La contrefaçon est organisée en véritables réseaux. Les autorités tunisiennes n'ont jamais pu remonter la filière. Après la Révolution, tout le monde a cru que la contrefaçon auparavant, gérée par la mafia des Trabelsi, va disparaitre. Toutefois, en jetant un coup d'œil au centre ville, le marché parallèle a plus que jamais prospéré. Investir En Tunisie a essayé de percer le mystère d'une mafia invisible. Lors des rares opérations menées par les services de contrôle ou de police, ceux pris la main dans le sac, ne sont que les pions de la structure. Les barons, eux, n'ont jamais été sérieusement inquiétés. Comment ces seigneurs de la contrefaçon sont-ils organisés ? Qui en sont les fournisseurs ? Si certaines marchandises contrefaites viennent des pays asiatiques, d'autres ne sont-elles pas fabriquées en Tunisie ? Autant de questions dont la réponse n'est sans doute pas à la portée du premier venu. L'équipe d'Investir En Tunisie est à Bab Bhar. Vers 8h, les commerçants déjà en place attendent leurs clients. Tous les articles sont disponibles. Les vêtements, les chaussures, les montres, les sacs à mains, les jouets, le tabac, les boissons, le champoing, les potards et autres mais tous en faux. En commençant l'enquête, on s'est rendu à l'évidence : enquêter sur ce fléau n'est pas chose aisée, car les voix se perdent dès qu'il s'agit des sources d'approvisionnement. Les commerçants ne sont pas enclins à révéler les noms et les adresses de leurs fournisseurs. Leurs réponses sont souvent les mêmes. Des réponses, ou plutôt des questions, signe d'une méfiance à peine voilée. Nous avons vécu cela : «dans quel domaine travaillez-vous? Qui sont vos associés ? Pourquoi voulez-vous avoir des contacts?». Ensuite, on est éconduit de façon très cordiale. «Il faut revenir demain, le patron n'est pas là pour le moment », « Nous ne sommes pas les premiers à tourner en rond »… Selon un membre du service du contrôle économique du ministère du Commerce et du Tourisme, lorsqu'on met la main sur l'intermédiaire du grossiste, deux éventualités se présentent. « Quand il nous communique le nom de son fournisseur, ce dernier reste introuvable. Et quand bien même il serait accessible, lui-même nous déclare qu'il achète auprès d'une troisième personne dont il ignore l'identité. On n'a jamais pu remonter leur filière. Ce sont des réseaux organisés et qui savent baliser leur chemin. Aussi bien en amont qu'en aval, ces organisations sont bien implantées», dit-il. L'équipe est revenue le soir, et c'était la surprise. Après un échange avec un commerçant, il a voulu nous révéler quelques secrets à titre amical. « Je suis chômeur et père de deux filles, si je ne me débrouille pas dans ce commerce, je n'arrive pas à les faire vivre », a-t-il précisé. En sentant de la paix de notre part, le commerçant a décidé de nous révéler la source de ses marchandises. « Ce que vous voyez ici est en provenance d'Algérie et de Libye. Les produits du marché local arrivent à la capitale en deux grandes étapes. D'abord, les marchandises voyagent jusqu'aux frontières tunisiennes par voie terrestre. Il y a des réseaux clandestins connus sous le nom de « Harraga » des deux pays précités qui font entrer les marchandises à des partenaires tunisiens. Les échanges marchandises-argents se font surtout à Ben Guerdene. Ensuite, les marchandises viennent jusqu'à la rue Boumendil, dans la capitale et se vendent par détail. Ici le réseau est très compliqué et cela ressemble vachement à la mafia. Personne n'ose s'interroger sur le fournisseur. C'est top secret », a-t-il ajouté, en tournant sa tête à gauche et à droite. Lorsqu'un voisin s'approche par curiosité, le commerçant nous a demandé qu'on s'en aille, sinon cela va mal tourner. La douane, qui intervient au niveau des frontières et des ports du pays, ne peut intervenir que lorsque la contrefaçon est doublée d'une qualité défectueuse menaçant la santé du consommateur. Le prochain gouvernement se trouvera certes devant un sérieux test pour anéantir le marché de la contrefaçon. En attendant, peut-on encadrer le marché parallèle dans des espaces organisés, préservant à la fois l'emploi et l'esthétique du centre ville ?