La décentralisation sur laquelle se base la notion de «pouvoir local» consacrée par la Constitution est un processus qui pourrait, à certains égards, être comparé à celui de la transition démocratique La notion de pouvoir local, souvent très étroitement liée à celle de «décentralisation», est, depuis les années 1990, une sorte de remède à la crise de la représentation politique. En faisant participer les citoyens à la gestion des affaires locales, l'Etat tente de réconcilier les électeurs avec la politique. En ce sens, il existe dans la Constitution tunisienne et dans le projet de Code des collectivités locales beaucoup d'articles qui tendent effectivement à renforcer l'autogestion des collectivités et flirtent avec l'idée de «pouvoir local». Par exemple, l'article 139 de notre Constitution dispose : «Les collectivités locales adoptent les mécanismes de la démocratie participative et les principes de la gouvernance ouverte afin de garantir la plus large participation des citoyens et de la société civile à la préparation de projets de développement et d'aménagement du territoire et le suivi de leur exécution, conformément à la loi». Aussi, l'article 132 de la Constitution accorde aux collectivités locales «la personnalité juridique et l'autonomie financière et administrative. Elles gèrent les affaires locales conformément au principe de la libre administration». Compétences propres, communes et transférées Le projet de Code des collectivités locales, qui n'a toujours pas été examiné à l'Assemblée, accorde aux collectivités locales trois sortes de compétences. D'abord, les compétences propres. Il s'agit de prérogatives qui sont a priori (sauf s'il y a incapacité avérée) de la responsabilité exclusive de la collectivité locale. Puis, le projet met en évidence des compétences communes qui sont l'ensemble des prérogatives que les collectivités locales assurent en étroite collaboration avec l'Etat central. Enfin, il existe ce qu'on appelle des compétences transférées. Comme leur nom l'indique, ce sont des compétences que l'Etat central transfère aux collectivités territoriales, et à chaque fois qu'il transfère une compétence, celle-ci est accompagnée par un budget correspondant. Les articles 134 de la Constitution et l'article 13 du CCL vont dans ce sens. Comment dans ce cas répartir les compétences entre ces trois niveaux ? C'est là qu'intervient le principe de subsidiarité. Ce principe est en fait basé sur deux piliers : la proximité avec les citoyens et la capacité à faire la tâche. Ainsi, l'éclairage public fera partie des compétences propres d'une municipalité, le développement économique fera partie des compétences communes et la construction et l'entretien de l'infrastructure scolaire et culturelle figurera parmi les compétences qui seront transférées. Mais évidemment, nous n'en sommes pas encore là, et les maires qui seront élus devront, pendant un certain temps (peut-être 9 à 10 ans), se conformer à la loi des communes de 1975, qui réduit considérablement leurs marges de manœuvre. La loi de 1975 représente la déconcentration dans laquelle l'Etat central délègue uniquement une partie de ses compétences. Dans ce cas de figure, le chef du gouvernement reste le chef hiérarchique des cadres locaux et toutes les décisions au niveau local sont prises au nom de l'Etat central. Pouvoir local, un abus de langage ? Toujours en gestation, le code des collectivités locales, même s'il est adopté dans sa version actuelle, n'est certainement pas le couronnement du « pouvoir local » en Tunisie. De l'avis de beaucoup d'experts, la Constitution de 2014 est allée « trop loin dans la décentralisation » (expression utilisée parfois de manière péjorative par les nostalgiques de la déconcentration). A titre de comparaison, en France, la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 qui a instauré la décentralisation a choisi de ne pas parler de «pouvoir local». Pour justifier l'absence de ce terme, François Rangeon, professeur de science politique écrivait : «Décentralisé, l'Etat reste en France un Etat unitaire — et non fédéral – et le principe de sa prééminence sur les collectivités territoriales n'est pas remis en cause». Très peu de constitutions dans le monde ont en effet eu recours à la notion de «pouvoir local». Mais l'article 131 de la Constitution tunisienne dispose que «le pouvoir local est fondé sur la décentralisation. La décentralisation est concrétisée par des collectivités locales comprenant des communes, des régions et des districts. Chacune de ces catégories couvre l'ensemble du territoire de la République conformément à un découpage déterminé par la loi. Des catégories particulières de collectivités locales peuvent être créées par la loi». Or, jusqu'à présent, les districts n'ont pas encore vu le jour. Ensuite, il est important de souligner que les deux textes (la Constitution et le projet de code des collectivités locales) renvoient systématiquement à la «loi» (article 2 et 3 du projet). Tout est régi sur le plan local par une loi, toujours fixée par l'Etat central, jamais par les collectivités territoriales. En effet, l'hypothétique pouvoir local ne peut ériger de règles de droit spécifiques et ne peut en aucun cas s'attribuer unilatéralement de nouvelles compétences. Sur le plan financier, la situation n'est pas meilleure. Si le principe est de transférer les ressources financières aux collectivités locales, celles-ci restent dépendantes du pouvoir central. L'article 16 du projet du CCL dispose que «le pouvoir central transfère les ressources aux collectivités dans la limite de ce que décide le budget de l'Etat, conformément à l'avis de l'Instance supérieure des finances locales». D'ailleurs, le chef du gouvernement actuel, Youssef Chahed, l'admet volontiers : «La stratégie de décentralisation s'étale sur 9 ans». Il est donc clair que la décentralisation sur laquelle se base la notion de «pouvoir local» consacrée par la Constitution est un processus qui pourrait, à certains égards, être comparé à celui de la transition démocratique.