Dans le brouillon de la Constitution, le deuxième, douze articles ont été dédiés à la décentralisation. Un acquis, certes, par rapport à l'ancienne Constitution, sauf que certains experts, tout en valorisant ces articles, ne cachent pas leur peur de la reconstitution d'un système pseudo-décentralisé, ce qui met en péril les chances de «la région» — jusque-là une notion floue — à avoir une autonomie réelle de l'Etat central. La principale cause, si on considère qu'il existe une réelle volonté politique à instaurer cette décentralisation dans sa définition de subsidiarité ou de décentralisation fonctionnelle, n'est autre que le défaut des moyens financiers. Ces moyens, outre les moyens humains, sont nécessaires pour que les régions parviennent à réaliser d'éventuelles stratégies de développement qui vont de pair avec les espérances des communes dans une phase de transition difficile sur plusieurs plans. Un constat des experts internationaux en la matière affirme que, tout en ayant à ses côtés tous les atouts possibles, le processus de décentralisation reste très long et difficile... L'établissement d'un nouveau schéma institutionnel, la définition des niveaux de décentralisation, la répartition des responsabilités et des ressources entre ces différents niveaux par rapport à l'administration centrale, la garantie de l'autonomie administrative et financière des collectivités locales tout en favorisant la participation de la société civile, ainsi que la procédure à suivre afin de rendre juridictionnel le contrôle des collectivités locales, tels étaient les principaux volets abordés, hier, lors d'un séminaire, par une pléiade de responsables des différents ministères impliqués dans ce processus, notamment celui de l'Intérieur, outre des membres de l'Assemblée nationale constituante et des activistes de la société civile. Organisé par le centre de formation et d'appui à la décentralisation relevant du ministère de l'intérieur, ce séminaire, ouvert par le secrétaire d'Etat chargé de la Réforme, Saïd Mechichi, a été une occasion pour réfléchir sur ce sujet alors que le deuxième brouillon de la Constitution passera dans peu de temps devant l'Assemblée nationale constituante. L'instauration d'un système décentralisé suscite plusieurs interrogations, notamment en ce qui concerne l'équilibre à trouver entre la déconcentration du pouvoir et la décentralisation avec une approche démocratique et sans interférence de rôles. Autonomie...laquelle ? Dans son allocution, le président de la commission des collectivités publiques, régionales et locales à l'ANC, Imed Hammami, s'est félicité du travail élaboré par la commission qu'il préside, indiquant que le premier projet concernant la décentralisation n'a pas été profondément modifié. «C'est un projet qui est composé de douze articles, alors qu'il n'existait qu'un seul article dans l'ancienne Constitution concernant la décentralisation. Nous avons tenu à adopter une approche participative, notamment en impliquant d'emblée la société civile, des experts et des universitaires. Ce projet revêt une importance capitale dans la garantie et la constitutionnalisation du principe de décentralisation. L'objectif final est d'instaurer un modèle de développement régional sur la base d'une démocratie participative», a-t-il indiqué. Commentant les douze articles du brouillon de la Constitution relatifs à la décentralisation, le professeur agrégé et consultant en droit public, Mustapha Ben Letaïef, a loué ce projet qui, selon lui, consacre, entre autres, la décentralisation en tant que principe de répartition territoriale et de gestion des affaires publiques tout en garantissant l'équilibre entre elle et la préservation de l'unité nationale. «Cependant, a-t-il noté, les collectivités locales en Tunisie connaissent d'énormes difficultés, notamment financières, ce qui entrave leur capacité à subvenir aux besoins de leurs communes. Ce projet présente des défaillances à combler sur le plan de la formulation de certaines notions dont celle de ‘‘locale'' qui ne donne pas au ‘‘régional'' sa valeur réelle. De même, la représentativité dont bénéficie le gouverneur n'est pas claire et, d'ailleurs, la vision est floue quant à la déconcentration et la décentralisation au niveau régional. Le projet a évoqué trois niveaux de décentralisation, à savoir les municipalités, les régions et les districts. Et si la première est assez claire, les deux autres manquent de clarté, ce qui dévoile certaines contradictions dans la vision de la décentralisation comme elle a été évoquée. Il y a un risque de produire une simple technique administrative au lieu d'instaurer un véritable système de pouvoir», a-t-il enchaîné. D'autre part, dans son premier article, ce projet stipule la possibilité de créer de nouvelles catégories de collectivités locales, une question sur laquelle a réagi un bon nombre d'intervenants critiquant le manque de précision dans le texte ce qui laisse une grande marge d'interprétation tout comme l'interférence du domaine d'autonomie en matière de prise de décision par les collectivités locales avec celui de l'Etat. Un travail stratégique de longue haleine Sadok Belaïd, professeur de droit constitutionnel et ancien doyen de la faculté de Droit de Tunis, a, quant à lui, évoqué le manque de précision dans la formulation de certains textes, notamment celui concernant l'autonomie des municipalités et leur gestion des ressources qu'elles peuvent générer, entre autres, de leur adhésion à des organisations internationales et régionales. Selon lui, le champ d'action des collectivités dans le cadre de l'unité nationale dans lequel est présentée cette décentralisation n'est pas clair. De même, il a évoqué la possibilité de reconstituer une tendance tribale ou un certain régionalisme loin des orientations du pays... Pour sa part, le directeur général des collectivités publiques et locales au sein du ministère de l'Intérieur, Mokhtar Hammami, a présenté la vision dudit département quant à la décentralisation et les mécanismes à instaurer pour assurer un meilleur développement régional tout en gardant un point d'attache avec les orientations générales de l'Etat. Il a aussi évoqué les problèmes financiers auxquels font face les collectivités locales, en l'occurrence les municipalités dont la plupart ont été remplacées par des délégations spéciales, actuellement en difficulté à défaut de moyens financiers. Il a insisté sur le fait qu'en dépit des solutions trouvées pour rééquilibrer la balance financière des municipalités, ces dernières ne sont pas encore à l'abri et doivent innover leurs méthodes de gestion pour investir et garder leur équilibre financier et réduire leur endettement actuel. Hammami a aussi relaté la situation actuelle de la couverture du territoire municipal, notamment dans les zones rurales, qui nécessite un budget supplémentaire et une réforme fiscale qui est actuellement sous la loupe et qui serait réalisable dans quelque temps. Selon lui, il y a un besoin de créer une institution nationale pour la décentralisation avec l'instauration de commissions sectorielles. Dans ce sens, il a évoqué un débat national qui sera lancé prochainement pour élaborer une feuille de route qui servira de cadre d'action. Les deux experts internationaux spécialistes en décentralisation et bonne gouvernance locale, Michel Pinault et Patrick Noddings, ont affirmé dans leur intervention commune que la décentralisation est une vraie préoccupation de notre temps et que c'est un processus très long et difficile vu l'importance des choix à prendre sur plusieurs plans, notamment la réforme structurelle à entreprendre. L'émancipation des tutelles, les transferts de compétences au niveau local, les relations avec l'Etat central et la multiplication des acteurs intervenant dans ce processus, sont des volets parmi d'autres sur lesquels ils se sont étalés. «Vous êtes bien partis dans ce processus de décentralisation. Nous apprécions que vous cherchez à imposer vos fondamentaux tout en associant la société civile dans ce travail», a conclu Patrick Noddings.