Il y a à peine dix jours, Elyes Fakhfakh avait le choix entre la démission ou l'humiliation. Aujourd'hui, et au lendemain du communiqué cinglant d'Ennahdha, le chef du gouvernement a fini par fixer son choix, il aura les deux. Ignorant l'adage de Winston Churchill, Elyes Fakhfakh a choisi l'humiliation, il aura aussi la démission. L'histoire d'Elyes Fakhfakh et son implication est toute simple à expliquer : il est à la tête de sociétés qui font du business avec l'Etat et ceci est doublement interdit. Point. Il se devait de démissionner et il ne l'a pas fait. Il se devait de s'abstenir d'avoir des affaires avec l'Etat et il ne l'a pas fait. Non seulement les faits sont avérés, mais il a avoué ! Il peut évoquer la bonne foi, la suspension du temps à cause du covid-19 ou la récente cession de ses parts, cela ne change rien, tout ce qu'il a dit, et tout ce qu'il dira, a été et sera retenu contre lui. Son passage dans une échoppe de Soros pour une parodie d'interview n'a fait que l'embourber et montrer au public qu'il ne sait plus quoi faire, ni à quel saint se vouer. Aujourd'hui, il y a un choix à faire : sauver le gouvernement ou sauver les bonnes pratiques dans une démocratie qui se respecte. Ce gouvernement serait le meilleur sur terre et Elyes Fakhfakh serait l'homme le plus honnête et le plus compétent du pays, il est impératif qu'il quitte la scène pour donner l'exemple. Un ministre, et un homme public en général, se doit d'être au dessus de tout reproche et ne doit souffrir d'aucune suspicion de quelque nature que ce soit. Avec l'éclatement de ses affaires, Elyes Fakhfakh, hélas, est à des années lumière de cette position. Dans les pays qui se respectent, bien des ministres ont dû démissionner pour de simples suspicions, sans même des faits avérés. Pour beaucoup moins que cela, mais vraiment beaucoup moins, François Fillon, ex Premier ministre de la France, a été condamné à de la prison ferme et ce après avoir perdu la course à la présidentielle.
Dans ce torrent qui frappe le gouvernement, le parti Attayar est celui qui va laisser le plus de plumes. Ce parti a été bâti sur une seule devise, l'intégrité. Devise facile à faire valoir quand on est dans l'opposition, mais le véritable examen se fait quand on est au pouvoir. On y est ! Là, le constat est bien lamentable, les ministres d'Attayar étaient calamiteux avec un extraordinaire déni de la vérité et une volonté farouche de défendre la position indéfendable de leur chef. Il y a quelques semaines à peine, Ghazi Chaouachi attaquait frontalement et avec des mensonges l'homme d'affaires Marouene Mabrouk, bien que ce dernier ait des jugements en sa faveur. Aujourd'hui, le même Chaouachi multiplie les excuses alambiquées pour trouver une porte de sortie à son chef. Idem pour son collègue Mohamed Abbou. Plus mesquin que cela, tu meurs ! Paradoxalement, les députés d'Attayar, notamment Hichem Ajbouni et Nabil Hajji et, à degré moindre, Mohamed Ammar, ont adopté une attitude plus réservée et plus conforme à leur devise de toujours. Quand on lutte contre la corruption et quand on défend l'intégrité, on le fait avec tout le monde et non à la tête du client. A l'inverse, pour les deux Abbou ainsi que Ghazi Chaouachi, la lutte contre la corruption ne se fait pas avec les amis. Si cela continue, et avec ces positions opposées, il y a carrément un risque d'implosion d'Attayar. Sur la durée, c'est insupportable d'avoir, dans un seul parti, des députés qui défendent des valeurs et des ministres qui défendent un fauteuil éphémère et cèdent, au rabais, ces valeurs ! Les députés d'Attayar ont eu à passer un autre examen cette semaine, celui d'un projet de motion pour faire passer en plénière l'examen de la classification des Frères musulmans en organisation terroriste. Le projet a été soumis par le PDL au bureau de l'ARP et a été rejeté, en violation flagrante de l'article 141 du règlement intérieur de l'ARP. Sans surprise, c'est « grâce » à Ennahdha et ses deux « pare-chocs » El Karama et Qalb Tounes que l'on a pu violer cet article. Ennahdha, qui a misé sur le soutien de ses partenaires au gouvernement Attayar, Achaâb et Tahya Tounes, en a eu pour ses frais. Ces députés ont montré qu'ils ne sont pas des moutons de Panurge et que la défense des valeurs démocratiques et des valeurs d'intégrité passe devant. C'est ainsi, et uniquement ainsi, qu'on peut sauver le pays, indépendamment des circonstances conjoncturelles, des sujets et des personnes.
