Par Abou Khalil * Monsieur le président de la République a, à l'occasion de la célébration de la fête de la Femme, le 13 août, et au cours d'une courte allocution, souhaité, très correctement et très politiquement, qu'on laisse nos fillettes vivre normalement leur âge. Ce vœu affirmé, avec beaucoup de délicatesse, par le chef de l'Etat, rentre bien dans ses prérogatives lui, le Président de la République élu par le peuple, lui, le garant de la Constitution, de l'ordre et de la stabilité du pays. Or, certaines voix se sont fait entendre, à la suite de cette déclaration dont celle d'un Cheikh que nous respections beaucoup parce qu'on le croisait, de temps à autre, dans des colloques engagés et essentiellement se rapportant à la lutte antiterroriste et parce que nous avons cru qu'il méritait bien de faire partie de cette classe supérieure, celle des grands maîtres comme le furent cheikhs Tahar et Fadhel Ben Achour, ces érudits exceptionnels qui ont marqué l'histoire et la théologie de l'islam par leur savoir, leur esprit de tolérance et de compréhension entre les peuples et les religions. Je voudrais dire au Cheikh Ferid qui, sur sa page Facebook, aurait mis en garde les politiques pour ne pas s'immiscer de la religion qu'il est du devoir du président de la République d'intervenir dans tous les domaines de la vie nationale à chaque fois qu'il perçoit l'imminence d'un danger certain ou lorsqu'il constate des activités ou des actions contraires à la sécurité ou à la concorde nationale. D'autre part, faut-il rappeler, au Cheikh El Beji que la Tunisie n'a pas été islamisée depuis seulement cinquante ou soixante ans et qu'elle est le pays de l'illustre Ezzeïtouna, le pays de Kairouan et de Mahdia qui ont été de grandes capitales du monde islamique, tout autant que Damas, Baghdad ou Cordoba. De même et grâce à l'excellente compréhension et application des règles et préceptes de l'Islam, la Tunisie est le premier pays musulman à avoir aboli l'esclavage, le premier pays musulman à s'être doté d'une constitution, le premier pays musulman à avoir, depuis soixante ans, légiféré l'émancipation de la femme et que, depuis, aucun pays du monde islamique n'a eu le courage de le faire, et même au point de vue souveraineté, notre pays est le premier à avoir engagé, en Afrique, la lutte politique appuyée par des actions armées pour l'obtention de l'indépendance. Oui, nous sommes fiers d'être le pays d'Ezzeïtouna, l'Université la plus ancienne dans le monde arabo-musulman. Son rôle éminent dans la préservation de l'identité nationale tout au long de dizaines de siècles et de tout ce qu'elle peut accomplir aujourd'hui en participant à la modernisation de la société et à son adhésion dans son environnement méditerranéen et mondial est louable et remarquable. Ses objectifs primordiaux, après sa renaissance, suite à la révolution de la liberté et de la dignité, sont d'abord l'approfondissement de la connaissance de notre patrimoine scientifique dans sa pureté et en second lieu l'établissement d'un dialogue fructueux entre les civilisations et les religions. Fondée en 730 après J.C., soit près de deux siècles avant l'Université du Caire dont elle est la promotrice, son rayonnement était, en fait, universel puisqu'elle était fréquentée par des étudiants venus du Moyen-Orient, d'Asie et d'Afrique et a formé de célèbres théologiens et de grands savants. En Tunisie, les Neifar, les Zoghlami et surtout les Ben Achour, Tahar et Fadhel, père et fils, ont été les purs produits et les illustres maîtres universellement connus de cette exceptionnelle université qui a marqué tant de générations. Malgré son léger déclin après les années 70 du siècle dernier, elle a connu, quand même, une modernisation certaine et nous a donné de remarquables cheikhs et théologiens. Cependant, malgré la richesse de notre pays en personnels religieux, nous avons été surpris, étonnés, stupéfaits, ahuris, déconcertés et abasourdis de