent au même degré toutes les composantes socioprofessionnelles. «Nous sommes, il est vrai, le premier syndicat de police dans le monde arabe. Nous voulons instaurer de nouvelles traditions syndicales et développer une culture citoyenne. Nos prérogatives, je tiens à le rappeler, sont d'ordre strictement syndical et nous n'interviendrons aucunement dans les questions relevant de l'autorité de tutelle ou de sa sphère de décision. Chaque partie assume son rôle dans le respect de l'autre et sans aucune espèce d'interventionnisme. La création d'un syndicat est non seulement la garante de l'indépendance et la neutralité de la police mais également de la préservation de l'ordre en considérant les valeurs républicaines et en préservant la sécurité de nos concitoyens», explique M. Matri. Le niveau de sécurité a régressé dans le pays en l'absence d'une présence effective, d'après nombreux témoignages, des forces de police, principalement dans les régions intérieures du pays, ce qui est devenu très inquiétant pour les investisseurs et les entrepreneurs locaux, déplaisant et décourageant pour leurs confrères étrangers. Les réactions de la police seraient même «passives» dans un contexte de violence accrue. «Nous voulons fixer des règles de conduite avec les citoyens dans un cadre légal définissant, dans la transparence, la nature des relations que nous devons établir avec nos vis-à-vis, quels qu'ils soient et aussi notre champ d'action. Il faut que l'on comprenne aujourd'hui que sans police citoyenne, sécurisée elle-même par rapport à son statut et à ses prérogatives, il ne peut pas y avoir un climat social rassurant et serein». La police nationale se veut républicaine mais n'est plus prête à accepter d'être la main de l'oppression du régime en place: «Nous refusons d'être instrumentalisés par qui que ce soit. Tout ce que nous devons entreprendre doit se faire dans un cadre légal». Les dépassements qui ont eu lieu auparavant ne doivent plus se renouveler, y compris les malversations et les pratiques corrompues. D'où l'importance tout d'abord de mettre en place une législation pour gérer les rapports des forces de l'ordre avec leur autorité de tutelle et avec les citoyens. «Le règlement intérieur des forces de police vous spolie de toute forme de liberté. Imaginez, pour emmener nos enfants d'un gouvernorat à un autre, nous devons demander une autorisation, pour choisir notre conjoint, pour avoir un passeport et j'en passe. Mais il n'y a pas que le règlement intérieur et le cadre d'intervention qui doivent changer, nos conditions de vie également». Pour M. Matri, le seul moyen d'éviter toute transgression ou violation de la loi ou des droits des autres c'est la mise en place d'un cadre juridique adéquat. «Nous voulons coopérer avec les structures de l'Etat pour veiller à la réforme de l'appareil sécuritaire du pays. Cela comprend bien entendu l'amélioration des conditions matérielles des agents de l'ordre et la mise en place de lois qui les protègent dans le cas d'interventions musclées. Rappelez-vous ce qui s'était passé à Tajerouine, lorsque l'un des nôtres s'est jeté du troisième étage sous la pression de la foule et dans l'impossibilité de réagir. Comment pouvez-vous exiger d'un agent de l'ordre de vous protéger alors que la loi ne l'autorise pas à se protéger lui-même»? La police nationale, qui a subi pendant les premiers mois de la révolution une campagne de dénigrement parfaitement orchestrée et que les médias, à tort ou à raison, ont relayée, se sent aujourd'hui abandonnée: «Je ne dis pas que nous sommes parfaits. Il y a des comportements individuels condamnables, mais il ne faut pas que nous en soyons tous les victimes. L'agent de police est citoyen et patriote. Je ne pense pas qu'il y en ait beaucoup qui peuvent prétendre travailler dans des conditions aussi difficiles que lui, de jour comme de nuit, délaissant sa famille avec un salaire modeste et subir la haine, les insultes et le mépris sans réagir. Nous respectons les citoyens et nous exigeons que l'on nous respecte». Les agressions à l'encontre des agents de l'ordre représentent non seulement un danger pour leurs propres personnes mais pour les citoyens et l'Etat de droit. Car comment l'Etat peut prétendre pouvoir sévir s'il n'est pas capable d'imposer son autorité? Comment peut-on respecter des forces de l'ordre incapables de protéger leurs lieux de travail et leurs troupes? Combien de fois avons-nous assisté depuis les dernières élections à des cas d'incendies dans les postes de police et de la garde nationale et à des actes de dégage à tout-bout-de-champ? «Chaque intervention que nous assurons comporte des risques, si nous ne sommes pas protégés par la loi, nous ne pouvons pas réagir ou agir. Pour le moment, nous faisons des efforts notables, mais nous ne pouvons aller jusqu'au bout car aucun cadre juridique ne nous défend. Vous n'entendrez pas parler d'une grève des forces de l'ordre, parce que nous considérons que la sécurité de nos concitoyens est importante. Mais si nous devons assurer sa défense et celle des entreprises économiques et des biens publics comme il se doit, le cadre légal qui définit nos interventions doit être mis en place au plus tôt. Si on a osé s'attaquer à un poste de police, qu'est-ce qui empêcherait des délinquants de s'attaquer aux usines ou aux personnes?». Il y a quelques jours, le ministre de l'Intérieur a appelé à l'application de la loi, ce qui implique la réactivation de la l'article 4 qui autorise la police à user de force de manière progressive. «Cela reste insuffisant, car qui nous garantit si nous utilisons des bombes lacrymogènes qu'un assaillant n'est pas asthmatique et que s'il lui arrive quelque chose, l'agent de l'ordre ne sera pas emprisonné? Il ne s'agit pas d'un simple télégramme portant instructions, il s'agit d'un cadre juridique détaillé sur toutes les interventions policées». Les forces de l'ordre, fragiles économiquement parlant, doivent bénéficier désormais d'un statut autre, estime Montassar Matri. Il est vrai pas ailleurs que l'on pourrait leur accorder les mêmes avantages que les militaires puisqu'ils ne sont pas très différents les uns des autres ni au niveau de la formation ni pour ce qui est de l'exercice de leurs activités. D'ailleurs, en temps normal, ils sont plus sur le terrain que les militaires. «Je ne voudrais pas que nous nous comparions à nos confrères militaires, mais je voudrais lancer un appel à nos compatriotes: soutenez-nous dans notre quête d'améliorer nos conditions de vie, vous en serez les premiers bénéficiaires et vous nous aiderez à barrer la route devant toute velléité de malversations de personnes mal intentionnées dans notre ordre ou ailleurs». Dans l'attente, il faut que les procès intentés à l'encontre d'agents compromis dans les événements qui ont suivi le 17 décembre 2010 avancent plus rapidement. «Ceux qui ont usé d'armes à feu étaient en service, avaient reçu des ordres, agissaient dans un état d'urgence, de couvre-feu et dans le cadre de l'article 4 qui les autorisait à user de force en cas d'extrême nécessité. Nous ne pouvons croire que les nôtres ont voulu assassiner leurs propres compatriotes de sang froid. Nous espérons que les enquêtes et les investigations dénoueront les fils de ces affaires pesantes et compliquées pour nous tous et que la justice sera rendue sans aucune pression, d'où qu'elle vienne».