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Suaire de l'Aimé, recueil en français de Jihen SOUKI : Ecrire comme on rêve
Publié dans La Presse de Tunisie le 12 - 12 - 2020

L'émotion, c'est-à-dire la substance de toute l'entreprise de création verbale de Jihen Souki, est aussi dans ce silence qui devance la parole poétique ou qui lui succède et où elle est encore, comme chez Georges Shehadé, Lionel Ray, Michel Collot ou d'autres, vibration intérieure, pensée spirituelle, élan affectif ou, enfin, continuité discrète, invisible, au-delà des mots du texte, dans le silence.
Dans ce long poème à huit courtes sections encloses dans le recueil au goût de cendre et de sel, mais aussi de raisin mûr, de Jihen Souki, Suaire de l'Aimé, qui s'étale chaudement sur 98 pages et où, à chaque marque pausale forte, il ne s'abolit point, mais, tel le phénix, renaît de ses cendres et se poursuit sans peine ni essoufflement, le suaire ou le linceul dans lequel est enseveli l'Aimé et tout le chant de nuit et de jour qui lui a été dédié, apparaît dès la première de couverture toute blanche et au milieu de laquelle surnage un titre à la couleur rouge sang, sang de l'Aimé, sang de l'amour ou de la mort ! Laquelle semble s'étendre au rythme du recueillement du poète alternant avec les petites strophes, sur ces nappes blanches des feuilles où la disposition typographique des notes et des morceaux, souvent brefs, use d'une partie considérablement réduite de l'espace des pages. Le blanc y règne en maître. Dans certaines pages, la parole se limite à quelques segments rythmo-phrastiques souvent courts et ramassés. Le vers inaugural «Le soleil est en rut» trône tout seul sur le blanc de toute la page d'ouverture (p.9) comme d'ailleurs le vers de la page 16, «Mains de l'ami» ou celui de la page 56, «Comme une porte au loin, poussée», ou celui de la page 77, «Un homme mourra au point du jour», ou encore celui situé en bas de la page 86, comme s'il venait de choir dans un précipice, «Ma nuit était battue». Dans certains autres endroits de ce recueil , on ne compte sur le blanc des pages que 3 ou même 2 vers (p.p. 10, 12, 21, 28, 42, 67 et 85).
Au-dessus, comme au-dessous de la parole poétique lapidaire, jamais prolixe, mise en page, à sa gauche comme à sa droite, le blanc, ni fortuit ni gratuit, revient continûment, triomphe et s'impose aux yeux du lecteur. Puisqu'il se distingue des lignes d'encre qui traduisent scripturairement la voix du poète, son chant, ses soupirs et murmures, ce blanc serait l'équivalent visuel du silence et ferait partie, paradoxalement, de cette parole poétique qu'il baigne, qu'il cerne dans les pages, qu'il troue parfois et traverse :
«(...) une forêt de/ viande noire/ où des feuilles/ rousses flottent et cuvent et cuvent». Car, écrit le poète et critique littéraire Jean-Michel Maulpoix, dans Du Lyrisme, «la parole poétique est faite de temps forts et de temps faibles, d'encre et de blancheur, de chant et de silence. Comme le cœur, elle alterne systoles et diastoles» (p. 332).
La poésie de «Suaire de l'Aimé» serait alors, en partie, dans cette très signifiante blancheur mortuaire envahissant les pages de ce recueil, et Jihen Souki serait aussi, à l'instar d'Arthur Rimbaud, transparaissant un peu à travers certains de ses vers, la «maîtresse de silence» (Illuminations). Le silence de l'amour où «le jasmin désire en secret le cardamome» (p. 26), le silence du songe, le silence de l'attente douloureuse de la naissance des mots et des images, le silence endolori après qu'un homme, probablement l'Aimé, «a enjambé les morts» (p.76) et «mourra au point du jour» (p. 77), quand «D'encre était la nuit/ D'acier de cendre de vieille écriture» (p.75). Un silence semblable par son épaisseur à celui qu'on observe entre deux prières et qui est recueillement et parole intérieure, retenue, inaudible et dans laquelle se tait «le fracas de la tonitruance» (Bachelard). L'émotion, c'est-à-dire la substance de toute l'entreprise de création verbale de Jihen Souki, est aussi dans ce silence qui devance la parole poétique ou qui lui succède et où elle est encore, comme chez Georges Shehadé, Lionel Ray, Michel Collot ou d'autres, vibration intérieure, pensée spirituelle, élan affectif ou, enfin, continuité discrète, invisible, au-delà des mots du texte, dans le silence. Parce que l'opacité délibérée de cette poésie de Jihen Souki, labourieusement travaillée et qui répugne à la facilité de la transparence plate, révèle son désir de restreindre le champ de la parole exéburante et communicative pour faire place à ce silence de la pudeur qui l'astreint à en dire moins, en espérant en suggérer plus et émouvoir davantage.