voir, au lendemain de la révolution, le déferlement inédit d'une cohorte de soi-disant prédicateurs venus des pays du Moyen-Orient. Croyant qu'ils étaient venus pour nous féliciter pour la réussite de notre révolution, il s'est avéré, en fait, qu'ils venaient en Tunisie, le pays d'Ibn Khaldoun, de Tahar El Haddad, d'Aboulkacem Echabbi, et des Ben Achour et de milliers d'autres maîtres en théologie pour rectifier et corriger la voie que nous avons suivie, depuis quatorze siècles, dans l'application des règles et des préceptes de l'islam. Le pire est que ces insensés et ces autoproclamés prédicateurs, dont la plupart ne pouvaient même pas officier chez eux, ont été reçus, avec tous les honneurs et tous les égards, par les hautes autorités de l'Etat et des partis politiques formant le gouvernement. Ils étaient venus dans le but de nous apprendre les règles de l'islam, comme si nous étions des animistes vivants en Afrique Centrale et nouvellement islamisés. Tout le monde se souvient de la visite de l'un de ces pseudos-prédicateurs dans la ville de Zarzis où il a rendu visite à un jardin d'enfants, de bambins de cinq ans et moins dont des fillettes, des anges, portaient le nikab. Quelle horreur et quel crime abominable quand on pense que ces fillettes qui doivent vivre leur âge, jouer avec des poupées et commencer à apprendre les règles de politesse et de bonne manière, se sont vues transformées, avec des tenues aussi bizarres que démentielles, en bébés fantômes par ces adultes, leurs soi-disant éducateurs, Tunisiens de surcroît, supposés leur donner une bonne éducation, mais qui ont préféré démontrer leur soumission à leur seigneur et maître venu «inspecter leur travail». C'est à partir de ces moments et devant le laxisme, l'indifférence et l'inaction totale des gouvernants de l'époque, vis-à-vis un pareil comportement, pour le moins qu'on puisse dire, dégradant et honteux, que nos imams dont nombreux ne le sont que de nom, ont commencé en 2011 déjà, leur travail de sape, par des prêches d'endoctrinement très élaborés, destinés surtout à nos jeunes, pour les encourager à participer au «jihad» en Syrie et ailleurs, utilisant tout genre de stratagème, y compris le lavage de cerveaux et les fausses interprétations de certains versets de Coran dont la compréhension n'est pas aisée pour le commun des mortels. Ces «remarquables» maîtres en théologie, dont nombreux n'ont aucun diplôme ou qualification en la matière, fins connaisseurs quant au choix de leurs «proies», ont pu, assez facilement, convaincre ces jeunes, psychologiquement disposés à être entraînés dans leurs viles entreprises. D'autres jeunes et pour diverses raisons (chômage, échec scolaire, situation sociale familiale désespérée et ils sont nombreux dans ce cas), ont fait que des concitoyens soient présents dans la plupart des régions où les jihadistes sont actifs. Nombreux parmi eux sont morts pour une cause qui n'est certainement pas la leur, et s'ils croient qu'en mourant ainsi, ils se garantissent une place au paradis, ils se trompent certainement, l'islam prohibant et bannissant l'injuste combat entre musulmans. Ces imams ont même été capables d'enrôler des jeunes Tunisiennes, ironie du sort, à accepter de participer à un jihad très spécial, au plus ignoble des jihads, cette nouvelle forme de jihad importé de je ne sais quelle école de théologie «le jihad ennikah» destiné au repos du guerrier, ce jihad inventé par ces pseudo-prédicateurs, jihad qui ne sera pas un titre de fierté pour les Tunisiens et qui n'honorera pas notre pays, la Tunisie éternelle, ce pays qui a tant donné à l'Humanité tout au long de ses trois mille ans d'Histoire, le pays d'Hannibal, d'Ibn Khaldoun, de Tahar Haddad, d'AboulkacemEchabbi, de Hached, de Bourguiba et de tant d'autres. D'autre part, le mariage coutumier «azzaouaj el orfi» entre étudiants s'est développé d'une manière inquiétante et tout particulièrement à l'Université de La Manouba sans