Par Rejeb HAJI* « Choisir un homme, fût-il le meilleur, au lieu de choisir une politique, c'est abdiquer. Encourager la nation à croire que tout sera résolu par un homme sans qu'elle intervienne elle-même, sans qu'elle choisisse et décide, c'est donner aux mauvais politiciens une chance inespérée». (Pierre Mendès France) Après une année d'observation, où j'étais appelé à servir auprès du président de l'ARP, je tiens à rendre un vibrant hommage à Si Mohamed Ennaceur, pour la confiance et l'amabilité jamais défaillantes à mon égard. Il m'a permis de suivre les travaux de l'ARP et de connaître les méandres de l'Assemblée, en toute indépendance. Je lui en saurai gré. Quant au respect du secret professionnel, il est devenu pour moi une tradition que j'ai toujours respectée le long de mes quinze années de responsabilité comme membre de cabinets ministériels. Je l'observerai de nouveau à jamais, concernant ce passage dans le législatif. Comme le journal La Presse nous ouvre son espace de liberté pour les débats qui concernent l'avenir du pays, je reprends de nouveau ma plume pour exprimer mes opinions parce que j'aime mon pays et j'assume pleinement son histoire. Même ses périodes douloureuses où je fus pourchassé, en 1987, par un Premier ministre sans vergogne, sans foi ni loi. J'ai applaudi aux dernières nouvelles commandes du bateau Tunisie, un nouveau commandant avec un nouvel équipage. Comme tous les nationalistes, j'ai adhéré à ses choix, lui souhaitant plein vent pour nous amener à bon port! J'espérais que la période de transition allait vers sa fin. Rien de tel aujourd'hui. Le mystère typiquement tunisien, quel que soit l'équipage, s'avère s'amplifier. Aucun marqueur nouveau n'est venu répondre aux enjeux et aux attentes. Les ratés politiques, les défauts de postures, les indécences morales, les sauveurs de tout acabit, chacun avec sa boîte d'outils et ses solutions miracles offrent leurs services pour sortir le pays du long tunnel. Ayant assumé le pouvoir, certains reviennent à la charge alors qu'ils ont échoué, quand ils en avaient la charge. L'idée qu'il existait un sauveur à la Bourguiba, l'idée qu'une personne serait la solution reste populaire dans ce microcosme de partis sans référence ni tradition. Encore une année de récession, un chômage massif, une inflation forte, un dinar à la dérive, des finances et des entreprises publiques lourdement déficitaires, un état hyperendetté, un pouvoir d'achat érodé, une classe moyenne en voie de disparition, une situation de quasi-banqueroute, une perte de souveraineté totale au profit des institutions financières qui occupent même les lieux...Regardons la réalité en face. Consacrons notre énergie ou ce qu'il en reste à débusquer «la politique, avantages et corruption». Les déballages dans des institutions publiques qui ne sont pas au-dessus de tout soupçon et qui se considèrent comme maître à bord sans contrôle ni bilan, dépensent l'argent du contribuable, souvent sous couvert humanitaire. Ils deviennent des justiciers, voire les seuls détenteurs de la vérité alors qu'elles fonctionnent sans quorum et avec des démissions qui se suivent. Tel est le nouveau modèle qu'on veut nous imposer. L'espace médiatique est aux aguets des déclarations péremptoires et recherche du buzz. Mais qu'en est-il de la réalité du pouvoir ? Qui l'exerce ? Dans notre histoire récente, Bourguiba était à la tête d'un Etat émergent qui planifiait et exécutait ses plans, puis ce fut son éviction par un complot médical, une innovation tunisienne, pour semer la corruption et puis enfin une nouvelle génération importée d'ailleurs, parfois de prison, pour apprendre à gérer sur le dos du citoyen en faisant main basse sur une administration qui se veut indépendante, où le secteur public occupait des positions considérables dans l'appareil économique, ce qui a permis de sauver la révolution. Cette révolution autoproclamée, qui a fait naître aussi bien des espoirs que des désespoirs, a modifié la donne et nous a plongés dans une période d'illusion collective. Il est difficile de réformer aujourd'hui. Si le premier des droits du Tunisien, c'est de recevoir une éducation moderne et évolutive adaptée à son