En cette période post-révolutionnaire où les affaires de la Tunisie sont gérées par un gouvernement transitoire, on assiste à une impatience généralisée et à des décisions sérieuses engageant le long terme, mais qui sont prises en un tournemain à cause de la pression exercée par les syndicalistes et l'UGTT. Plusieurs sociétés, notamment celles publiques, et des départements ministériels, ont dû céder face aux pressions des travailleurs. A titre d'exemple, la réintégration des ex-filiales au sein de la compagnie aérienne de Tunisair équivaut à une ardoise de 25 millions de dinars. L'intégration et la titularisation des travailleurs occasionnels et contractuels à la municipalité de Tunis vont se traduire par d'autres millions de dinars. Idem pour Tunisie Telecom et bien d'autres entreprises. Qui c'est qui va payer cette facture de plus en plus salée ? Certainement pas le gouvernement actuel puisqu'il part dans moins de six mois… Et le gouvernement élu qui lui succèdera ne pourra certainement pas revenir en arrière et aura du sérieux pain sur la planche. Les mouvements de grèves tournantes, enregistrées pratiquement tous les jours, font perdre à l'économie des dizaines de millions de dinars par jour, sans compter celles qui ont dû arrêter ou ralentir leurs activités. Ces mouvements revendicatifs et, surtout, la facilité et la rapidité avec lesquelles les responsables dans les différents départements ministériels et les multiples sociétés publiques et parfois privées y ont répondu positivement, coûtent cher pour le contribuable sur le court, moyen et long termes. Il faut dire que les concessions sans limites observées, au niveau politique, par le gouvernement transitoire lors de sa formation, lors de la nomination des gouverneurs, dans le maintien et, surtout, l'éviction des PDG des établissements publics, ont été pour quelque chose dans l'émergence de ce vaste mouvement de contestations et de revendications sociales, professionnelles et matérielles et, surtout dans cette manière consistant à faire « dégager » n'importe quel responsable sur qui pèsent , à tort ou à raison, des soupçons. Si certaines de ces requêtes sont légitimes et compréhensibles de par leur contenu, plus particulièrement en cette période révolutionnaire, il n'en demeure pas moins qu'elles vont avoir des incidences profondes sur les caisses des finances de l'Etat et le climat concurrentiel des entreprises tunisiennes. Certaines revendications sont carrément fantaisistes, tel le cas de Tunisiana, pourtant considérée comme la société qui paie le mieux son personnel ! Et l'impression qui prévaut est que le gouvernement transitoire veut parer au plus pressé afin d'avoir la paix sociale et éviter les situations de confusion. D'un autre côté, l'UGTT semble être dépassée par sa base et se trouve obligée de suivre et même d'appuyer ces mouvements de crainte d'être « délégitimée » sans parler du risque d'un étalage, encore plus large, des scandales impliquant plusieurs responsables syndicaux dans des affaires de malversations et de corruption. Sachant que les accusations, parfois trop précises et chiffrées, sont révélées sur les réseaux communautaires, notamment celui de Facebook. Le hic, c'est que personne n'évoque le volet de coût de ces mouvements et de leurs répercussions sur la dynamique économique et sur le système de productivité et de compétitivité de nos entreprises. Curieusement, le ministre des Finances n'a toujours pas fait d'apparition publique. On n'a vu aucun économiste, ou presque, parler de ces situations, alors que les théoriciens, syndicalistes et autres politiciens défilent à longueur des journées sur les plateaux des chaînes de télévisions, désormais, devenus des tribunes de surenchères pour montrer, chacun, qu'il est plus révolutionnaire que les autres, allant même jusqu'à tenter de régler des comptes personnels et autres chasses à la sorcière. On aurait bien aimé que des membres du gouvernement ou des spécialistes éclairent l'opinion publique sur l'état économique et compétitif du pays et des entreprises tunisiennes qu'on retrouvera une fois passés ces six mois de transition. Le gouvernement transitoire a-t-il une idée ou est-il conscient de la situation économique et financière qui prévaudra en Tunisie et à laquelle sera confronté le prochain gouvernement élu ? On aimerait bien qu'on nous dise si l'action gouvernementale actuelle est bien réfléchie et bien étudiée selon des normes bien déterminées et bien acceptées par les instances financières internationales telles la Banque mondiale et le FMI et les groupements partenaires dont l'Union européenne ? Ou bien s'agit-il de remèdes décidés à la hâte, juste pour avoir la paix sociale ? Le gouvernement transitoire est-il conscient de l'ampleur de l'ardoise qu'il délèguera au prochain gouvernement qui sera en place après les élections libres, transparentes et démocratiques ? Les citoyens sont en droit d'avoir des réponses précises et transparentes à ces points d'interrogation parce qu'ils veulent être rassurés quant leur avenir et celui de leurs enfants. C'est très bien d'accorder au volet social l'importance requise, mais l'aspect économique, par les temps de mondialisation et d'ouverture à outrance des frontières, est aussi important, d'où la nécessité de trouver un équilibre et d'une adéquation qui préservent les deux approches dont aucune ne doit avoir la primauté aux dépens de l'autre car elles vont de pair. Et là, nous n'inventons rien dans le sens où il s'agit d'une équation impérative sans laquelle aucune économie ne peut être fiable et viable et ne peut s'imposer dans cette jungle de l'économie libérale obéissant aux règles de la concurrence saine et de la bonne gouvernance. Il est vrai que le peuple et le commun des citoyens aiment bien qu'on leur dise ce qu'ils veulent bien entendre, mais le rôle des spécialistes économiques et des médias est de leur dire la vérité en face, même si elle n'est pas toujours plaisante, pour ne pas dire souvent contrariante. Par ailleurs, résoudre aujourd'hui certains problèmes ne signifierait-il pas d'en créer d'autres demain ? Exemple : octroyer une prime de 250 dinars aux chercheurs d'emploi ne peut-il pas être considéré comme une insulte aux travailleurs précaires qui touchent le Smig ? Quelle équité sociale a-t-on, dès lors, en payant ceux qui sont à la maison plus que ceux qui travaillent péniblement du matin au soir ? Que dira-t-on demain à cet ouvrier du bâtiment ou de la municipalité et quelle valeur travail donnera-t-on à nos enfants ? La plus grande injustice est que c'est ce pauvre travailleur smigard qui va payer la prime du chômeur via ses taxes et ses impôts ! En chiffres, cette mesure à elle seule, coûtera au contribuable 900 millions de dinars par an. La révolution a été déclenchée pour réduire le fossé social qui existe dans le pays. Or aujourd'hui, on constate que les revendications sont celles de gens aisés qui aimeraient être titularisés, qui aimeraient être augmentés, qui aimeraient voir leur patron éjecté, qui aimeraient voir les salaires de leurs collègues diminués ! Entre le populaire et le populisme, il y a tout un fossé qu'il faut éviter, car son prix est trop élevé. Il y va de l'avenir de la Tunisie et de nos enfants. Noureddine HLAOUI