Le commerce parallèle qui a infesté l'activité économique est une vraie calamité pour le pays. Il est doublement préjudiciable. Sur le plan économique, il prive la communauté nationale et l'Etat de recettes substantielles dont ce dernier a cruellement besoin, dans une conjoncture difficile. au niveau social, il ajoute une pierre à l'édifice de la délinquance qui prend encore de l'ampleur. Sans parler de ces jeunes étalagistes qui ont quitté l'école et vivent dans un milieu où il n'y a de loi que celle du plus fort et plus obscène. Outre qu'ils privent le pays d'une partie de ses forces vives dont il aura besoin dans le futur. L'informel en opposition au formel, communément appelé commerce parallèle, recommandé à l'Etat tunisien au milieu des années 1980 et plus exactement en 1986 avec le programme de réajustement structurel par les instances financières internationales dans l'optique de résorber le chômage, occupe une place égale dans l'économie du pays à celle du secteur formel ! C'est le ministre des Finances lui-même qui vient de le déclarer sur les colonnes de notre journal, affirmant qu'il représente 50% de l'activité économique. Cela confirme ce qu'avait déjà dit l'ancien chef du gouvernement, Mehdi Jomaâ. Plus de doute donc quant à l'importance de ce secteur qui pourra dans un proche avenir, si on ne prend pas des mesures énergiques, franchir le taux actuel et devenir prépondérant. Le danger pour le pays d'une telle ascension n'est pas à démontrer et à plus d'un niveau. Tout pourra ainsi échapper à l'Etat ce qui l'est déjà à 50%. Par ces temps de marasme économique dû à une conjoncture bien difficile, le gouvernement peine déjà à boucler son budget. C'est pour la énième fois qu'on a recours à une loi de finances complémentaire. On jongle pour trouver les recettes nécessaires, alors que la richesse est là entre les mains de particuliers qui profitent de ce que peut leur offrir le pays sans s'acquitter du moindre devoir envers lui. Ils s'imposent ainsi à la communauté nationale en lui imposant leur propre loi sans que l'on parvienne à juguler un tant soit peu ce phénomène qui sape les assises de l'Etat et de la société à la fois. Son danger n'est pas moindre que celui du terrorisme au niveau économique comme au niveau social. Et il est facile de faire le parallèle entre les deux. Les deux mettent à mal le pays et engendrent presque les mêmes effets. On sape les assises de l'Etat ! Quand 50% de l'activité économique échappe au contrôle des pouvoirs publics, c'est aussi autant d'acteurs économiques qui lui font faux bond. Cela se voit d'ailleurs à l'œil nu avec ce que sont devenus nos villes et villages. On est partout à Sidi Boumendil. Tous les espaces ou presque sont des marchés de Libye. On peut facilement avoir dans une rue plus d'étals anarchiques que de commerces de tout genre. Alimenté par des produits de contrebande, d'autres «légalement importés» et de marchandises locales, ce secteur prive l'Etat de recettes substantielles à même de lui permettre de résoudre certains de ses problèmes financiers. Le système des trois circuits est, nous dit-on, bien rodé à telle enseigne que tout ce qui est proposé par ces étalagistes échappe à la taxation. Pour la contrebande, cela va de soi, mais pour ce qui est de ces conteneurs qui viennent par mer il est clair qu'il y a anguille sous roche. C'est vrai qu'on ne sort sa marchandise qu'en ayant tous les papiers en règle. On paye, certes, pour les avoir, on nous affirme que cela correspond rarement à la valeur de la marchandise introduite dans le pays. Quant au produit local qui sort de nos usines et ateliers et qui occupe une assez importante proportion parmi les étals, est-il facturé et acquitté de la TVA ? Il faut être vraiment niais pour poser une telle question. Mais pour l'usage, je ne peux m'en passer ! Bref, il est donc une fois de plus clair que l'Etat se fait voler à tous les niveaux de ces circuits et semble impuissant à faire face de manière efficace à la situation qui a enfanté vraisemblablement une véritable machine à arnarquer la communauté nationale, machine qui regroupe en son sein des barons qui ont les bras longs et sont capables de tenir tête aux pouvoirs publics qui ne sont pas d'ailleurs exempts de reproches, dans la mesure où des pratiques peu orthodoxes rendent certains services quasiment inopérants. Laisser-aller d'un côté, complicité de l'autre et la boucle est bouclée. Cela étant du volet économique, quant au plan social, le mal n'est pas non plus moindre avec cette mentalité qui s'installe chez bon nombre de Tunisiens et ces comportements auxquels nous assistons tous les jours dans nos villes de la part notamment de jeunes étalagistes dont plusieurs sont en bas âge. L'informel est un véritable mal qui ronge une partie loin d'être négligeable de notre société. Cela devient un phénomène réellement préoccupant et auquel on devra accorder de l'importance afin de minimiser son impact on ne peut plus nocif. Phénomène préoccupant ! Le commerce parallèle et la contrebande rapportent de l'argent. Beaucoup d'argent même. Passez du côté des banques tôt le matin et vous verrez quels sont ceux qui viennent avec leurs sachets en plastique noirs verser du liquide, et vous comprendrez pourquoi cette anomalie est devenue grave, très grave pour l'équilibre de la société et pour surtout l'avenir de ces jeunes qui ont quitté l'école pour aller exposer n'importe quoi et gagner de l'argent. Le rêve de beaucoup de jeunes, faute de pouvoir mener une carrière de footballeur, est d'avoir son petit étal quelque part dans le milieu urbain. Ils font cela au détriment de leurs études qu'ils quittent d'ailleurs à un stade précoce. Cela explique pourquoi le taux de garçons qui réussissent leur bac est de moitié ou presque par rapport à leurs camarades filles. L'informel qui gangrène la société fait perdre au pays beaucoup de futurs hommes utiles qui auraient pu percer dans plusieurs domaines productifs. La perte de cette partie de notre jeunesse est inestimable. La faute à qui ? pour ma part j'estime que tout le monde est responsable, d'autant plus que ces jeunes, par la force des choses et eu égard au milieu dans lequel ils évoluent, sont devenus de vrais délinquants usant de tous les moyens pour s'imposer et se faire un statut au sein d'une véritable jungle. Faire l'étalagiste draine tant de force vive vers un secteur où le gain est facile, certes, mais cela se fait au détriment du travail générateur de richesses pour le pays. Ceci explique d'ailleurs cette pénurie chronique en main-d'œuvre, notamment agricole. Aller travailler sous la pluie ou sous le soleil pour 20 dinars, alors qu'un petit étal de rien peut rapporter jusqu'à 100 dinars par jour! Il faut vraiment être fou pour faire cela. Voilà une autre valeur, celle du travail qui est sacrifiée sur l'autel de l'argent. Un argent qui n'est pas toujours propre. C'est cette mentalité qui est encore plus grave que ces comportements, cette violence verbale et physique dont ils usent entre eux et envers les passants qui subissent parfois un déluge d'obscénités pour avoir empiété sur un carton ou heurté un objet exposé. Mentalité préjudiciable pour eux, pour leur milieu et pour le pays, comportements répréhensibles et condamnables envers la société, sans le moindre respect ni pour les sexes ni pour les âges de ceux et celles qui ont la malchance de passer par ces rues et ruelles où ils font la loi. Voilà le visage hideux de l'informel qui a clochardisé la Tunisie et en a fait un pays où il ne fait plus bon vivre. Jusqu'à quand cela va-t-il durer, ou plutôt quand est-ce qu'on va vraiment bouger pour que l'Etat recouvre ses droits et pour que la société retrouve ses équilibres?