Au terme d'un débat houleux et d'une grande polémique, les députés ont adopté la loi organique portant création de la Cour constitutionnelle. Maintenant, on se demande comment ses membres vont statuer sur les recours qui leur seront soumis par les citoyens-justiciables à travers les avocats près la Cour de cassation Ils étaient, vendredi 20 novembre, cent trente députés à avoir dit oui au texte définitif de la loi organique portant création de la Cour constitutionnelle, alors que trois autres ont choisi de s'abstenir. Donc, en faisant les comptes, seuls 133 députés ont assisté à la séance plénière qu'on peut qualifier de moment historique dans les annales du Parlement de la deuxième République, moment au cours duquel la Tunisie s'est dotée d'une instance aussi importante que la Cour constitutionnelle, considérée comme l'un des piliers, aux côtés d'autres instances, de l'expérience démocratique tunisienne. Parallèlement, quatre vingt-quatre autres députés (le Parlement compte 217 élus) ont estimé que leur présence et leur vote n'étaient pas nécessaires pour que la loi soit adoptée, ce qui revient à dire (chiffres à l'appui) que la Cour constitutionnelle a, enfin, vu le jour par la volonté de la moitié ou presque des députés de la nation. Pourquoi se sont-ils abstenus et pourquoi ont-ils choisi la politique de la chaise vide ? Les deux questions restent posées en attendant que le bureau de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) rende publiques les listes de ceux qui ont exercé leur mission de représentants du peuple et de ceux qui ont fait l'école buissonnière. Maintenant que la loi est adoptée et dans l'attente de l'expiration du délai des quinze jours réservés aux recours probables pour inconstitutionnalité de la loi en question avant qu'elle ne soit promulguée par le président de la République et publiée ensuite dans le Journal officiel de la République tunisienne (Jort), l'on se demande quelles nouveautés va-t-elle introduire dans le paysage juridique national ? En d'autres termes, quel profit ou quels dividendes pourrait en tirer le justiciable ordinaire qui souffre depuis les ères Ben Ali et Bourguiba de la lenteur excessive que prennent les tribunaux pour rendre leurs jugements ? Pour beaucoup d'observateurs qui suivaient quotidiennement le processus de la naissance de la Cour constitutionnelle depuis son examen tumultueux par la commission parlementaire de législation générale où les débats étaient houleux et contradictoires, il s'agissait d'une juridiction un peu spéciale sortant du domaine réservé à la justice ordinaire puisque se spécialisant dans des avis contraignants qui décideront de la constitutionnalité ou de l‘inconstitutionnalité d'une loi quelconque adoptée par l'ARP. Du travail pour les avocats auprès de la Cour de cassation Or, il se trouve que le justiciable ordinaire peut avoir recours à la Cour constitutionnelle pour lui demander de lui rendre justice au cas où il estimerait que le jugement rendu à son encontre par un tribunal quelconque est fondé sur une loi qu'il considère comme anticonstitutionnelle. «Seulement, précise le Pr Abdelmajid Abdelli, enseignant de droit public à l'université El Manar, le justiciable ne peut s'adresser directement à la Cour constitutionnelle. Seul un avocat inscrit à la Cassation peut plaider devant cette cour en invoquant l'inconstitutionnalité de la loi sur la base de laquelle son client sera jugé. L'affaire est suspendue jusqu'à ce que la Cour constitutionnelle rende son avis contraignant pour la juridiction statuant sur l'affaire en question. Et la Cour constitutionnelle, obligée de rendre ses avis dans les délais précis qu'on appelle des délais de rigueur, va se trouver confrontée à des milliers d'affaires, ce qui va retarder inévitablement le prononcé de ses avis. En plus clair, on n'est pas sorti de l'auberge et les avocats près la Cassation feront tout pour retarder au maximum l'examen des affaires où sont poursuivis leurs clients». Y a-t-il une solution pour éviter l'encombrement de la Cour constitutionnelle qui pourrait ne pas répondre dans les délais aux milliers de pourvoi dont elle sera saisie ? «D'abord, il faut attendre que la cour soit composée et installée pour voir comment ses membres vont exercer leurs fonctions. Toutefois, nous estimons que l'ARP doit voter un code de procédure pénale spécifique à la Cour constitutionnelle. Dans beaucoup de pays où les cours constitutionnelles sont en fonction depuis longtemps, on a recours aux chambres spécialisées (3 juges) pour accélérer l'examen des recours et en statuer rapidement», précise le juriste. Pour conclure, le Pr Abdelli revient à la polémique concernant le choix des futurs membres de la cour pour souligner : «Ce débat constitue un faux débat puisque dès le départ, le processus est erroné. Quand on accorde au président de la République et au président du Parlement le droit de choisir huit sur les douze membres de la Cour constitutionnelle, on est sûr que la majorité au pouvoir va dominer la cour».