Selon la Fondation «Femmes et mémoire», l'évocation des faits et gestes des femmes dans le passé proche et lointain se réduit à une partie de leur contribution dans le mouvement national. La Fondation veut procéder à une relecture de l'histoire de la Tunisie afin d'en finir avec l'exclusion de la gent féminine des écrits officiels. Comptant parmi les fondatrices de l'Association tunisienne des femmes démocrates (Atfd), journaliste et écrivaine, elle est l'auteur d'ouvrages sur Bourguiba, Ben Salah et le mouvement autonome féministe tunisien. Dans le parcours professionnel de Noura Borsali, également ancien membre de l'Instance vérité et dignité (IVD), l'histoire de la Tunisie contemporaine a toujours été une passion. Elle veut y consacrer aujourd'hui la majeure partie de son temps et de son énergie en créant il y a une année, avec un groupe de femmes historiennes, universitaires et communicatrices la Fondation tunisienne « Femmes et mémoire». Elles ont vendu leurs bijoux pour financer le parti destourien «Nous voulons dépoussiérer les divers recoins de l'histoire des femmes de notre pays, le plus souvent oubliée, tue et ignorée des écrits officiels. Leur rôle par exemple dans le mouvement national n'a pas encore bénéficié de toute la lumière qui lui revient de droit. Elles ne sont pas mieux servies sur d'autres répertoires, leur participation à la vie associative, artistique et économique, ni à travers d'autres époques, la période et la cour beylicale, le règne des hafsides...», insiste Noura Borsali, la présidente de « Femmes et mémoire ». Elle poursuit : « Plus proche de nous, l'histoire présente jusque-là les droits des femmes tunisiennes comme offerts sur un plateau d'argent par le président Bourguiba. Or, sans dénigrer aucunement la volonté politique du premier chef d'Etat de la République tunisienne d'imposer le Code du statut personnel et son esprit avant-gardiste dès 1956, il faut bien avouer que Bourguiba n'est pas venu de rien. Il s'inscrit dans une mouvance réformiste, qui existe en Tunisie depuis la fin du XIXe siècle. Cette tendance a mis au centre de ses préoccupations les droits des femmes ». D'autre part, les membres de «Femmes et mémoire» dont Neila Charchour Mani, Ilhem Abdelkafi, Sonia Chamkhi, Chiraz Ben Mrad, Sonia Temimi, Samia Zghal Yazidi restent persuadées que le danger plane sur les acquis des Tunisiennes, à chaque fois remis en cause au moment d'un changement politique. Très vite après la prise de pouvoir de l'ex-président Ben Ali. Ensuite avec l'accès des islamistes au pouvoir à la suite du scrutin du 23 octobre 2011, où, entre autres, la polygamie, les noces « orfi », et le mariage des filles de douze ans sont redevenus des sujets de polémique et de débat sur les plateaux télévisés et dans les forums de discussion sur les réseaux sociaux. Pour Noura Borsali cette fragilité est quelque part due au déficit d'écrits sur les différents combats des femmes à travers le temps : « Elles ont été très présentes, par exemple pendant la lutte de libération nationale. En vendant leurs bijoux et en organisant des kermesses, elles ont contribué à financer le parti destourien et les études des leaders nationalistes, en France notamment. Bchira Ben Mrad, présidente de l'Union musulmane des femmes tunisiennes, créée en 1936, en avait parlé dans un long témoignage. Un matériau entre les mains des historiens Certaines ont été arrêtées, beaucoup ont investi la rue lors des manifestations contre le protectorat. Une série de photos exposées en 1989 par la chercheure et écrivaine Lilia Laabidi à la Galerie de l'information le prouve». Les Américaines et les Françaises, des universitaires notamment, furent les pionnières à investir cette nouvelle approche de l'Histoire, en y introduisant l'Histoire des femmes, particulièrement après le mouvement de Mai 68. Dans le monde arabe, le mérite revient aux Egyptiennes, un petit groupe d'universitaires, qui ont ouvert la voie en créant au Caire le Forum «Femmes et mémoire» dès la fin des années quatre-vingt. Au Liban, quelques travaux intéressants ont été réalisés par Tajamoo — Nissa al-lobneniyet (Groupe de femmes libanaises). En Tunisie, le Credif ainsi que quelques universités amorcent de telles recherches en recourant aux témoignages oraux, en se référant à la problématique du genre et en déconstruisant les discours qui s'alimentent de toutes sortes de discriminations. La Fondation, nouvellement créée, appuie sa démarche sur l'organisation d'activités et de sessions de formation dans le domaine de la mémoire et de l'histoire féminines. Elle a ainsi déjà initié deux workshops sur la méthodologie de l'écriture de l'histoire des femmes, le premier avec Nelly Amri, historienne spécialiste dans le soufisme au féminin et Leila Blili, professeur d'enseignement supérieur en histoire moderne. Noura Borsali précise toutefois : « Nous n'avons pas la prétention de faire un travail d'historiens. Nos recherches et les études que nous comptons élaborer seront un matériau entre les mains des historiens et historiennes. Ceci dit, nous veillerons à ce que ces recherches aient un caractère scientifique dans la démarche et l'élaboration. Par ailleurs, nous comptons faire appel à l'expertise de nos chercheur(e)s dans des domaines tels que l'histoire, l'anthropologie, la philosophie, la psychologie, la sociologie, l'économie, les sciences exactes, l'art... Car n'oublions pas que la question des femmes est une question transversale ». Le groupe veut devenir mixte au fil du temps Plusieurs actions sont prévues par les membres de la Fondation : la publication de monographies, d'ouvrages divers, de contes pour enfants et de films sur les diverses tranches de l'histoire des Tunisiennes afin de changer les mentalités et les images négatives en rapport avec la gent féminine. «Femmes et mémoire» prévoit de faire la collecte d'archives, de témoignages vivants et de documents et la mise en place d'une bibliothèque numérique qui ressuscite la présence des femmes dans les diverses époques de l'histoire. La Fondation compte également organiser le festival de cinéma «Femmes et mémoire» en partenariat avec la Maison de la culture Ibn Rachiq, dont la première édition est prévue pour le mois de mai prochain. «Quoique le groupe fondateur soit totalement féminin, nous veillerons à ce qu'il s'élargisse et devienne mixte comme l'est le conseil scientifique que nous avons mis en place pour veiller sur la ligne éditoriale de la Fondation et offrir son expertise dans les spécialités de ceux et celles qui le composent : les doyens Kelthoum Meziou et Habib Kazdaghli, la directrice du Crédif Dalenda Largueche, le directeur des Archives nationales, Hedi Jalleb.... Nous ne voulons pas reproduire les discriminations contre lesquelles nous œuvrons », ajoute la présidente de la Fondation.