Ouverte trois jours après le second tour des élections présidentielles en France, la 70e édition du Festival international de Cannes s'annonce riche de 50 longs métrages dans la sélection officielle, dont 19 en compétition. La première nouveauté dans la compétition n'est autre que la présence de deux films «Netflix», la plateforme de diffusion sur internet. Il s'agit d'«Okja» du Sud-Coréen Bong Joon-Ho et «The Meyerowitz Stories» de l'Américain Noah Baumbach. Pourtant,«cette situation unique et inédite», selon le délégué général du festival, a suscité toute une polémique accompagnée de rumeurs de toutes sortes. Car, ces deux opus en compétition ne sortiront pas sur les écrans français, la réglementation en France empêchant une plateforme comme Netflix de sortir un film en salles en même temps que sa diffusion en ligne, un délai de 3 ans devant être respecté entre les deux. Or, il est hors de question pour Netflix d'attendre 3 ans pour la diffusion du film en ligne sur sa plateforme française. Ce qui a provoqué un tollé du côté des exploitants de salles en France, la Fédération nationale des cinémas français (FNCF) et de l'ARP (Association des auteurs, réalisateurs et producteurs) qui, protestant contre l'éventualité qu'une Palme d'or ne puisse pas sortir sur les écrans français, ont appelé à revoir la réglementation sur la diffusion des films. Cela pour «l'intérêt général du secteur et la pérennité de son financement». Plus, les distributeurs français ont accusé le géant américain du streaming par abonnement (SVOD) de «vouloir clairement la mort des salles». Bref, cette «révolution» dans la compétition officielle n'a pas résisté à la bonne tradition cannoise stipulant que tout film sélectionné en compétition, à «Cannes», doit être distribué en salles. Du coup, face à ce tollé, le festival a annoncé une modification de son règlement pour 2018, en imposant ainsi une sortie en salles à tous les films en lice à Cannes : «Dorénavant, tout film qui souhaitera concourir en compétition à Cannes devra préalablement s'engager à être distribué dans les salles françaises». Cependant, les deux opus de Netflix sont maintenus en compétition malgré la rumeur ayant couru sur leur éventuel retrait. Mais coup de théâtre lors de la conférence de presse du jury de cette 70e édition. Son président Pedro Almodovar «refuse d'offrir la Palme d'or à un film non distribué en salles». Répondant à une journaliste lui demandant «s'il préférait être diffusé dans 180 pays par Netflix ou dans des salles de cinéma», le réalisateur espagnol a répondu : «Les deux». Puis de lire un communiqué au ton ferme: «Je ne crois pas que la Palme d'or ou n'importe quel autre prix devrait être décerné à un film qui ne sera pas vu sur un grand écran, ce serait un paradoxe». Ce qui n'a pas eu l'heur de plaire à deux membres du jury, Will Smith et Agnès Jaoui, qui refusent que «ces deux grands réalisateurs soient pénalisés», estimant que des solutions intermédiaires existent, puisqu'on peut aussi bien regarder Netflix qu'aller en salle. Habitués du festival Dans cette 70e édition, seulement 19 films d'Europe,d'Asie et d'Amérique sont en lice, l'Afrique étant absente cette fois-ci de la compétition. Pourtant, les années précédentes, de 20 à 22 films figuraient dans la compétition. S'agit-il d'une question de qualité car, outre dix nouveaux cinéastes en lice, seuls quelques habitués du festival sont présents tels, notamment, l'Autrichien Michael Haneke avec «Happy end» interprété par Isabelle Huppert et Jean-Louis Trintignant, lesquels incarnent un couple bourgeois du nord de la France vivant à côté d'un camp de migrants. Doublement palmé pour «Le ruban blanc» et «Amour», cet habitué de Cannes raflera-t-il une troisième Palme d'or? Ce qui sera une première. Attendons voir. Autres habitués du festival: la Japonaise Naomi Kawase avec «Radiance», un charme doublé d'une romance autour d'un caméraman souffrant de troubles de la vision. Le cinéaste français Michel Hazanavicius, pour la troisième fois à Cannes, présente, après «The Artist», en 2014 (prix d'interprétation masculine pour Jean Dujardin), «Le redoutable» qui se focalise sur le parcours de Jean-Luc Godard. Le film est tiré du roman «Un an après» de son ex-femme Anne Wiazemsky. L'action se déroule dans les années 60, au moment du tournage et de la sortie de «La Chinoise» et des événements de Mai 68. Louis Garrel y joue le rôle du cinéaste de la Nouvelle vague. L'Américaine Sofia Coppola est, elle, de retour avec «Les proies» après sa participation avec «Marie Antoinette» en compétition en 2006. Nicole Kidman et Colin Farell incarnent les personnages principaux évoluant dans un pensionnat de jeunes filles dans l'Etat de Virginie en 1864, en pleine guerre de sécession. Le Russe Andreï Zviaguintsev concourt, cette année, avec «Loveless» (sans amour) après trois participations dans la sélection officielle avec «Le Bannissement» (Prix d'interprétation masculine en 2007), «Elena» (Prix du jury section «Un certain regard» 2011) et «Leviathan» (Prix du scénario en 2014). Inspiré de «Scènes de la vie conjugale» d'Ingmar Bergman, «Loveless» est annoncé comme l'un des films favoris pour la Palme d'Or de cette 70e édition. Enfin, le cinéaste germano-turc Fatih Akin, auréolé du prix du scénario de Cannes 2007 pour «De l'autre côté», retourne, dix ans après, sur la Croisette avec «In The Fade» («Dans le noir») interprété par Diane Kruger et Denis Moschitto. Le jury présidé donc par le cinéaste espagnol Pedro Almodovar, qui n'a jamais remporté la Palme d'Or, malgré six participations et pourtant auteur de 20 films hauts en couleur, dont les inénarrables «Femmes au bord de la crise de nerfs», «Talon aiguille» et «Tout sur ma mère», outre l'émouvant «Parle avec elle», aura, avec ses jurés dont les acteurs américains Jessica Chastain et Will Smith, l'actrice et réalisatrice française Agnès Jaoui, le réalisateur italien Paolo Sorrentino et la réalisatrice allemande Maren Ade, bien du pain sur la planche pour départager les 19 films en compétition. D'autant que la polémique autour des deux films de la plateforme «Netflix» divise, déjà, le jury.