C'est dans quelques semaines, en octobre, que Youssef Chahed publiera le dernier opus de sa trilogie des mémoires d'un immigré. Dans cet entretien, La Presse revient sur cette expérience singulière et recueille les confidences de l'auteur sur ses ‘'secrets'' d'écriture ; en somme, des conseils pour les jeunes écrivains qui viennent de se lancer. Ces ‘'Derniers feuillets'', qui marquent la fin de la trilogie des mémoires d'un immigré, marquent-ils le début d'autre chose ? Non, ils ne marquent pas le début d'autre chose. Ils sont la fin d'un épisode de ma vie, mais celle-ci continue et il se pourrait que je me dirigerais vers une nouvelle orientation. Nous avons su par ouï-dire que vous comptiez agrémenter ce volume de morceaux musicaux originaux, avant d'abandonner l'idée. Pourquoi ? Au départ, j'ai voulu montrer le côté méconnu de l'écrivain ; celui du poète et du musicien. Ce que j'étais avant d'être écrivain, puisque j'ai déjà écrit des chansons que je n'ai jamais publiées. J'ai alors profité de ce livre pour partager avec les lecteurs ce petit trésor qui est le mien. Depuis ma jeunesse, pour ne pas dire ma plus tendre enfance, j'ai toujours eu un penchant pour la musique et les petits poèmes. L'écriture littéraire n'a jamais été dans mes intentions, je penchais plus vers la musique et les petites pièces théâtrales, mais envahi de lassitude, faute d'auditoire à mes chansons, j'ai été poussé à écrire mon premier livre qui n'a jamais été destiné à l'édition, mais uniquement à mes petits-enfants et ma descendance. Idem pour le second, il n'a jamais été question de l'écrire. C'est le hasard qui a fait que je sois devant l'écran en train de tapoter des textes qui ont donné le second ouvrage. Le style de mes chansons et le thème ne répondaient pas aux exigences du marché et à la demande des auditeurs qui, de nos jours, ont une oreille différente de la nôtre. Nous vivons aujourd'hui ce que l'on appelle la ‘'chanson sandwich'' que l'on écoute une semaine et qui disparaît comme si elle n'avait jamais existé. Les miennes ont la couleur et le ton des années ‘60-'70, voire ‘80, et les poèmes sont parfois difficiles à absorber, sans compter qu'ils sont destinés à une personne bien précise ; à laquelle le dernier ouvrage est destiné. Votre éditeur est-il sur la même longueur d'onde que vous ? Heureusement pour moi, oui. J'ai rencontré une personne qui aime la littérature en général et s'intéresse à tous genres d'écriture. Cet éditeur, si on peut dire, est tombé amoureux du premier livre ‘'Feuillets d'enfance'' et m'a proposé sans hésitation la publication du manuscrit que je lui ai donné. Ce qui fut une grande joie pour moi car je me suis trouvé sur la route empruntée par les écrivains avec un nouvel horizon et un espoir de réalisation d'une partie de mes vœux. Que conseilleriez-vous à un jeune écrivain qui écrirait son premier roman, en matière de relation avec l'éditeur ? Tout d'abord, il faut trouver cet éditeur, car de nos jours, le livre souffre d'un mal horrible ; celui du délaissement pur et simple. C'est malheureux de constater que les gens ne lisent pas beaucoup, pour ne pas dire pas du tout. Du coup, les éditeurs n'osent plus prendre de risques et financer une publication qui resterait un tas de livres dans leur dépôt. Bien sûr, je conseille à toute personne qui aimerait se faire éditer de mettre la main dans la poche et de financer au moins une partie de son livre car cela donnerait du courage à l'éditeur et amenuiserait ses risques. Il ne faut jamais penser qu'en publiant un livre on deviendra riche, il ne faut écrire que pour l'amour de l'écriture et de la littérature. Encore pour notre jeune écrivain, avez-vous une technique personnelle pour garder l'inspiration ? J'imagine que toute personne a sa méthode et son style d'écriture. On peut partir d'une simple idée ou d'un quelconque brouillon pour développer ses idées. On peut partir d'une histoire qui semble banale mais une fois passée par l'écriture, elle pourrait donner quelque chose d'extraordinaire. Ma propre histoire n'est pas unique et on ne peut pas la prendre forcément pour exemple, mais comme toutes les ménagères qui se mettent devant leurs fourneaux en mettant dans la marmite les mêmes ingrédients elles ne peuvent pas donner toutes le même plat en goût et en saveur. Certains plats peuvent être ratés et d'autres réussis. Les ingrédients, ce sont les vocables et la cuisson c'est l'écriture, avec le temps imparti qu'il faut respecter. Il y a des cuissons rapides et d'autres lentes comme notre ‘'mloukhia'' qui prend des heures et des heures. Conseilleriez-vous un rythme particulier d'écriture ou une simple obéissance à la pure inspiration ? L'inspiration est la base de tout, cependant une fois le premier jet rédigé, il vaut mieux continuer car le fil des idées ne doit pas être rompu, même si la fatigue prend le dessus. Quand on est plongé dans l'écriture, on oublie la fatigue, on oublie l'heure et le temps, on ne peut qu'être satisfait même après une nuit blanche quand on a noirci plusieurs pages. Avez-vous un secret qui vous permet d'écrire sans vous tarir? Franchement non, il n'y a pas de secret. J'écris en premier pour mon propre plaisir, je ne veux montrer à personne que je suis capable d'écrire, tout en tentant de convaincre mon propre personnage de ma capacité à construire quelque chose d'intéressant et d'utile. Le mot de la fin... Nul n'est maître de son vouloir-être !