A l'heure où les municipales approchent à grands pas et que certains partis ou coalitions en cours de constitution s'y préparent déjà, les députés gardent un silence troublant sur la création du Conseil supérieur de la magistrature et sur la désignation des magistrats et experts qui siégeront à la Cour constitutionnelle Quand la Constitution de la IIe République a été adoptée le 27 janvier 2014, on croyait que le processus relatif à la transition démocratique et à la migration de la Tunisie vers un véritable Etat de droit et d'institutions était, enfin, placé sur les rails de la concrétisation. L'idée répandue était que les trois années (2011, 2012 et 2013) qui ont précédé l'adoption de la Constitution au cours desquelles les Tunisiens ont vécu dans le temporaire et sous des gouvernements de gestion des affaires courantes faisaient désormais partie de l'histoire et qu'on allait s'installer dans le durable avec l'instauration des instances constitutionnelles prévues dans le texte de la Constitution, instances qui constituent le socle du régime démocratique, objectif principal de la révolution de la liberté et de la dignité. Et dans le texte de la Constitution, on ne s'est pas contenté d'inclure la constitution des instances constitutionnelles (en premier lieu le Conseil supérieur de la magistrature et la Cour constitutionnelle), on a pris l'engagement constitutionnel de fixer les dates limites auxquelles elles doivent impérativement voir le jour et entrer en fonction. On peut reprocher aux constituants de l'Assemblée nationale constituante issus des élections du 23 octobre 2011 le fait d'avoir mis trois ans, au lieu d'une année, pour rédiger la Constitution. Toutefois, l'on ne peut que les saluer pour avoir livré, in fine, un texte fondamental digne des plus grandes démocraties dans le monde et d'avoir aussi placé la barre très haut pour les députés qui allaient les remplacer au palais du Bardo le 26 octobre 2014 et qui étaient obligés de respecter les délais prescrits pour la mise en place des instances constitutionnelles. Malheureusement, l'année 2015 s'est écoulée sans que l'on parvienne à mettre au point ni le Conseil supérieur de la magistrature, qui devait être opérationnel au plus tard fin mai 2015, ni la Cour constitutionnelle, qui devait prendre le relais de l'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois fin novembre 2015 au plus tard. La loi organique portant création de la Cour constitutionnelle a été bel et bien adoptée à l'Assemblée des représentants du peuple mais on attend toujours la désignation des membres qui y siégeront dans la mesure où quatre parmi ces membres doivent être choisis par le Conseil supérieur de la magistrature dont la création est toujours bloquée. En attendant que les députés daignent réexaminer le projet de loi sur le Conseil supérieur de la magistrature et s'astreignent à y joindre les amendements ordonnés par l'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois, au niveau de l'ARP on s'active à la mise sur pied de la nouvelle loi électorale censée régir les prochaines élections municipales. Ces dernières élections peuvent se tenir d'ici fin 2016 à condition que la loi électorale soit adoptée fin avril prochain. A l'opposé, personne ne parle plus du Conseil supérieur de la magistrature et de la Cour constitutionnelle et au sein du palais du Bardo, on donne l'impression que la création des deux instances précitées ne constitue plus une priorité et qu'on pourrait tenir les municipales, voire les régionales, sans qu'elles (les instances) soient mises sur pied. Un cas inédit Pour en savoir plus, La Presse a approché le constitutionnaliste Kaïes Saïed, l'un des rares spécialistes à suivre encore l'action parlementaire et à attirer l'attention sur les dysfonctionnements qui s'y produisent, notamment au niveau du respect des délais constitutionnels. Il précise : «Malheureusement, une année après l'adoption de la Constitution et son entrée en fonction, les instances constitutionnelles qui y sont contenues sont restées temporaires, alors que d'autres ne sont pas à l'ordre du jour des députés, à l'instar de celles relatives aux droits de l'Homme, à l'environnement et au développement durable, comme si elles n'existaient pas au sein du texte de la Constitution. Aujourd'hui, les délais constitutionnels relatifs au Conseil supérieur de la magistrature et à la Cour constitutionnelle ont expiré et personne ne s'en offusque». «Pour revenir, ajoute-t-il, au projet de loi sur le Conseil supérieur de la magistrature, il constitue un cas inédit. Aucun projet de loi n'a connu un processus pareil puisqu'il a vécu des péripéties inimaginables entre le texte proposé par le gouvernement, remanié presque intégralement par la commission parlementaire de législation générale, adopté par l'ARP, rejeté par l'Instance de contrôle de la constitutionnalité des lois à la suite d'un recours d'opposition introduit par 30 députés, l'adoption par le Conseil des ministres des amendements introduits par la commission parlementaire, ce qui constitue un précédent, dans la mesure où le Conseil des ministres n'a pas à adopter des amendements proposés par la commission de législation. La commission elle-même n'a pas à adopter n'importe quel amendement. Son rôle est de proposer ses amendements à la séance plénière qui peut en tenir compte ou les rejeter. La célérité, plus que jamais à l'ordre du jour Le résultat de cet imbroglio est que les procédures ont pris le dessus sur l'indépendance de la justice. Il est grave qu'on s'intéresse uniquement à la forme et aux procédures bien qu'elles soient importantes». Peut-on tenir les élections municipales d'ici fin 2016 comme le soutient l'Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) ? «Oui, répond Kaïes Saïed, il est possible de respecter les délais fixés par l'Isie mais à condition d'œuvrer dans la célérité et d'amender le plus rapidement possible la loi électorale de 2014 en y ajoutant un chapitre relatif aux élections municipales. Il faut également accélérer la mise au point du code des collectivités locales ainsi que le statut des municipalités. Seulement, jusqu'ici la couverture municipale du pays est encore en retard par rapport au nombre des municipalités à créer. Reste que je crains que le mode de scrutin (liste + grands restes) qui régira les municipales transpose les tiraillements que nous vivons actuellement à l'échelle centrale aux régions et ce sont les grands partis qui remporteront les élections».