Le tant attendu remaniement ministériel a été annoncé dans la soirée du 5 novembre 2018. Plus qu'un lifting de circonstance, il s'agit d'un remaniement profond qui traduit une volonté claire d'efficacité et qui voit sur le plan politique l'entrée de Machrouû Tounes au gouvernement. Il est également l'occasion de corriger certains choix faits auparavant. Politiquement, la nouvelle composition gouvernementale consacre la naissance d'un nouveau trio au pouvoir composé de la coalition nationale, Ennahdha et Machrouû Tounes. Par ce remaniement, Youssef Chahed fait d'une pierre deux coups : le premier est d'assurer une certaine stabilité au gouvernement avec l'appui des coalitions concernées au niveau de l'ARP, et isoler un peu plus Nidaa Tounes qui se trouve aujourd'hui, dans l'opposition en dépit des 11 portefeuilles qu'il détient (9 ministres et 2 secrétaires d'Etat). La nouvelle coalition gouvernementale reflète une certaine liberté du chef du gouvernement qui semble se détacher un peu plus des équilibres politiques contraignants. Pour preuve, le fait que le président de la République a annoncé, par la voie de sa porte-parole, son refus de ce remaniement à cause de la précipitation qui l'a caractérisé et du fait que « le président de la République n'a pas été consulté et a seulement été informé tard dans la journée ». C'est dire si le chef du gouvernement réaffirme son émancipation de Béji Caïd Essebsi. L'entrée de Abderraouf Cherif au ministère de la Santé et celle de Fadhel Mahfoudh, récipiendaire du prix Nobel de la paix en tant que bâtonnier des avocats, aux relations avec les instances constitutionnelles, marquent l'avènement de Machrouû Tounes au gouvernement. Les relations entre Mohsen Marzouk et son parti avec Youssef Chahed n'ont pas toujours été au beau fixe. Toutefois, il semble qu'un terrain d'entente a été trouvé. Un seul ministère régalien a été touché par le présent remaniement. Il s'agit de la nomination de Kamel Jamoussi au poste de ministre de la Justice, en lieu et place de Ghazi Jeribi qui avait, plus tôt dans la journée, annoncé le fait qu'il était content de retrouver sa liberté. Le nouveau ministre, auparavant secrétaire d'Etat aux Domaines de l'Etat, est un technicien du droit qui a travaillé notamment au tribunal administratif. Autre enseignement important, l'entrée au gouvernement de René Trabelsi au ministère du Tourisme à la place de Selma Elloumi, récemment nommée à la présidence de la République. Un geste fort décidé par le chef du gouvernement Youssef Chahed. Un ministre de confession juive, ceci n'était pas arrivé en Tunisie depuis l'ère Bourguiba. Il s'agit également d'un grand connaisseur du tourisme tunisien avec une des plus grandes agences de voyage actives sur la France. Il a notamment assuré l'organisation du pèlerinage de la Ghriba pendant plusieurs années, outre son entregent international qui lui permettra d'avoir les accès nécessaires aux professionnels mondiaux du tourisme.
Le chef du gouvernement, Youssef Chahed, fait également le choix d'intégrer des hommes d'Etat à son gouvernement, tel Kamel Morjane qui va s'occuper de la fonction publique et de la modernisation de l'administration, ou encore Hédi Mekni, qui prend le portefeuille des Domaines de l'Etat et des Affaires foncières. En parallèle, Youssef Chahed a écarté du gouvernement des personnalités qu'on avait pourtant taxé de faire partie de l'entourage proche du locataire de la Kasbah à l'instar de Riadh Mouakher ou encore Mabrouk Kourchid.
D'un autre côté, les ministres les moins performants dans leurs départements ont été écartés à l'instar de Majdouline Cherni à la Jeunesse et aux Sports, Imed Hammami à la Santé ou encore Mohamed Salah Arfaoui à l'Equipement. Des réajustements semblaient effectivement s'imposer au sein de ces ministères autour desquels un grand nombre de polémiques avaient gravité. On notera également le changement de portefeuille de Radhouane Ayara qui abandonne le transport à un expert connu du secteur : Hichem Ben Ahmed. Pour ce dernier, il s'agit d'une réelle revanche sur l'histoire puisque le même ministère, sous la houlette de la troïka à l'époque, avait essayé, sans y parvenir de constituer un dossier visant M. Ben Ahmed. L'un des ministères les plus importants échoit donc à un connaisseur du secteur soulignant la volonté générale exprimée par ce remaniement : privilégier la compétence et l'efficacité.
Il y a également un nouveau calibrage dans la structure du gouvernement par la création de nouveaux portefeuilles et de nouveaux secrétariats d'Etat. Le ministère de la Fonction publique, de la Modernisation de l'administration et des politiques publiques a été recréé après la déconvenue avec Abid Briki. Radhouane Ayara est ministre auprès du chef du gouvernement chargé de l'immigration et des Tunisiens à l'étranger. Chokri Ben Hassine est ministre auprès du chef du gouvernement chargé de l'économie sociale et solidaire et finalement, la création d'un secrétariat d'Etat auprès du ministre du Commerce chargé du commerce intérieur.
Le remaniement ministériel annoncé ce jour marque un nouveau virage dans la marche politique du pays. Le gouvernement de Youssef Chahed, troisième du nom, semble être le fruit de l'expérience passée. Il s'agit d'un gouvernement de combat qui marque l'indépendance de la Kasbah par rapport à Carthage d'un côté, et qui va avoir un rôle déterminant à l'aube d'une année électorale qui s'annonce chaude et chargée aussi bien au niveau politique que social. Youssef Chahed semble avoir constitué une équipe de choc qui va tenter d'avoir un bilan positif pour cette dernière année d'avant les élections de 2019.