temps, d'être soigné là où il se trouve, d'avoir un salaire décent en corrélation avec ses aptitudes, de bénéficier d'un logement approprié, sa principale revendication reste également et surtout d'être libre dans une société démocratique et transparente où il est à la fois l'acteur et le témoin. Ces objectifs ont été ceux de Bourguiba et de disciples. Depuis la révolution, rien n'a été fait en profondeur pour lutter contre la corruption et pour la transparence de la vie publique. Malgré la création, en grande pompe dans les médias, d'une commission spécialisée, son résultat demeure flou, voire insignifiant. Plus grave encore, on n'a fait que jeter l'anathème sur toute la classe politique qui souffre déjà de son incapacité à résoudre les problèmes du pays et qui s'arcboute à des élections du passé, celles de 1974. Vu le mode de scrutin retenu d'alors, la loi électorale a été faite sur mesure puisque le choix a été fait sur des listes où un fourre-tout a été toléré et accepté. Nous l'avons contesté en son temps (voir De la Révolution..tout un programme !). Le résultat de ce choix ne s'est pas fait attendre puisque les deux plus grands partis ont raflé la mise avec 71.4% des sièges pour un pourcentage équivalent en nombre de voix. De quelle pluralité parle-t-on lorsqu'avec le restant des participants, soit les seize autres parties concurrentes, ne recueillent que des pourcentages symboliques, moins que l'assistance d'un match de football entre deux grandes équipes ? De quelle présence parle-t-on lorsque sur les 217 députés, seuls d'après Al Bawsala, 130 au maximum répondent présent. Si l'existence des partis politiques est une nécessité pour le pays, il est temps de les soumettre à un puissant renouvellement, en contrôlant leur financement. Leur multiplication est un danger mortifère pour une démocratie naissante comme la nôtre. Et encore...un pouvoir législatif qui ne trouve pas sa voie. Il est vrai que le politique est subjugué par les vociférations de certains minoritaires aux ambitions effrénées qui crient haut et fort qu'ils sont au service du peuple, alors que leurs déclarations de patrimoine sont encore aux abonnés absents. Un ministre conseiller du Premier ministre celui-là, économiste d'Ennahdha, nous embaume le cœur. Il gratifie les auditeurs d'une station radio privée par une déclaration tonitruante: «Tous les membres du gouvernement étaient détendus et satisfaits d'appartenir à ce gouvernement d'union nationale dont la lutte contre la corruption est la priorité ». Quelle communication et quelle insouciance lorsque dans le pays...une poignée de responsables s'offrent des salaires mirobolants (voir la liste des plus gros salaires parue dans certains médias), une économie parallèle prospère, une confusion des rôles entre le représentant de la justice et l'IVD à propos de la restitution des avoirs gelés et des ministres dont on ne connaît ni la fonction ni le nombre, ne font que multiplier les couacs et les turpitudes dont jubilent les médias. Vu la situation économique du pays, on ne peut les considérer que comme indécents. Les détenteurs de fortune devraient donner l'exemple de leur solidarité. Nul besoin de déballage, les dirigeants de la Banque centrale doivent en assumer le contrôle, s'ils en étaient absous ! Qu'on arrête de crier sur tous les toits que nous avons une constitution parfaite, au-dessus de tout soupçon? Qu'on exige sa révision afin de combler ses lacunes et l'adapter à son temps ? Qu'on arrête un moment de légiférer et de créer des commissions, notre arsenal est amplement suffisant ? Faut-il juste en terminer avec la mise en orbite des institutions prévues dans la constitution ? Les causes du blocage de notre pays sont-elles dues à l'abaissement de la classe politique ou à l'inadaptation des institutions ? Des questions et d'autres auxquelles seul le pouvoir est à même de répondre pour qu'il ne nous prépare pas encore des lendemains qui déchantent. En effet, « ceux qui exercent le pouvoir sont tenus de rendre des comptes quelles que soient leurs qualités » (dixit Béji Caïd Essebsi avec Arlette Chabot) ! *(Docteur d'Etat en sciences économiques, diplômé de l'Institut national de la défense)