Depuis la chute du régime de Ben Ali les débats de société s'aiguisent, s'accumulent, à l'image des débats sur la rédaction de la Constitution, le respect des valeurs tunisiennes, etc. Dans ces moments-là, la télévision est le média qui se doit d'assurer un minimum de cohésion sociale autour de valeurs démocratiques, mais aussi en veillant à moins, ou idéalement pas du tout, exploiter la misère des laissés-pour-compte. Non seulement elle doit apporter du divertissement intelligent, qui s'adapte aux horaires et à une réelle segmentation de l'audimat, mais aussi en soutenant le libre débat pour trouver une solution aux problématiques de notre société. Dans de nombreux pays, ce grand média de masse, la télévision, a joué un rôle de pilier, crucial pour l'établissement de valeurs et l'enracinement des libertés. C'est ce qu'il est temps de faire en Tunisie en exigeant de la télé qu'elle joue le rôle de participante directe des débats de société sur la politique, sur l'avenir économique du pays et, simultanément, en distrayant des téléspectateurs à qui on ne sait offrir sur le petit écran que les mêmes malheurs qu'ils voient et vivent toute la journée. Si les télés tenaient compte des différentes appartenances sociales, sociopolitiques et régionales, nous pourrions parler d'un audimat national, mais segmenté plutôt que de constater dans l'indifférence des décideurs une division entre deux publics distincts : un de profil social modeste, voire très modeste et l'autre plus aisé tourné vers les chaines de l'étranger et qui ne s'intéresse aux programmes locaux que durant la période ramadanesque. Ces publics reçoivent l'information en la « filtrant » plus ou moins selon l'opinion ou la perception de leurs milieux d'appartenance et parfois en découvrant ou jugeant un programme via Facebook. Dans ce contexte-là, nous ne pouvons que sous-estimer l'influence de la télévision, puisque son absence de volonté de fédérer ou de se positionner clairement la rend du coup sans influence autre qu'anxiogène. Plus clairement pourrait-on dire qu'elles sont nuisibles, puisque les connaissances que les chaines s'interdisent d'inculquer aux citoyens, comme certaines notions sociétales que l'ancien régime voulait faire disparaitre, les téléspectateurs en sont privés et cela pour le plus grand mal de l'unité nationale. La télévision tunisienne de demain doit offrir aux téléspectateurs les moyens de réagir, d'interroger, de s'exprimer et même de critiquer. Certes, cela existe déjà sur Facebook mais de façon contre-productive puisque certains administrateurs de groupes détournent les informations, les évènements afin d'attaquer de façon binaire tel mouvement ou personne. A contrario, la télé doit initier une sorte d'interactivité constructive, progressive offrant aux Tunisiens l'impression qu'ils participent à la programmation de leurs chaines puisque leur audience est, enfin, prise en compte par ceux qui organisent la grille des programmes. Pour ce faire, la télé a besoin des annonceurs et donc d'attirer plus de publicités en développant des programmes plus originaux et ambitieux. D'où l'importance d'émissions de divertissement qui, quitte à se baser sur des modèles étrangers, doivent rester tunisiennes afin de créer un lien entre le programme et le téléspectateur. Mais aussi et surtout afin de produire enfin des programmes qui puissent intéresser l'audimat d'autres pays. Nous ne valons pas moins que le Liban et l'Egypte et cela nous parviendrons à le prouver si les patrons de chaines, les techniciens, les boites de communications et les annonceurs s'unissent ! Cessons de faire de la télé le miroir de notre quotidien, l'engrais qui nourrit le misérabilisme social, le déclinisme politique et faisons de ce média un outil permettant de dénoncer les injustices, mais aussi un moyen de s'évader afin de rêver et construire une Tunisie qui s'exporte ! * Après des études en droit et en commerce, Lotfi Hamadi a dirigé plusieurs établissements nocturnes à Paris, Tunis et Montréal. Etabli au Canada, il devient Directeur de Projet pour l'une des plus importantes chambres de commerce, puis il rentre dans le monde de l'audiovisuel en participant à la création d'une télé universitaire. Au moment de la révolution, il décide de retourner dans son pays natal après une escale à Paris où il sera formé au vrai monde de l'audiovisuel, après avoir monté un projet touristique autour du village de Kesra. Il occupera dès son arrivée à Tunis la fonction de Directeur des programmes d'une des cinq nouvelles chaînes de télévision.