Désormais, à l'Ugtt, c'est bien le bureau exécutif qui décide de la légalité d'une grève sectorielle et de la légitimité des revendications exprimées. L'époque où les syndicats généraux faisaient la pluie et le beau temps est révolue. A partir d'aujourd'hui, c'est la discipline qui règnera au sein des secteurs Quand Noureddine Taboubi a été élu en janvier 2016 à la tête de l'Union générale tunisienne du travail (Ugtt), en remplacement de Hassine Abassi, le récipiendaire du Prix Nobel de la paix 2015 aux côtés de Wided Bouchamaoui, Mohamed Mahfoudh et Abdessattar Ben Moussa au nom du Quartet du Dialogue national, la grande question qui se posait était la suivante : le nouveau patron de la place Mohamed-Ali allait-il poursuivre la politique de son prédécesseur, celle de cautionner toutes les décisions que prenaient les différents secteurs syndicaux ? En d'autres termes, les grèves et les mouvements de protestation décidés par les syndicats de l'enseignement primaire et secondaire et de la santé ou du transport allaient-ils être soutenus automatiquement par le nouveau bureau exécutif de l'Ugtt issu du 21e congrès national de fin janvier 2016 ? Une autre question : Noureddine Taboubi, l'homme des compromis au sein du bureau exécutif de l'Ugtt, avait-il une touche spéciale qu'il allait imprimer à l'action syndicale à un moment où beaucoup d'observateurs considèrent que le syndicalisme excessif et les revendications exagérées ne sont plus productifs dans la mesure où le corporatisme exagéré a sérieusement décrédibilisé l'image de marque de plusieurs secteurs auprès de l'opinion publique, plus particulièrement le secteur de l'éducation où Lassaâd Yacoubi et Mastouri Gamoudi ont réussi, par leurs positions souvent extrémistes, à faire en sorte que leurs revendications, même les plus populaires et légitimes, perdent de leur crédibilité ? L'autonomisation des secteurs est à revoir Enfin, les Tunisiens vont être édifiés sur la manière avec laquelle Noureddine Taboubi va se comporter avec ses bases et ses cadres syndicaux connus pour leur liberté d'initiative et leur tendance à faire avaliser les décisions de leurs secteurs à tout prix. En effet, la direction centrale de l'Ugtt a opposé un non tonitruant aux syndicalistes du secteur des finances qui ont décidé l'observation d'une grève de dix jours sur deux semaines à raison de cinq jours pour la semaine en cours et de cinq autres jours pour le compte de la prochaine semaine. Ce qui revient à dire deux semaines entières (en décomptant les samedis et dimanches) sans que les caisses de l'Etat n'enregistrent de rentrées d'argent. Noureddine Taboubi et ses lieutenants ont eu le courage et l'audace de dénoncer cette grève qu'ils considèrent comme illégale parce que «les revendications qu'elles visent à satisfaire ne servent en rien les intérêts des travailleurs du secteur». Et cette fois, ce n'est pas le bureau exécutif de l'Ugtt qui stigmatise à lui seul la grève, c'est aussi la Fédération générale du plan et des finances relevant de l'Ugtt qui appelle les syndicalistes à la vigilance et à éviter de tomber dans le piège de ceux qui cherchent à semer la zizanie dans les milieux syndicalistes. Et la décision de sanctionner les fauteurs de troubles et les semeurs de confusion de tomber puisque 12 parmi les responsables de cette grève sauvage ont été suspendus de toute activité syndicale par la commission nationale chargée du règlement intérieur de l'Ugtt «pour dépassement des décisions des structures syndicales aux échelles centrale, sectorielle et régionale et participation illégitime à la grève des agents des finances». Plus encore, la direction centrale de l'Ugtt a fait savoir dans un communiqué officiel qu'elle ne s'opposera pas à ce que le ministère des Finances prélève la totalité des jours chômés sur les salaires des grévistes (avec la mauvaise surprise pour les grévistes de découvrir à l'heure du décompte que leurs salaires manqueront fin décembre 14 jours et non 10 jours puisque les deux samedis et les deux dimanches de la 1ère quinzaine du mois seront considérés comme des jours de travail). La décision de l'Ugtt constitue une première depuis l'avènement de la révolution dans la mesure où jusqu'ici ni le bureau exécutif de Abdessalem Jerad ni celui de Hassine Abbassi n'ont osé s'opposer publiquement à une décision prise par une fédération syndicale ou même par un groupe de syndicalistes, fussent-ils minoritaires au sein d'un secteur quelconque. Jusqu'ici, à la place Mohamed-Ali, quand un mouvement de protestation sociale échappait au contrôle du bureau exécutif ou quand la situation n'était plus entre les mains de l'Union régionale, voire locale, du travail, on développait un discours qui ménage, d'une part, les protestataires «qui usent de leur droit légitime à exiger leur droit au développement» et, d'autre part, les autorités centrales et régionales en leur proposant le concours des syndicalistes dans l'objectif de parvenir aux solutions consensuelles comme celles d'El-Kamour et de Tataouine. Cette fois, Noureddine Taboubi se range carrément du côté du gouvernement et prend la décision de se mettre à dos tout un secteur, celui du plan et des finances, en disant un niet catégorique à sa revendication principale, laquelle revendication, faut-il le rappeler, vise à doter les agents de recouvrement et des finances d'un statut spécifique (c'est-à-dire de nouvelles primes qui pourraient dépasser leurs salaires). Une dernière question qu'on ne manque pas de se poser : s'agit-il d'un message à multiples signfications que Noureddine Taboubi adresse à d'autres secteurs pour leur faire comprendre que la direction centrale a repris le pouvoir à la place Mohamed-Ali et que l'ère des secteurs indisciplinés et insubordonnés a vécu ?