Il n'a pas commencé, qu'il est déjà torpillé. Lui, c'est le présumé futur chef du gouvernement, Hichem Mechichi qui se trouve embarqué dans un scénario inextricable de ce qui se fait de plus mauvais en politique. Un scénario ubuesque. Un nanar à échelle de pays. Le monsieur, fonctionnaire docile (?), est désavoué publiquement et sans vergogne, aucune, par celui-là même qui l'a désigné « personne la plus apte », on nommera le chef de l'Etat, Kaïs Saïed, ou plutôt l'autocrate en herbe. Il semblerait qu'au contact du pouvoir, la chose lui est montée à la tête au point d'en oublier la bienséance, au point de flinguer au passage ce que l'on appelle le prestige de l'Etat, au point de violer allégrement la constitution dont il est pourtant le garant.
A quoi joue le président de la République, c'était la question que se posaient, hier, les observateurs de la scène politique. L'épisode du désigné au portefeuille de la Culture, Walid Zidi - qui se désiste, puis se rétracte, qui est ensuite éjecté par Mechichi, pour se retrouver pour finir maintenu par Saïed - était la cerise sur le gâteau d'une série d'ingérences se concluant sur un désaveu tonitruant. Si l'on suit le fil des événements de la journée de jeudi, la seule réponse logique est que Kaïs Saïed a changé d'avis et qu'il a lâché son poulain. Le président de la République recevait Rached Ghannouchi, lui parlait du cafouillage des nominations au sein de l'équipe Mechichi et lui proposait, étrangement, d'élargir les consultations alors même que les délais constitutionnels pour la formation du gouvernement sont révolus. Sans même chercher à confirmer l'information (cela s'est avéré vrai par la suite), la logique veut que Kaïs Saïed envisage que le gouvernement n'obtienne pas la confiance du Parlement, qu'il pousse vers une telle issue, qu'il pense à une autre désignation et qu'il garantit une non-dissolution de l'ARP en échange d'une coopération. C'est à s'en arracher les cheveux. Par la suite, c'est au tour d'Elyes Fakhfakh, chef du gouvernement sur le départ, de passer à Carthage. Et là, étrangement aussi, Kaïs Saïed lui parle de stabilité politique, alors même qu'il était censé quitter la Kasbah dans quelques jours. Entre les deux rencontres, il y a eu l'épisode du désaveu public. Les connexions sont vite établies. La boucle est bouclée.
Mais qu'en est-t-il de la constitution dans tout cet imbroglio ? Aux dernières nouvelles, celle de 2014 est toujours d'actualité. Personne ne l'a amendée que l'on sache. Aux partis qui assuraient que le gouvernement a été composé à Carthage, Kaïs Saïed leur en donne confirmation. Ce que dispose la constitution est pourtant très clair : le chef du gouvernement choisit lui-même ses ministres et doit se concerter avec le président de la République seulement en ce qui concerne les Affaires étrangères et la Défense. Violations à la pelle de l'article 89, ne serait-ce qu'en citant la confusion autour du portefeuille de l'Equipement à la tête duquel deux Kamel ont été désignés. L'affaire du ministre de la Culture, c'est le pompon, mais dans les faits plusieurs autres noms ont été imposés par Carthage. Et puis encore, si l'on considère que Kaïs Saïed compte changer de cheval au milieu du gué (risquant de se saborder au passage) que dit la meilleure constitution au monde à ce propos ? Rien. Le texte reste muet ce qui donne lieu, en l'absence de cour constitutionnelle, à toutes les interprétations possibles. Le président a la possibilité de dissoudre le Parlement, mais peut-il désigner une autre personne pour former le gouvernement ?
L'ancien prof de droit constitutionnel, présentement président aux velléités autocratiques, mène la barque sur des eaux inconnues et troubles. Il se joue de l'Etat dont il est pourtant le symbole de son unité et de sa continuité. Il se joue de la constitution alors qu'il est censé veiller à son respect. Le peuple a voulu, il en fut ainsi. Dans l'espoir qu'il ne s'en mordra pas les doigts.