Et c'est de ce désir moteur que découle aussi ce sabotage permanent du sens ou son exil dans l'insolite au moyen de cet ordre verbal autre que Jihen Souki instaure souverainement dans son écriture et qui est au juste cette syntaxe du discontinu, de la suspension, de la non-linéarité, de la perturbation de la relation entre les signifiés et les signifiants, de l'impertinence (volontaire) et du démembrement qui brouille le message dénotatif intelligible : «Nuit contre nuit/ Quand/ captif du songe/ sur le fil à blanc chauffé/ l'iris/ égrène/ l'encre/ aux quatre vents/ ou rien/alors/ Qu'elle m'abîme» (p. 14). Un nouvel ordre de signification dans lequel Jihen Souki, en produisant une espèce de signifiance délibérément vague et vaporeuse, met en œuvre même des mots qui n'existent pas dans les dictionnaires de langue et qu'elle forge elle-même pour les besoins de sa suggestion connotative : «m'habîme» (m'habite en m'abîmant ou m'abîme en m'habitant). Abîmée est l'ordonnance habituelle des mots de la langue française et rien ne sert de l'habiter correctement si on espère atteindre ce «par-delà les nuages» (Molinié) ! semble dire Jihen Souki en transgressant presque systématiquement la logique sémantico-syntaxique qui régit la langue de communication ordinaire, et en façonnant sa parole poétique filée d'images imprévues, radicalement étrangères et étonnantes qui mettent à mal la signification et ne renvoient que de manière oblique (Riffaterre) et discontinue aux référents souvent réduits à une sorte de «simulacres» (Beaugault) dévastés par la connotation, le non-dit, l'implicite et le silence : «Combien te dire/ de ne pas seul/ errer/ dans les eaux troubles/ quand l'heure est au bleu Combien/ Proche de la chute est l'étoile en transe dans/ les champs/ de tournesol» (p. 35) , «Dehors// Personne hormis cet autre en selle vers l'aube son cheval aveugle acculé aux forges des brasiers le brise l'embrase et déchire le bandeau des routes l'absent de tous,/ l'absent de soi» (p.36), «Un fleuve la nuit d'hier/ est né// Un fleuve à l'entour file dans les pores/ du sable où l'eau/ fait rage// Un fleuve à l'entour file dans les pores/ où l'eau fait rage et monte/ avide aux lèvres// sans rumeur// Un fleuve à l'entour file dans les pores et monte/ et serpente avide aux lèvres ouvertes/ Désert» (p. 53).
Jihen Souki, qui aime à nous rappeller, en même temps que son éditeur suisse, sur la quatrième de couverture à la couleur rouge sang tel le titre, que «"Suaire de l'Aimé" est le livre d'un amour, et d'une migration», semble penser, non pas uniquement à sa propre migration intellectuelle et affective, peut-être aussi physique, vers la Syrie de l'artiste Khaled Barakeh, à laquelle elle dédie ces belles grappes de métaphores, mais aussi à cette créative migration des catégories langagières, des mots, sur l'axe de la combinaison morpho-syntaxique, c'est-à-dire à leur déplacement incessant au moyen de l'écart, du transfert et de la distorsion afin de créer cette «impertinence» dénotative qui n'est que judicieuse «pertinence» poétique et émotion pure jaillissant de la frappante beauté de ce recueil au langage insolite que Jihen Souki nous somme de «ne pas lire comme un recueil» et même de «ne pas lire» du tout (4e de couverture), et de vivre, par-dessus le sens inutile, sans intérêt, comme «une traversée, une épreuve» (Ibidem), en suivant «le souffle du poète» (Ibidem), en ce sens «le kaléidoscope de sa rêverie», pour employer une expression de Salah Stétié. Un kaléidoscope occupé par des bribes de sens épars, incertains, vacillants, comme de faibles lueurs, de brèves éclaircies, dans la brume entretenue, soutenue, du texte à laquelle Jihen Souki doit la beauté de ses images qui nous détournent, peu ou prou, de la dénotation de son «discours» pour mieux nous orienter vers la grâce de sa création verbale, poétique, qu'il ne faudrait pas lire, en effet, mais goûter, savourer, traverser, à la croisée de la nuit et du jour, comme un songe vertigineux, éphémère.
Clôturons cette présentation par ces vers de la section «Entendre», car la poésie, on le sait depuis toujours, s'entend telle la musique : «C'était l'aube.// Par trois fois en haut de la crête un homme a/ crié, dis-tu.// Un bruit d'ailes, non/ d'oiseaux/ De proche en proche/ dis-tu.// Une voix, de femme a dit/ Ce n'est qu'un songe.// Une voix plus proche, a dit/ C'en est un».
Jihen Souki, «Suaire de l'Aimé», Vevey, éditions de l'Aire, 2019
Jihen Souki est maître-assistante à l'Université de Sousse, FLSH.


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