Parmi les biens dont les prix ont été directement impactés par la loi de Finances 2018, figurent les médicaments. Cette flambée des prix, touchant des produits dont certains sont d'une nécessité vitale, a rapidement fait jaser. D'autant plus qu'elle soulève un débat sur l'activité des pharmaciens en Tunisie et les règles qui la régissent. D'après un communiqué publié hier, jeudi 4 janvier 2018, par la Pharmacie Centrale, on annonce l'augmentation des prix de 2353 médicaments différents. Cette hausse, justifiée par une augmentation d'un point de la TVA qui passe, à partir du 1er janvier 2018, de 6 à 7%, a rapidement été critiquée. Les citoyens, encore sous le choc des nombreuses autres augmentations touchant des produits de consommation courante, voient d'un mauvais œil cette hausse sur des produits dont ils passeraient pourtant volontiers. Mais cette majoration ne touchera pas seulement les médicaments, elle concerne également les produits parapharmaceutiques pour lesquels la TVA passera de 18 à 19%. Encore un coup dur !
Pour l'instant, l'augmentation de 1% de TVA impactera, seulement, les médicaments fabriqués localement en Tunisie. Elle ne concernera donc pas ceux que le pays importe afin de combler un manque dû à des produits sans substitut local. Quant aux médicaments importés mais pouvant être remplacés par des produits locaux, ils ne sont pas encore, pour l'instant, concernés par la hausse de TVA. Une augmentation qui n'est certes pas à exclure à l'avenir. C'est ce qu'a déclaré le président du Conseil national de l'Ordre des Pharmaciens Tunisiens (CNOPT) hier sur la radio nationale. Chedly Fendri explique, en effet, que cette hausse des prix des médicaments ne tombera pas dans les poches des pharmaciens. « Nous ne sommes que des collecteurs de TVA en faveur de l'Etat », explique-t-il.
S'il est vrai que les pharmaciens collecteront de la TVA pour l'Etat, il est aussi vrai que leurs marges, déjà élevées, suscitent la colère du consommateur local. Le tableau des médicaments dont les prix ont augmenté, rendu public par la Pharmacie Centrale, montre la grande différence entre les prix d'achat des médicaments et ceux de leur commercialisation dans les officines. Des bénéfices qui sont pourtant régis par l'arrêté du 20 février 1996 qui fixe les marges bénéficiaires pour les pharmaciens d'officine et les grossistes–répartiteurs. L'arrêté de 1996, qui vient modifier celui de 1988, vient baisser les marges des pharmaciens. Il ramène, ainsi, la marge grossiste de 10 % à 8 %. Les pharmaciens d'officine, verront eux aussi leurs bénéfices revus à la baisse depuis. Les nouvelles marges sont de 30, 28, 26 et 24 %, alors qu'elles étaient de 32, 30 et 28 %. Ces marges ne sont pas fixes et dépendent des prix d'achat des médicaments.
Si les pharmaciens dénoncent, depuis des années, une situation qu'ils qualifient d' « abusive » affirmant que la baisse de leurs marges les met en difficulté et compromettrait entre 20 et 25% de leur chiffre, les citoyens, eux, ne décolèrent pas. On reproche à un corps de métier de bénéficier de conditions d'activité « à part » et de violer les règles régissant leur exercice. L'organisation des officines étant régie par un numérus clausus fixant les règles d'ouverture des pharmacies. La loi n° 92-75 du 3 août 1992, modifiant la loi du 3 août 1973, « passe de 5.000 à 4.000 habitants par tranches non entières pour la majorité des villes de Tunisie pour les pharmacies dites « ordinaires ». Pour les pharmacies de nuit, le numerus clausus passe à une pharmacie pour 70.000 habitants par tranche non entière au lieu d'une pharmacie pour 100.000 habitants ». Dans les faits, ces normes ne sont pas toujours rigoureusement respectées. Il est de notoriété publique que les fonds de commerce d'officines atteignent des sommes faramineuses à la vente et sont même transmis de père en fils. Les officines installées dans de grandes artères à important attrait commercial s'arrachent à des sommes allant jusqu'à plusieurs centaines de milliers de dinars. De quoi alimenter la rogne populaire face à un corps de métier, qu'on accuse de ne pas jouer la pleine transparence quant à ses déclarations fiscales.
Face à ces accusations, que les pharmaciens jugent « infondées » et « diffamatoires », le Syndicat des pharmaciens d'Officines a publié aujourd'hui, vendredi 5 janvier 2018 un communiqué dans lequel il a défendu la profession et ses revenus. « Les responsabilités qui incombent à chaque pharmacien, lui imposent parfois 50 heures de travail par semaine ainsi que des permanences de plus de 11 heures, pendant 7 jours consécutifs. La loi leur dicte de faire appel à un personnel qualifié et aux compétences avérées de pharmaciens et préparateurs et ce afin de veiller à protéger la santé du citoyen », peut-on lire. De quoi justifier des bénéfices qualifiés parfois d' « astronomiques ».
Contacté par Business News, le pharmacien, député et membre de la commission de la Santé à l'ARP, Brahim Nacef, a expliqué que les marges des pharmaciens sur les médicaments mais aussi les produits pharmaceutiques sont loin d'être libres : « Les marges, même celles des produits parapharmaceutiques, ne sont pas libres. Tous les pharmaciens sont obligés de vendre au même prix, prix qui sont fixés par le ministère de la Santé en collaboration avec le ministère du Commerce ». Il ajoute par ailleurs que « les hausses de prix ne se répercuteront pas sur les marges des pharmaciens. Les prix des médicaments ont augmenté en grande majorité mais il s'agit d'augmentations minimes dues à la hausse de 1% de TVA. Il y a quelques médicaments dont le prix a baissé. Les marges, quant à elles, n'ont pas augmenté depuis 1996 ».
Tous s'accordent pour dire que le citoyen sera le premier lésé par la hausse des prix des médicaments. Une hausse qui impactera aussi les équilibres de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie (CNAM) déjà en difficulté et remettra en cause le rôle régulateur de la Pharmacie Centrale. Si les autorités expliquent cette augmentation par une double finalité de collecte d'argent dans les caisses publiques mais aussi par un souci de transparence dans la chaîne de distribution des médicaments, son impact ne sera que plus lourd sur le contribuable. Autant de raisons pour les Tunisiens de ne pas tomber malades…