En ce jour de fête des travailleurs, lequel parmi les partis politiques a fait de la valeur travail son cheval de bataille, a tenté de convaincre que le travail, la productivité, le labeur sont la source de richesses du pays la plus sûre et la plus durable ? Si cette voix existe, elle est inaudible. Au moment où les instances officielles célèbrent, à l'instar de la communauté internationale, la fête du Travail et des travailleurs, le contingent des 700 mille chômeurs que compte le pays pèse de tout son poids sur la stabilité politique et sociale, hypothéquant les prémices d'une relance économique et menaçant même des milliers d'emplois effectifs. Quel terme siérait le mieux à la célébration du 1er mai, cette année ? Difficile d'évoquer la notion de fête du Travail quand l'Etat a recours aux forces armées pour sécuriser les sites de production pétrolière, quand les emplois réels et existants dans des entreprises, jadis fleurons de l'industrie tunisienne, sont menacés par des sit-in interminables de protestations sociales, quand les tentatives du gouvernement de répondre (par des mesures) aux revendications des régions, longtemps marginalisées, restent vaines et quand les mouvements sociaux légitimes sont menacés par des tentatives de récupération politique aux sombres desseins. Le scénario n'est, certes, pas inédit pour un pays démocratique où la liberté de parole et de manifester est respecté, mais il faut toutefois craindre les pires dérapages quand se font entendre des appels à la désobéissance civile, à l'exacerbation du régionalisme ou carrément à la division entre les Tunisiens. La fête du Travail rimera donc cette année avec le désenchantement généralisé. Désenchantement des régions défavorisées où la colère continue de gronder. Les pneus brûlés, les routes barrées et les interminables sit-in revendiquant l'emploi se multiplient et s'étendent depuis plusieurs semaines. Les protestataires sont inconsolables, même quand le chef du gouvernement en personne, ou des délégations ministérielles, s'y rendent pour discuter et négocier face à face avec les sit-inneurs dans le but de trouver un terrain d'entente entre les revendications légitimes et les capacités — ou les limites — du pays à les satisfaire. Désenchantement du gouvernement d'union nationale confronté à la plus grave crise depuis son installation et qui voit ses soutiens politiques se réduire en peau de chagrin : même les partis politiques membres de la coalition au pouvoir, tout en affichant leur soutien aux mouvements de protestations, hésitent à parler des véritables capacités du pays à satisfaire toutes les demandes sociales, même si elles sont légitimes. Or qui parmi les Tunisiens ignore encore que le pays est surendetté, que la machine économique est grippée, que les réformes traînent et qu'aucun gouvernement, aussi compétent soit-il, ne pourra ou ne saura sortir le pays de la crise sans la contribution de toutes les forces vives du pays, sans « le consensus », celui-là même qui a conduit au Dialogue national, au Document de Carthage et à éviter le pire à chaque fois que le pays a été menacé dans son intégrité ? En ce jour de fête des travailleurs, qui parmi les partis politiques a fait de la valeur Travail son cheval de bataille, a tenté de convaincre que le travail, la productivité et le labeur sont la source de richesses du pays la plus sûre et la plus durable ? Si cette voix existe, elle est inaudible. Pourtant, l'heure est grave, près de six ans après les événements populaires qui ont mis le pays à feu et à sang au nom de l'emploi et de la dignité. La révolution a, certes, réussi à mettre fin au régime du parti unique et ouvert la voie devant le multipartisme, le multisyndicalisme, la société civile et la liberté d'expression, mais la classe politique, toutes sensibilités confondues, qui a pris les rênes du pouvoir après les élections libres et démocratiques de 2011 et de 2014, n'a pas réussi à réaliser ses objectifs économiques et sociaux. Désenchantement des organisations syndicales, dont le rôle premier est de défendre l'emploi et les intérêts des travailleurs. Bien qu'elles aient proliféré après 2010, elles ont été spectatrices de la déchéance de l'édifice économique, de la fermeture d'entreprises, du blocage des usines, du manque à gagner pour l'Etat, donc pour le peuple, dans les secteurs du phosphate et du gaz. A défaut de contrebalancer la déconfiture des gouvernements successifs, elles se sont rivalisées en surenchères comptées en nombre de jours de grève. Et s'il faut considérer le terrorisme armé comme une fatalité mondiale, la corruption est une autre forme de terrorisme que le gouvernement seul, quel qu'il soit, ne peut combattre. Dans ce chapitre également, l'attitude générale est à la dénonciation, sans plus. Les défis sont aujourd'hui majeurs et les moyens de l'Etat modestes, pour ne pas dire inexistants. Le chômage est lui aussi un fléau mondial, mais en Tunisie l'effervescence post-révolutionnaire lui donne une dimension inquiétante pour l'avenir du pays. Aujourd'hui, le mouvement syndical militant est plus que jamais appelé à jouer son rôle historique de régulateur voire de sauveur, comme il l'a fait en évitant au pays une guerre civile assurée en œuvrant pour l'institution du Dialogue national. Le multisyndicalisme, une composante essentielle du processus démocratique, a affaibli la centrale syndicale et octroyé une grande marge de manœuvre aux structures régionales, mais l'intérêt de la nation doit, dans les circonstances difficiles, primer sur celui des personnes. Un Etat affaibli ne peut satisfaire ni les attentes des citoyens ni sortir les régions de leur isolement.