Béchir Garbouj nous propose un ouvrage hautement romantique où il nous entraîne sur les pas d'un jeune Tunisien qui, au plus fort de la bourrasque de mai 68, s'éprend de Nadine, autour de laquelle orbitent déjà de jeunes Français. Et saisit évidemment tout le sens de ce soulèvement soixante-huitard et ses répercussions incontournables, il est moins impressionné par les affrontements des boulevards que par les grands émois qui tempêtent dans sa poitrine. Il est jeune parmi d'autres jeunes en 1968, et la France est un pays prospère, apaisé, le franc est fort, c'est le plein emploi, les guerres coloniales sont un lointain souvenir... Alors pourquoi les jeunes s'insurgent-ils ? L'auteur répond par une autre interrogation : la perspective du bonheur par la consommation peut-elle suffire quand on est jeune et quand on regarde vers l'aventure de Che Guevara, des gardes rouges de la Chine révolutionnaire, des Vietnamiens en armes contre les Américains ? Le bien-être ne parvient plus à satisfaire les jeunes C'est la trame de fond dans laquelle Moncef s'éveille à une nouvelle vision de ces jeunes qui semblent avoir tout, mais qui en demandent encore. Des moments d'un romantisme criant pour ceux qui suivront. Imaginez-les dans une arrière-salle de bistrot ; là où l'on refait le monde, boulevard Sébastopol, ils sont une demi-douzaine et au centre une fille de leur âge et autour de laquelle ils orbitent. Lui est en retrait, intimidé, déjà amoureux sans le savoir et sans savoir que c'est peut-être le cas pour tous les autres garçons. Car mai 68 a eu aussi cet effet de donner des voix pour les femmes par le truchement de leurs cadettes devenues délurées après les affrontements. Car c'est l'escalade... D'abord, les garçons demandent que leurs amies puissent leur rendre visite au dortoir, puis ils remettent tout en question dans le système d'éducation, veulent la liberté des femmes de disposer de leur corps... et se rendent compte que l'inégalité est partout présente dans cette France occidentale, citée partout en exemple et dont le bien-être ne parvient plus à satisfaire les plus jeunes. Ce sont les étudiants de Nanterre qui allument la mèche et la rébellion contre l'Université se mue en rébellion contre l'Etat. La Sorbonne est occupée, les autres Universités suivent. Le soulèvement fait tache d'huile et les travailleurs rejoignent la cause. Pompidou, premier ministre de De Gaulle, le transforme adroitement en négociation salariale et les travailleurs laissent tomber les étudiants. Mai 68 tombe à l'eau. Mais en apparence seulement, car les principes criés par les étudiants d'alors sont devenus les fondements de la nouvelle modernité d'aujourd'hui. Dans le secret de son cœur Moncef vient de cette Tunisie qui s'éveille elle aussi au monde moderne et dont les étudiants ont déjà fait parler d'eux. Certains ont même été déportés dans des camps au sud. Mais il sait qu'ici en France, on n'envoie pas les gens en déportation parce qu'ils ont exprimé une opinion. Ici, l'Etat est patient et Nadine est là. Il fait attention à ses moindres faits et gestes qu'il idolâtre dans le secret de son cœur, jusqu'aux moments de pause dont elle avait le secret, y compris dans les grands moments des effervescences révolutionnaires de ces jeunes qu'il ne comprenait pas en vérité, eux qui ne semblent pas se rendre compte de leur chance d'avoir de telles universités rutilantes, suréquipées. Pour Moncef, ce n'est pas aussi simple de s'enticher de Nadine, elle ne semble pas le voir, elle a une relation évidente avec Serge, l'un des trublions de leur petite troupe. Pourtant, quand les choses commencent à aller mal, Moncef n'hésite pas à se dévouer pour aller la chercher au plus fort de la bourrasque. Bien des années plus tard, devenu un vieux prof, il se remémore ces événements qui ont, non seulement, bouleversé sa vie,s mais aussi de beaucoup d'autres, innombrables, partout dans le monde. Pour sa Tunisie natale, dont le regard est sans cesse braqué vers ce qui se passe en France, mai 68 donne ainsi une sorte d'assise et de légitimation à ses propres soubresauts estudiantins principalement pour la Gauche, principal vivier de la société civile. Des années plus tard, que reste-t-il de tout cela ? «Lénine, c'est juste pour le souvenir», glisse l'auteur. Une autre mesure de romantisme. Passe l'intrus, 183p., mouture française Par Béchir Garbouj Editions Déméter, 2016 Disponible à la Librairie al Kitab, Tunis