Quand le leader Habib Bourguiba a décidé de promulguer le 13 août 1956 le Code du statut personnel en sa qualité de Premier ministre du dernier bey husseinite Mohamed Lamine Bey (déposé le 25 juillet 1957, date de la proclamation du régime républicain et de la désignation par l'Assemblée nationale constituante de Bourguiba à la présidence de la jeune République tunisienne), beaucoup parmi les sceptiques croyaient que Bourguiba avait fait un pari plein de dangers et de risques sur la femme tunisienne vivant à l'époque dans la marginalisation et l'exclusion totales. Seulement, ils n'ont pas compris que Bourguiba avait fait accompagner son pari sur la femme par une révolution formidable, celle de la diffusion de l'enseignement gratuit et obligatoire dans tous les coins du pays et de la construction d'écoles dans les régions les plus éloignées du pays. Aujourd'hui, 13 août 2016, les Tunisiennes fêtent le 60e anniversaire de la proclamation du Code du statut personnel avec l'engagement de renforcer les acquis engrangés au cours de ces 60 ans de militantisme et de don de soi et aussi avec la volonté inébranlable de s'opposer fermement et durement à ceux qui cherchent à remettre en cause tout ce qui a été construit en faveur de la femme et à répandre les idées obscurantistes et rétrogrades qui considèrent la femme comme un objet sexuel à la disposition du mari, voire du concubin. Et pour gagner leur combat contre l'obscurantisme, les femmes ont décidé de s'illustrer, de réussir et de s'imposer dans les domaines où elles exercent. C'est le cas de l'avocate Rim Ahmed Gtari, la première Arabe à décrocher la médaille du barreau de Paris. Docteur en droit de l'université d'Ottawa (Canada), elle a été récompensée pour sa thèse «Le chantier d'égalité, un triomphe incomplet : les femmes tunisiennes entre rénovation et conservatisme». «Une femme doit compter sur elle-même» Mais pourquoi Rim Ahmed Gtari, installée au Canada, s'intéresse-t-elle à la situation de la femme tunisienne ? Elle répond : «Pour diverses raisons, je m'intéresse au statut juridique des femmes tunisiennes. J'ai grandi dans un environnement culturel arabo-musulman. L'islam de ma jeunesse est synonyme de tolérance et d'ouverture. Mon père feu Ahmed Gtari, ardent combattant contre l'occupation française, n'a jamais évoqué la religion pour nous dicter ses interdits. Pour lui, la place d'une femme dans la société dépend uniquement de ses capacités académiques, professionnelles et de sa capacité à gérer les difficultés de la vie. La résurgence d'idées islamistes rétrogrades, la multiplication des interdits imposés aux femmes musulmanes ne peuvent me laisser indifférente». Et la chercheuse d'ajouter : «La situation juridique et sociale des femmes tunisiennes fait figure d'exception dans le monde arabo-musulman. Malheureusement, la dynamique créée à la faveur du Code du statut personnel et l'élan qui s'en est suivi ont perdu le souffle ces dernières années». Un processus de longue durée Pour revenir à l'ouvrage de Rym Ahmed Gtari intitulé «L'égalité des femmes en Tunisie : histoire des incertitudes d'une révolution légale», paru en 2015, on découvre qu'il est d'une actualité brûlante puisqu'il épouse les grandes revendications avancées aujourd'hui par les féministes tunisiens qui, tout en reconnaissant les acquis accomplis depuis 1956, alertent sur le fait que «la réforme n'avait pas encore complètement réussi puisqu'il s'agit d'un processus de longue durée composant avec une évolution lente des esprits. Et à l'avenir, bien des choses seront encore âprement discutées après les changements que la Tunisie vient de connaître». Le professeur Blandine Chelini-Pont, enseignante à l'université d'Aix-Marseille et directrice de la collection Droit et religion, Aix-Marseille, université où l'ouvrage de Rym Gtari est publié, écrit précisément : «Le livre est un travail de militante, une militante féministe optimiste qui représente bien le génie d'une nation et qui sait combien l'avenir et la prospérité de son pays natal dépendent du sort fait à ses femmes».