Les statistiques disponibles sur l'immobilier montrent que plus de 80 % des ménages tunisiens sont propriétaires des logements qu'ils occupent. Ainsi, et sachant que le salaire mensuel moyen d'un employé tunisien est inférieur à 500 dinars, on serait tenté de conclure volontiers que le coût de l'immobilier est abordable en Tunisie. Mais, cette conclusion ne parait pas être celle des professionnels et, encore moins, celle des acquéreurs. Qu'en est-il donc de la situation réelle dans le secteur, surtout par ces temps de crise ? Le taux élevé de la propriété trouverait son origine dans une culture locale très attachée à la possession de son logement assimilé à la « tombe » de la vie. D'ailleurs, toutes les acrobaties sont tolérées pour parvenir à y accéder. Pourtant, la situation dans l'immobilier ne reflète guère l'engouement des Tunisiens pour la propriété. Et, pour cause.. Il suffit d'un tour dans les grandes villes pour se rendre compte que l'offre est largement supérieure à la demande en matière d'habitat. D'ailleurs, le taux d'invendu ne cesse de grimper. Plusieurs promoteurs immobiliers ont dû solder leurs crédits en restituant l'invendu à la banque ayant assuré le financement qui est généralement la Banque d'Habitat. Donc, finis les temps où les projets sont vendus alors qu'ils sont encore sur maquette. De nos jours, les observateurs notent un manque d'adéquation entre l'offre en immobilier et les capacités de financement de la population aspirant à s'approprier des logements. En effet, les logements économiques sont proposés entre 50.000 et 90.000 dinars, selon les zones. Les coûts changent certes d'une région à une autre, mais ce ne sont que des détails sur une même toile de fond. Il s'agit d'appartements de superficies variant en 90 et 100 m2 dont les prix ne sont pas accessibles à la population, censée être leur cible. Celle-ci est essentiellement composée de la nouvelle génération de salariés. Même la création du crédit FOPROLOS 3 n'a pas résolu le problème de financement rencontré par cette tranche de la population. « La location de l'argent coûte encore cher en Tunisie. Un ménage qui perçoit 1200 dinars en net mensuel ne peut pas se permettre de laisser 700 dinars à la banque, à chaque fin de mois, pour financer un appartement de 90.000 dinars. Pourtant, c'est la moyenne ! », explique un cadre bancaire spécialisé en recherche des schémas de financement. Une évaluation du secteur de l'immobilier est donc nécessaire pour palier cette étrange spécificité tunisienne. Or, elle passe par un aperçu de l'état des lieux comportant un éclairage sur l'offre, la demande et les réseaux de crédits permettant d'assurer la synergie. La flambée des prix des lots de terrain est le premier constat qui saute aux yeux, surtout dans les grandes villes et sur les côtes. Cette remarque conditionne déjà les choix. Un tour d'horizon des différents projets donne une idée sur l'offre. Il est clair que les intéressés cherchent le meilleur rapport qualité-prix possible, acceptant même de s'éloigner du centre-ville. Or, la flambée des cours les poursuit et le moindre lopin de terre atteint des proportions hors de la portée des bourses moyennes ; pas moins de 150 dinars le m2 à M'hamdia, Fouchana, Tébourba, Oued Ellil, etc. Dans les zones huppées, le prix du mètre carré peut atteindre 800 dinars ou même plus. Une telle situation oblige les intéressés à faire le choix du logement vertical. D'ailleurs, les concernés sont unanimes à reprocher à l'Agence foncière de l'habitat (AFH) de ne plus remplir son rôle de temporisateur des cours. L'AFH a été instituée pour éviter les spéculations immobilières en matière de terrains. Elle a certes permis, à ses débuts, d'établir un certain équilibre, évitant les hausses vertigineuses des prix. Les projets d'El Mourouj, d'Ennasr, des Jardins d'El Menzah sont là pour démontrer les acquis de cette orientation. D'autres projets ont vu le jour et ont confirmé cette tendance. Or, depuis bientôt une décennie, la cadence des projets a fortement diminué. Les derniers à avoir obtenu des lots à El Mourouj 6 ont des demandes qui datent du milieu des années 1980. D'autres dizaines de milliers de demandes sont vieilles de plus de 15 ans. C'est dire que l'AFH s'est dérobée à son rôle et qu'elle ne parvient plus à satisfaire à la demande des citoyens désireux d'avoir des lots de terrain. Pire encore, l'AFH octroie des lots aux promoteurs immobiliers qu'ils aménagent et revendent aux intéressés à des prix astronomiques. Elle n'a pas, semble-t-il, les moyens de faire cet aménagement à son propre compte. Une telle procédure va à l'encontre de sa vocation originelle qui est d'éviter au public les déconvenues de la spéculation immobilière. Il serait souhaitable que l'AFH revienne à la charge et aide à rétablir l'équilibre dans le marché des terres destinées à l'habitat. Concernant cette problématique, l'architecte Mustapha Boudokhane pense que c'est une question relative aux moyens des acheteurs potentiels : « Les terres deviennent de plus en plus rares. Le standing du revêtement se paie aussi. Un bon logement, dans un périmètre huppé, est très coûteux. Mais, tant que la demande existe, les promoteurs continuent à investir. C'est ce qui explique cette flambée relative de l'habitat qui est toutefois due principalement à la rareté des terres habitables ». A propos de la différence des coûts entre une habitation construite par un citoyen et celle d'un appartement acheté chez un promoteur, M. Boudokhane explique : « Cette différence est logique du moment que l'habitat vertical répond à des règles strictes qui commencent par les études géologiques du sol, le respect de toutes les phases et les conditions techniques du projet. Il y a réception par un bureau technique après chaque phase. Il y a des agréments des PTT, de l'ONAS, de l'équipement... Rien n'est laissé au hasard. Et puis, il y a la réception définitive. Sans oublier les frais financiers et les bénéfices » En guise de solution, Mustapha Boudokhane propose : « Il faudrait penser à créer des villages satellites aux abords des grandes villes. Là où les terrains sont encore à prix accessible. C'est la solution préconisée par d'autres pays et elle a démontré son efficacité sur les coûts de l'habitat ». Revers de la médaille, cette solution pèse lourd sur les coûts du transport et la durée qu'on met pour aller ou rentrer du travail. Elle a également un coût écologique. Mais ça, c'est une autre histoire...