Pour une bonne nouvelle, c'en est vraiment une. Le souverain marocain, Mohammed VI, vient d'interdire, à compter du 1er juillet 2014, aux imams de faire de la politique et d'appartenir à une instance politique ou syndicale durant toute la période de l'exercice de leurs fonctions dans les mosquées. Concrètement, en vertu du Dahir (décret royal) publié à cette fin, les imams sont tenus de n'exprimer aucune position politique et syndicale et d'éviter toute action susceptible de constituer une entrave à la pratique des préceptes de l'islam. L'enjeu d'une telle décision est de taille pour deux raisons majeures. La première réside dans le fait que cette décision a été prise au temps d'un gouvernement marocain en exercice issu d'un parti d'obédience islamique, le Parti de la justice et du développement (PJD) qui se dit en plus parti proche des Frères musulmans en Egypte. La seconde consiste en la prise d'une telle décision prise par une monarchie conservatrice stable. Le souhait est qu'elle inspire d'autres monarchies islamiques à faire de même et à mettre fin, ainsi, à leur sous-développement dû en grande partie à cet amalgame entre le religieux et le politique. Déjà, des Parlementaires bahreïnis ont réagi positivement à cette décision et demandé à leur gouvernement de suivre l'exemple marocain. La modernité, c'est la séparation entre le religieux et le politique Pour certains observateurs spécialistes de la mouvance islamique, il s'agit d'une véritable «révolution», «une révolution tranquille» dont les retombées peuvent être de loin plus importantes que celle des pays du Printemps arabe laquelle a dégénéré en violences destructrices, jusque-là, incontrôlables. A ce propos, le poète syrien Adonis, plusieurs fois pressenti pour le prix Nobel de littérature, admet dans son récent recueil d'articles politiques «Printemps arabes. Religion et révolution» que «dans ce qu'on appelle les «révolutions arabes», il manque l'essentiel: la rupture avec l'islam institutionnalisé», avant d'ajouter: «Tant que la rupture ne sera pas établie entre la religion et l'Etat, il n'y aura pas de société arabe libre». De son côté, le penseur tunisien Abdelmajid Charfi estime dans son nouvel essai «Les références de l'islam politique» que l'intégration des mouvements islamistes dans le paysage politique ne peut réussir seulement à travers la neutralité des mosquées mais surtout et essentiellement par le canal d'une révision radicale de leurs politiques actuelles. Pour lui, cette révision suppose l'abandon de ce que les Anglo-saxons appellent l'«apostasisation», c'est-à-dire la tendance fâcheuse à qualifier les autres d'«apostats» et d'«hérétiques» et à prendre conscience que les sociétés ont besoin, aujourd'hui, d'une nouvelle islamisation fondée sur l'innovation, l'interprétation dynamique du message coranique et l'adaptation aux nouvelles exigences de l'époque. Parmi ces nouvelles exigences, il a cité la reconnaissance de l'alternance politique pacifique, du droit à la différence et du pluralisme politique. Ennahdha doit à être à l'écoute de son environnement Ce message semble s'adresser au parti tunisien Ennahdha. Ce mouvement qui, par l'effet de son attachement à la chariaâ, au Califat et à l'islamisation radicale de la Tunisie, a connu un échec cuisant après presque trois ans au pouvoir, mais qui risque, malgré tout, de le retrouver en raison de la débandade de l'opposition. Ennahdha se doit donc de tirer de précieux enseignements de deux événements: l'anéantissement de ses aînés, en l'occurrence les Frères musulmans en Egypte, après la déposition, en juillet 2013, de leur président par l'armée; et la (grande) sagesse du Parti marocain de la Justice et du développement (PJD). Ce parti, en acceptant la dépolitisation des gestionnaires du sacré (imams), a aidé les Marocains à intégrer la lumière de l'Histoire, à prendre un raccourci heureux et à franchir un pas important sur la voie de la véritable modernité et de la sécularisation salutaire (laïcité à l'anglo-saxonne). Le Maroc est désormais engagé dans «un processus par lequel les institutions, les pratiques et croyances religieuses perdent leurs significations sociale», processus qui, empressons-nous de le préciser, n'implique pas nécessairement ni la disparition des institutions religieuses, ni l'arrêt des pratiques religieuses, ni la perte totale de la foi religieuse. C'est pourquoi, les nahdhaouis qui, au temps où ils détenaient tous les pouvoirs, avaient empêché, par tous les moyens, la mise en application du décret 115 (code de la presse), particulièrement de l'article 51 qui prévoit une peine d'emprisonnement «pour toute personne qui incite à la discrimination, à la haine et à la violence, ou prépare des idées fondées sur la ségrégation raciale, l'extrémisme religieux ou sur les conflits régionaux et tribaux», se doivent de se prononcer clairement sur la neutralité effective des mosquées et sur la séparation entre le politique et le religieux. Dans le cas contraire, Ennahdha, qui continue jusqu'à aujourd'hui à blanchir ses imams djihadistes et à les promouvoir du stade de prédicateurs de quartiers en animateurs de télévision (manipulateurs de foule), aura choisi la voie du suicide. Quant à l'accomplissement de cet acte, c'est simplement une question de temps. La religion, un bonheur illusoire Par delà les points de vue des uns et des autres et au-delà de l'anticipation du PJD et des limites des nahdhaouis, il faut reconnaître que le débat sur la séparation entre le religieux et le politique est un débat vieux comme le temps. Si le monde musulman est encore en butte avec cette problématique, cela prouve qu'il est très en retard par rapport aux autres peuples du monde. Ces mêmes peuples qui ont bien compris que la religion est comme la drogue, une illusion, un monde fantastique produit par notre imaginaire, dans lequel l'individu se réfugie pour oublier sa propre misère. Conséquence: la religion mal comprise est donc un poison qui ne s'attaque pas aux causes véritables qui nous font souffrir et qui nous font désirer un remède à nos souffrances. C'est une fausse solution à un vrai problème. D'où la nécessité de critiquer la religion et surtout le commerce dont les gourous en font. Il s'agit de dénoncer cette tendance à réclamer un bonheur illusoire qui n'arrivera jamais et à supprimer ce besoin pour construire un bonheur réel, terrestre et non plus céleste. La liberté de l'homme (homo aequalus) en est hélas largement tributaire.