Noureddine Taboubi a pris le relais de Rached Ghannouchi et Mohsen Marzouk ou Abdelaziz Kotti et ses amis visiteurs de Bachar Al-Assad. C'est lui qui donne les assurances qu'il faut aux représentants du FMI et annonce le retour ou l'installation définitive des entreprises étrangères en Tunisie Quand Sahbi Ben Frej, Abdelaziz Kotti, Mongi Rahoui, M'barka Aouinia et leurs camarades sont allés rencontrer Bachar Al-Assad pour lui dire que les Tunisiens attendent impatiemment le rétablissement des relations diplomatiques avec la Syrie, on a crié à la diplomatie parallèle et on a dénoncé l'usurpation de qualité, accusant Ben Frej et ses amis de parler au nom du parlement sans que son président n'en soit informé. Quand Rached Ghannouchi emmène avec lui périodiquement deux ou trois parmi ses lieutenants les plus fidèles et les plus dociles dans ses visites régulières en Libye, en Turquie ou en Algérie, on crie aussi à la diplomatie parallèle et on se pose la rituelle question à laquelle personne n'est en mesure de répondre : les accords dont il parle engagent-ils le gouvernement tunisien et les positions qu'il exprime bénéficient-elles de l'aval du président Caïd Essebsi qui déclare généralement qu'il en est informé une fois le président d'Ennahdha de retour en Tunisie ? Quand Mohsen Marzouk conclut des accords de partenariat avec des investisseurs italiens et leur promet des facilités que même Youssef Chahed ne peut faire, tout le monde se mobilise pour dire que le président de Machrou Tounès a outrepassé ses prérogatives et qu'il n'a pas encore compris qu'il a quitté le palais de Carthage et qu'il n'est plus le conseiller préféré et écouté de Si El Béji. Quand Hafedh Caïd Essebsi rencontre Erdogan et examine avec lui les perspectives de la coopération tuniso-turque, on l'accuse de chercher à doubler Ennahdha et aussi le ministre du Commerce qu'on presse quasi-quotidiennement pour qu'il entreprenne la révision de la convention commerciale bilatérale avant que le délai de révision n'expire et qu'on ne puisse plus refuser l'ouverture du marché tunisien aux produis turcs, en premier lieu les «glibettes blanches». La gouvernance parallèle devenue plurielle Mais quand Noureddine Taboubi, secrétaire général de l'Ugtt, invite les ambassadeurs des pays de l'Union européenne accrédités à Tunis conduits par l'ambassadeur-représentant à Tunis de l'Union européenne à la maison de l'Ugtt, place Mohamed-Ali, et leur fait un exposé de près de trente minutes en présence de journalistes sur l'état des lieux de l'économie tunisienne, sur la réalité des dépenses que le gouvernement est en train de consentir et aussi «sur les priorités que Youssef Chahed ignore», personne ne bronche comme si le SG de la Centrale ouvrière avait le droit de tenir aux partenaires de la Tunisie un discours autre que celui qui leur est proposé par le chef du gouvernement et ses ministres. Quand l'ambassadeur représentant de l'Union européenne fait savoir aux journalistes que «le discours de Noureddine Baboubi est convaincant et persuasif parce que crédible» et promet que l'UE fera tout pour soutenir la Tunisie parce qu'elle a confiance en l'Ugtt, tous se taisent et avalisent ces déclarations comme si les ambassadeurs de l'Union européenne avaient le droit de négocier avec les syndicalistes et de les considérer comme des partenaires avec qui ils ont à traiter au même titre que Youssef Chahed et ses ministres. Plus expressif encore est le commentaire révélé à La Presse par Mohamed Jemour, l'un des membres les plus influents du Front populaire : «Les ambassadeurs de l'Union européenne traitent avec l'Ugtt parce qu'ils savent qu'elle constitue la force n°1 dans le pays et qu'ils ne peuvent pas encourager les investisseurs à retourner en Tunisie s'ils n'ont pas des assurances de la part de Noureddine Taboubi». Et c'est bien ce qu'ont, semble-t-il, compris les membres de» la délégation du Fonds monétaire international (FMI) venus visiter la Tunisie pour voir si les conditions posées par le Fonds pour débloquer les deuxième et troisième tranches du prêt concédé à la Tunisie ont été respectées ou non. Rencontrant vendredi 14 avril les membres de la délégation du FMI, Noureddine Taboubi a déclaré : «Ils ont fait des promesses pour débloquer le prêt que le gouvernement attend. Les choses sont désormais plus claires maintenant. Il y a une évolution positive de leur opinion». Ce qui revient à dire que les indications fournies par les syndicalistes ont convaincu les experts du FMI, que le gouvernement va tenir ses engagements et qu'ils n'ont rien à craindre pour l'argent de leur institution. De son côté, Bjorn Rother, le représentant permanent du FMI en Tunisie, considère que la rencontre avec le SG de l'Ugtt a été «positive, conciliante et a apporté une vision claire». Que peut-on retenir de cette déclaration ? Que les représentants du FMI ont été convaincus par les arguments de l'Ugtt et qu'à l'avenir ils passeront par la place Mohamed-Ali avant ou après avoir négocié avec Youssef Chahed. Et comme les bonnes nouvelles appellent d'autres bonnes nouvelles, Noureddine Taboubi précise : «Les concertations de l'Ugtt avec les représentants de la Banque mondiale tenues mercredi dernier ont été positives et constructives dans l'ensemble». Encore une bonne nouvelle annoncée le même jour par Taboubi: «L'Ugtt est parvenue à un accord avec la société d'équipements d'avion de Mghira et La Charguia pour son installation définitive en Tunisie». Dans le même contexte, c'est le SG de l'Union régionale de l'Ugtt au Kef qui annonçait mercredi dernier le retour de Mercedes en Tunisie. Les observateurs qui suivent l'évolution des événements en Tunisie se posent la question suivante : est-ce que l'Ugtt a décidé de prendre les choses en main aux plans national et régional et de supplanter le gouvernement pour ce qui est du maintien des entreprises étrangères en Tunisie ou de l'encouragement de celles qui ont quitté le pays à y retourner ? Et si l'Ugtt s'est déjà octroyé cette mission et qu'elle annonce une réussite quotidienne, il est légitime de se demander ce que vont faire les ministères concernés, dont en premier lieu celui du Développement et de l'Investissement extérieur, ainsi que les institutions qui en dépendent et qui sont censées faire la promotion de la destination Tunisie, dans le but de séduire les investisseurs étrangers, ou, au moins, calmer ceux déjà établis et qui menacent quotidiennement de partir vers d'autres cieux plus cléments ?