que cela ne dérange ni l'encadrement des facultés, ni les pouvoirs publics. C'est ainsi que notre jeunesse cultivée pratique la Liberté conquise suite à la Révolution ! L'inquiétant et le pire dans tout cela est qu'aucun gouvernement post-révolution n'a ordonné au parquet d'ouvrir des enquêtes et de poursuivre ces malfrats pour ces basses besognes. Voilà le résultat des prêches de certains de nos «héroïques» imams, sans foi ni loi, à la solde de partis fondamentalistes au service de nos ennemis, qui sont chargés et payés pour former des fanatiques, des obscurantistes et donner ainsi au monde la pire et la plus ignoble des images de l'islam et des musulmans qui ne seraient là que pour tuer, violer, terroriser, effrayer, chercher «la ghanima», angoisser et faire du mal et qui sont déjà synonymes d'horreur, de violence, de terreur et de terrorisme. Ces «valeureux» imams qui agissaient en toute liberté, sans aucun contrôle et sans aucun scrupule, qui n'ont de Tunisien que le nom, ont brillé de mille feux pour, usant de fausses et ridicules fatwas, endoctriner des milliers de jeunes tunisiens que nous retrouverons aux quatre coins du monde, là où des foyers terroristes sont signalés. Certains de nos jeunes compatriotes ont pu revenir et rentrer, clandestinement, en Tunisie. Mais qu'ils soient avec Daech, en Syrie, en Afrique ou ailleurs, la guerre finira un jour et nombreux parmi les survivants voudront et tenteront de rentrer. Sommes-nous prêts à les accueillir ? Que ferons-nous alors de ces jeunes, ces jeunes à la gâchette facile qui ont vécu une période plus ou moins longue en train de guerroyer, n'appliquant ni lois ni règles, s'étant habitués à une situation de désordre, de guerre et de conquête, intéressés uniquement par la «ghanima» qui leur a été promise. Aussi, il s'agit d'un sujet préoccupant pour nous tous et qui ne peut être négligé par les pouvoirs publics qui doivent s'y préparer, très sérieusement, avant qu'il ne soit trop tard. Ces jeunes, quelle que soit la durée de leur séjour à l'étranger, en train de guerroyer, ainsi que les imams qui les ont convaincus et les ont fait recruter et qui n'ont jamais été inquiétés, doivent, d'abord, répondre, devant la justice, de leurs faits et actes. Malheureusement, le Tunisien oublie vite et même très vite : tout cela est arrivé parce que les gouvernements post-révolution ont laissé faire, ont fait preuve d'un laxisme incompréhensible comme si de rien n'était et cela à plusieurs reprises. Il oubliera tout cela comme il a oublié, entre autres, le laisser-faire des gouvernants lors de la découverte de «camps d'entraînement sportif de jeunes dans les montagnes», de la descente du drapeau de son mat à l'Université de la Manouba et son remplacement par un morceau de tissu noir, de l'incompétence des pouvoirs publics, à l'échelle nationale comme régionale, lors de l'arrêt par des sit-inneurs chômeurs, de l'extraction et du transport des phosphates, commettant ainsi un sacrilège s'agissant de l'unique ressource minière nationale, ainsi que l'amoncellement des ordures dans nos villes et nos villages avec des odeurs nauséabondes qui durent depuis plusieurs années, ces villes et ces plages, jadis mondialement connues et renommées et qui sont aujourd'hui retombées aussi bas. Quant à notre Cheikh, Si Ferid El Beji, il nous a déçus parce que nous avons cru qu'il faisait partie de cette jeune génération de théologiens qui était en train de prendre forme en vue de faire renaître de ses cendres la flamme du flambeau des anciens érudits, les Illustres Ben Achour, qui ont illuminé le ciel du monde musulman par leur immense savoir, leur tolérance et leur volonté de rapprochement et de compréhension entre les religions et les peuples et cela pour le bien du pays, de nos concitoyens et de toute l'humanité. Mais comme le dit l'adage français bien connu «chasse le naturel, il revient au galop», nous y sommes. Dommage ya Cheikh. * Ancien cadre supérieur