Dans tout ce schmilblick, et alors qu'on est en train de compter un peu partout les futurs « morts » de la scène politique, il y a un parti qui avance à pas sûrs. Ce parti, tout comme les députés cités ci-dessus, est resté fidèle à ses valeurs de départ. Des valeurs discutables, certes, mais elles ont l'avantage de pouvoir attirer de plus en plus de masses. Le PDL, le parti de Abir Moussi. Une sorte de Marine Le Pen tunisienne. L'une combat l'européanisation de son pays, l'autre combat son islamisation. Depuis 2011, la bonne femme combat ce « fléau ». Non seulement, elle combat les islamistes, mais aussi toutes les forces dites modernistes et gauchistes qui voient en elle le retour de l'ancien régime. Seule contre tous, elle n'a cessé de grappiller des points, de donner des coups et de monter dans les sondages. Elle monte grâce à son courage et ses combats, mais aussi grâce à la déception suscitée par les autres partis, incapables qu'ils sont de rester fidèles à leurs principes et leurs valeurs. Prenons par exemple les électeurs de Qalb Tounes et de Nabil Karoui qui pensaient avoir voté « anti-islamiste ». Aujourd'hui, ils voient « leur » parti devenir, contre toute logique, un serviteur d'Ennahdha. Quant à leurs dirigeants et députés, ils les voient en train de s'amouracher avec Al Karama sur le parking de l'assemblée ou de faire leurs ablutions dans ses vestiaires. Pour qui vont-ils voter demain après avoir été déçus par le comportement de ces partis ?
L'autre parti, qui va avancer d'un pas sûr dans la prochaine période, a été créé la semaine dernière et il s'appelle « Echaâb Yourid ». Il est vraisemblablement le parti du président Kaïs Saïed qui, lui aussi, est resté conforme aux valeurs défendues ces dernières années. Celui-là va chasser sur le terrain des nationalistes arabes, des islamistes et des populistes de tous genres. Sa sincérité est sans faille, jusque là et il continue à défendre les lois et la suprématie de la constitution, bien que convaincu qu'elle doit être modifiée. Si on considère Abir Moussi dangereuse, alors Kaïs Saïed est encore plus dangereux. Si l'on considère Abir Moussi comme sauveur, alors Kaïs Saïed est l'homme providence.
Il n'y a pas à dire, la classe dirigeante aujourd'hui est décevante. Ceux qui ont voté islamiste n'attendent plus rien de leur parti qui a sacrifié sa victoire et son portefeuille à la Kasbah. Ceux qui ont voté Tahya Tounes sont en train de voir un parti aphone. Ceux qui ont voté Qalb Tounes sont en train de voir leur parti flirter avec le pire ennemi. Idem pour ceux qui ont voté Al Karama. Ceux qui ont voté Attayar sont en train de voir une hypocrisie pitoyable chez les premiers dirigeants. Tout le monde est déçu, sauf ceux qui ont voté Kaïs Saïed et Abir Moussi. Ils sont les seuls à faire ce qu'ils disent et dire ce qu'ils font. Ils sont les seuls à tenir tête aux islamistes et aux opportunistes. Ils sont les seuls à rester conformes à leurs idéologies, aussi contestables soient-elles. Ils sont les seuls à rester crédibles auprès de leur électorat et la population. Que Fakhfakh ne lâche pas son siège à la Kasbah, que Qalb Tounes continue à défendre les frérots, que Tahya Tounes poursuit son silence et qu'Attayar s'embourbe dans sa schizophrénie, un jour tout ce beau monde se réveillera de sa torpeur pour trouver Abir Moussi et Kaïs Saïed seuls à la tête du pays en train de tout balayer sur leur passage comme Abdelfattah Sissi a tout balayé en 2013.
*Titre en hommage au grand compositeur Ennio Morricone, décédé aujourd'hui, 6 juillet 2020 à l'âge de 91 ans, paix à son âme