Une décision a été prise, récemment, par le ministre du Commerce, imposant l'affichage du prix, du poids et de la qualité du pain exposé dans les boulangeries. La décision publiée au Journal officiel de la République Tunisienne (Jort) du 29 juin 2016 concerne l'organisation du secteur des boulangeries en Tunisie depuis la confection jusqu'à la vente du pain et la lutte contre la prolifération du phénomène des boulangeries anarchiques. Cette décision est une application de la loi 36 de l'année 2015 datant du 15 septembre 2015 relative à la réorganisation de la concurrence et des prix. La seule réaction que nous avions relevée jusque-là a émané de responsables du secteur qui ont soulevé l'affaire des 10 millimes que les boulangers ou épiciers ne rendent pas à ceux qui achètent une baguette. On y a signalé que cela compensait le sachet que l'on remettait en qualité d'emballage... Mais personne n'a soulevé le cas de la double marge bénéficiaire que les boulangers encaissent quand ils vendent leur pain directement aux clients sans passer par l'épicier. La marge qu'ils sont obligés de céder aux épiciers ou autres opérateurs avec lesquels ils ont affaire est un plus conséquent qui retombe dans leur escarcelle, étant donné que la clientèle préfère de plus en plus se fournir directement auprès de la boulangerie du coin. Ou encore que pour le pain, produit d'appel idéal dont personne ne peut se passer, il est souvent vendu avec d'autres marchandises pour lesquelles l'épicier remet un sachet. Cela donc ne tient pas debout, étant donné que le pourcentage de ceux qui viennent pour acheter seulement du pain est minime par rapport à ceux qui se rendent chez l'épicier pour acheter en parallèle d'autres denrées. Comment appliquer la loi ? C'est l'essentiel, parce que tout simplement un texte sans application rigoureuse ne sert à rien. Bien au contraire, il aggrave la situation et contribue à noyer le poisson dans l'eau. Jugez-en ! Nous avons rendu visite à une bonne partie des boulangeries et des pâtisseries du Grand-Tunis pour nous rendre compte de l'effet qu'a eu cette loi rappelée, et qu'ils sont tenus de respecter. Nous n'avons vu aucun affichage relatif à la situation sociale des lieux! Ils sont peut-être derrière une armoire, dans un tiroir ou ailleurs. Ils peuvent aussi ne pas exister du tout. Nous avons remarqué que sur les comptoirs, les mêmes genres de pains sont exposés : arabe, turc, aux oignons, au romarin, aux olives, brioché, au son, complet, en tresses, en boules, paysan, etc., etc. Les prix ne sont affichés nulle part. Pour ce qui concerne la composition et le genre de farine utilisée, les sourires ou la mine confite de ceux qui ont répondu à nos questions par un haussement d'épaules ou par une moue de surprise en disent long sur cette application. Quant à la pâte congelée livrée le matin aux grandes surfaces, elle se fait au su et au vu de tout le monde. Par bravade, assurance de l'impunité ou tout simplement par insouciance, cela n'est pas près de changer. Dans ces grandes surfaces, du pain à demi-cuit est vendu en sachets. La composition y figure, mais qui prouve qu'il n'a pas été fait avec de la farine compensée ? Personne. Où et qui prépare ce genre de «pains» ? Est-ce dans des boulangeries spécialisées ou dans ces taudis que l'on découvre de temps à autre dans des zones difficiles d'accès et qui travaillent au noir, sans aucune couverture sociale pour leurs ouvriers, dans des conditions d'hygiène déplorables ? A-t-on pris des précautions pour s'assurer que ces fabricants sont en règle avec les conditions imposées par la loi et qu'ils ont pris toutes les précautions relatives aux conditions d'hygiène en vigueur ou a-t-on seulement tenu compte des marges bénéficiaires ? Dans d'autres «boulangeries», les pains fournis sont visiblement d'un poids inférieur à celui imposé. C'est là une preuve supplémentaire que le secteur est livré à lui-même et que tous ceux qui sont capables de malaxer de la farine peuvent s'afficher boulangers et pâtissiers ! Tout est à faire Pour corser le tout et pour boucler notre tournée, au coin de deux rues nous avons relevé la présence de deux locaux qui vendent du pain qu'ils fabriquent sur place. Il ressemble à du pain appelé «tabouna» mais d'aspect seulement. Une fois à la maison, il s'est transformé en véritable plaque de matière plastique... Qui donc est chargé d'appliquer la loi ? Sera-t-il du ressort des contrôleurs économiques qui ont déjà fort à faire avec le reste des activités commerciales ? Les responsables du secteur devraient (c'est leur intérêt et celui de leur corporation) non pas se soucier du prix du sachet, mais bien d'examiner avec les autorités compétentes, et pourquoi pas l'ODC, la façon et la manière d'éviter que cette loi, qui, rappelons-le, date de 2015, ne retombe dans l'oubli. En mettant un terme à ce flou artistique, tout le monde y trouvera son compte. Il faudrait donc se hâter d'assainir le secteur, de protéger le consommateur, tout en faisant des économies conséquentes dont le pays a véritablement besoin. L'Aïd El Kébir, qui est à nos portes, servira de premier test pour jauger des intentions et du dynamisme des uns et des autres.