Présentée en avant-première, le mois dernier dans le cadre des Rencontres du jeune théâtre d'El Teatro, «L comme oiseau» a été représentée le week-end dernier dans ce même espace devant un parterre qui était totalement séduit par l'approche et le message de cette œuvre, mise en scène par Walid Ayadi. L'homme à une seule aile est bien là... il est né ainsi... une aile à la place de sa main droite... oui, il a été aperçu par certains... il y en a même qui ont vécu avec lui. Avec son aile, serait-il parmi nous pour porter une lettre à l'humanité ? Telle quelle, l'histoire, racontée par l'auteur roumain Matéi Visniesc et adaptée par Walid Ayadi de ce point de vue, est une excellente idée de nous faire découvrir l'univers de cet auteur avec cette pièce fortement poétique, où le burlesque côtoie le drame, composée d'une succession de scènes courtes, mettant en jeu une multitude de personnages hauts en couleur. A qui pose la question de la différence et des regards subjectifs qui se portent sur elle. Une thématique qui prend un sens tout particulier en ces temps où la différence est jugée, mise à l'index et stigmatisée. Il faudrait peut-être quelques mots pour présenter d'abord Matéi Visniec. Historien et philosophe poète, il publie ses premiers textes en 1972. Il passe plus tard au théâtre. Il se nourrit de Kafka, Dostoïevski, Poe, Lautréamont, Borges... Il aime les surréalistes, les dadaïstes, le théâtre de l'absurde et du grotesque, la poésie onirique, la littérature fantastique, le réalisme magique du roman latino-américain, le théâtre réaliste anglo-saxon, et de toute évidence, il n'adhèrera jamais au réalisme socialiste. Il sera censuré par le régime communiste et la Roumanie pour s'installer en France. A ce jour, une dizaine de ses pièces écrites en français sont éditées et ont fait l'objet de nombreuses créations. La proposition de Walid Ayadi semble fidèle à l'esprit de l'œuvre, avec ce personnage central «l'homme l'oiseau», objet de toutes les convoitises, des peurs et des réticences, qui évolue dans un espace dramatique à part, à l'écart des conversations et des débats dont il est le centre. Les dialogues sont courts et incisifs, trahissent la pensée malsaine d'une société à l'affût du sensationnel. La singularité passe aussi par différents niveaux de temporalité dans une même scène. Les personnages se souviennent, reviennent sur des faits, commentent avec des propos qui s'entrecroisent et un jeu sur la temporalité avec des allers-retours entre présent et passé à coup de flash-back. L'homme oiseau n'est pas acteur, il est sujet à travers lequel la nature impose son diktat et joue un mauvais tour à l'esprit humain. La pièce résume son propos, en plus de la question de la différence, sur le désir assassin de vouloir normaliser chaque chose de la vie. La question centrale devient, alors, percer les secrets de la nature en amputant cette créature magique de son membre ailé, ou bien laisser la différence s'épanouir dans toute la richesse qu'elle puisse apporter ?