Le virus de la bulle financière se transmet, irrémédiablement, de pays en pays. L'onde de choc économique se propage à grande vitesse, provoquant un peu partout dans le monde des réflexes de repli, de défiance de la part des ménages et des industriels, en quête, plus que jamais, de signes de relance, de reprise afin d'arrêter la contagion de la dépression. La solution, en ces temps d'incertitudes cruelles, de désarrois généralisés, peut-elle venir des regroupements régionaux dont «l'Union pour la Méditerranée», un projet controversé à ses débuts, est l'une des dernières émanations ? Quel avenir pour les deux rives devant le nouveau redéploiement international du capital ? Cette mer historique est-elle à même d'homogénéiser les aspirations de ses riverains ? C'est à ces questions que les participants à la 23ème Session des Journées de l'Entreprise, organisée du 27 au 28 novembre 2008, à Port El Kantaoui, à l'initiative de l'Institut arabe des chefs d'entreprise, ont été confrontés, tout au long de leurs travaux. Optimisme et volontarisme Devant un parterre au complet, apparemment rodé aux effets de tribune calibrés, M. Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre français et figure de proue de l'establishment libéral dans l'hexagone, a bien joué sa partition de «militant méditerranéen». A fleurets à peine mouchetés, il a profité de son discours, avant l'ouverture des panels de la première journée inaugurale, pour placer quelques banderilles sur le dos des protectionnistes et autres tenants de l'archaïsme étatique, coupables à ses yeux, de cécité politique, de frilosité économique et de méconnaissance dramatique d'un ordre marchand, financiarisé à l'excès, certes, mais capable aussi, dit-il, de remettre sur les rails un capitalisme dont l'essence même est cette faculté de dépassement, d'autorégulation et de rebondissement. «Le protectionnisme continental est une véritable dérive, un réflexe éphémère car la diversité, la mobilité et la compétitivité, valeurs suprêmes de la jeunesse de ce 21ème siècle, sont le reflet d'un monde multipolaire, d'une conscience planétaire, fondée sur les bienfaits du dialogue entre les civilisations, l'importance de la mutualisation des intérêts régionaux et le plébiscite de l'économie de marché», aime à rappeler M. Raffarin du conclave de l'IACE, pour qui le projet d'«Union pour la Méditerranée» est une réponse aux défis de la mondialisation, un faiseur d'unité sans pour autant enjamber les identités nationales, une esquisse d'une pensée politique et, peut-être aussi, ajoute l'ancien locataire de Matignon, une occasion historique, pour les élites au pouvoir au Maghreb, de recoller les morceaux de l'UMA afin de se positionner, lors des échéances à venir, en rangs serrés, loin des postures dispersées. La majorité des panélistes et des différents intervenants ont rejoint, tout au long de cette 23ème Session des Journées de l'Entreprise, l'essence des discours d'ouverture ; laudatifs, pour la plus part, en ce qui concerne la portée stratégique du projet d'«Union pour la Méditerranée», la résilience de l'économie tunisienne face aux défis de la libéralisation, aux affres de la concurrence déloyale, aux retombées de la bulle spéculative du Nord et dubitatifs vis-à-vis des lenteurs de la construction du grand Maghreb, un territoire, nous dit M. Nadir Zaaboub, président de la Chambre de commerce et d'industrie de Stif, compétitif, prometteur de l'avis de tous les stratégistes mais hélas, dit-il, stérilisé sur le plan des échanges intra-muros en raison des pesanteurs politiques locales qui pénalisent les peuples de la région en termes de croissance, d'intégration et de développement. «Avec près d'un milliard d'habitants dans 20 ans, l'Euromed est le véritable espace économique capable de faire face aux autres ensembles régionaux américains et asiatiques», prédit M. Afif Chelbi, ministre de l'Industrie, de l'Energie et des Petites et Moyennes Entreprises, pour qui l'UPM, pour réussir son envol, devrait appuyer les projets de modernisation des infrastructures du Sud, promouvoir, dans le pourtour méditerranéen, un «made in Euromed» plutôt qu'un «made in Europe» et inciter, conclut-il, à la réallocation du travail entre les deux rives dans le cadre d'un vaste plan de multi-localisations, censé éviter à l'ensemble de la région de devenir une simple aire périphérique de la nouvelle économie mondiale, une zone marginalisée à terme par des délocalisations totales et lointaines, sans prise dans la nouvelle Division internationale du travail en cours au niveau des différents cénacles des pays riches, à la suite de la récente bourrasque financière. Des voix discordantes La baisse de la demande mondiale, la chute des prix des matières premières, le recul du crédit international et la volatilité des monnaies dans les principaux centres marchands de la planète sont autant de canaux de transmission de la crise vers les pays émergents dont le dynamisme et le taux de croissance enviable, enregistré ces dernières années, sont intimement liés à l'économie réelle -les ménages et les entreprises- des Etats occidentaux, touchés actuellement, assure M. Jean-Louis Reiffers, président du Conseil scientifique à l'Université de la Méditerranée de Marseille, de plein fouet par la crise, sous la forme bien concrète de refus de prêts bancaires, de suppressions d'emplois, de pertes de bons de commandes, de factures non honorées et de faillites d'institutions financières prestigieuses, ce qui doit pousser les entités de la façade sud, et surtout la Tunisie, l'un des pays les plus arrimés au tissu industriel du Nord, à privilégier, désormais, l'intégration régionale maghrébine, à développer les économies d'agglomération et à réinventer un autre modèle de croissance. «La perte prévisible pour la Tunisie de certains marchés dans la zone Euro doit inciter les pouvoirs publics à prévoir une caisse de garantie, à renforcer encore davantage le partenariat public/privé et à adopter des objectifs clairs pour faire face à la crise avec des projets polycentriques croisant en premier lieu les intérêts du voisinage immédiat», explique notre interlocuteur qui lance un appel, à la fin de son exposé, au gouvernement tunisien pour l'inviter à redéployer de plus en plus ses ressources vers la formation continue, condition sine qua non de la mobilité professionnelle, à surveiller la valeur de la monnaie nationale par rapport aux devises dans lesquelles les dettes du pays sont libellées, à faciliter, grâce à des mesures incitatives ciblées, l'insertion du secteur informel, par ailleurs de plus en plus envahissant, prospère et proliférant, dans le giron de la légalité et à identifier, dans les plus brefs délais, les 50 métiers d'avenir à forte valeur ajoutée, jalonnant les niches prospères de la façade pacifique de la planète, avec des modules d'apprentissage en conséquence afin de venir à bout des anciennes pratiques dualistes.