Par Samira DAMI 30.000 sites archéologiques de différentes époques notamment punique, byzantine, carthaginoise, romaine parsèment l'ensemble du territoire du pays, du Nord jusqu'au Sud en passant par le Centre. Cette richesse patrimoniale et historique, entre sites, monuments et pièces archéologiques est l'une des grandes particularités de notre bonne terre. Or, hélas, seulement 53 sites dont Carthage, Bulla Regia, Thuburbo-Majus, Dougga, Sbeïtla, Oudhna, Utique et autres sont entretenus et exploités. Le reste de ce riche et précieux patrimoine se retrouve, faute de moyens et de ressources financières, quasiment inexploité, voire à l'abandon. Exposé, ainsi, à toutes sortes d'actes de violations, entre pillages, vols, vandalisme gratuit, détérioration et destruction par le méfait de certains particuliers cupides ou celui de réseaux de trafiquants de pièces archéologiques. La dernière affaire de trafic en date a été empêchée, in extremis, par la police qui a réussi à arrêter à Sousse, le chef d'un réseau international en possession de 4 kg de pièces archéologiques qui s'apprêtait à les vendre à un trafiquant étranger. Ce genre de trafic, on le sait, est légion puisque l'INP (Institut national du patrimoine) estime que «5 à 6 fouilles sauvages sont entreprises, chaque jour, par des trafiquants de pièces archéologiques, et ce, dans l'ensemble du pays». Avant le 14 janvier 2011, ce trafic, pour le moins, abject et honteux, en fait un crime à l'encontre du pays, de son histoire et de la mémoire de son peuple, était perpétré par les familles proches de l'ancien régime. Et c'est ainsi que des centaines de stèles, mosaïques, sculptures, bijoux, manuscrits, céramiques et autres trésors ont disparu pillés, volés et écoulés illicitement à l'étranger. Mais depuis 2011 et alors qu'on croyait ce genre de trafic à jamais révolu, il s'est avéré, au contraire, qu'il a prodigieusement et dangereusement proliféré. Puisque entre, seulement 2012 et 2013, 215 actes de vol de pièces archéologiques ont été commis sur tout le territoire. Et ce fléau continue de plus belle avec l'implication, par ailleurs, de réseaux terroristes dans ce trafic pour s'assurer des financements. Outre le vol et la spoliation qu'ils subissent, ces sites et monuments sont confrontés à la détérioration, voire à la destruction. Ainsi, depuis 2011, 57 sites archéologiques ont été complètement détruits telle la «destruction des vestiges et des bains romains de Salakta pour construire en lieu et place une corniche», selon Sami Ben Slama, activiste et coordinateur général de l'organisation 23/10. D'autres sites et monuments, ayant eu la chance d'échapper à la destruction, souffrent de l'état de détérioration et de désolation dans lequel ils se trouvent. Certes, on pourrait comprendre que, faute de moyens financiers et de surveillance, des milliers de sites situés dans des zones non urbaines, loin des agglomérations, peuvent être confrontés aux fouilles sauvages, aux pillages et à la destruction. Spectacles désolants Mais quand certains sites, monuments et ouvrages historique situés en pleine capitale et zone urbaine se trouvent dans un état de délabrement lamentable, cela dépasse l'entendement. Et on ne peut que s'insurger contre tant de laxisme. Et les exemples de laisser-faire et laisser-aller sont incarnés par l'état dans lequel se trouve une partie des «hnaya» ou aqueducs dans certains endroits du Bardo. Il y a quelques jours, une photo a fait le tour des réseaux sociaux provoquant la colère et l'amertume les internautes. Car on y découvre que ces adductions hafsides branchées sur celles romaines de Zaghouan, ont été transformées en véritable dépotoir d'ordures, de gravats et de canettes de bières. Le spectacle est mortifère et désolant car on remarque que ces vestiges en mal de restauration et de conservation, noircis par la pollution, ont été spoliés d'une bonne partie de leurs pierres volées par des pilleurs voraces et inconscients. L'état de ces adductions, témoins du génie de nos ancêtres, est d'autant plus stupéfiant et inadmissible que ce complexe hydraulique historique de Zaghouan, dont la construction a été ordonnée par l'empereur Hadrien en 122, afin de conduire l'eau depuis cette région jusqu'à Carthage, ainsi que ces ramifications, est proposé, depuis 2012, par la Tunisie dans la liste des sites exceptionnels auprès de l'Unesco afin qu'il soit classé au patrimoine mondial. Que faire, donc, pour sauvegarder cet inestimable et précieux patrimoine en tous genres ? N'est-il pas temps d'unir tous les efforts dans le but de le restaurer, le conserver et le préserver ? Il s'agit avant tout d'impliquer le plus grand nombre de parties concernées directement ou indirectement. Car, outre le ministère des Affaires culturelles et l'INP qui ont pour tâche de financer et d'entreprendre les fouilles, la restauration et la conservation, il serait judicieux et profitable d'impliquer les ministères de l'Education et de l'Enseignement supérieur dont le rôle est d'éduquer en suscitant l'intérêt et l'amour des élèves et des étudiants pour leur patrimoine en les incitant à visiter les innombrables sites et musées. Ce qui contribuerait à augmenter les sources de financement pour le patrimoine. De son côté, le ministère du Tourisme devrait encourager les hôteliers et les agences de voyages à renforcer davantage comme c'est le cas à l'étranger, la visite de sites, dans les circuits touristiques. Autres parties à impliquer : les entreprises privées, les mécènes, les associations, les fondations, la société civile, etc. Mieux, la mobilisation de la population dans le but de contribuer financièrement à la restauration de monuments et à la préservation de sites de leurs régions n'est pas non plus à négliger. Puisque, ailleurs, en France par exemple, des dons d'habitants ont permis la restauration d'un patrimoine de proximité. C'est là «le mécénat populaire». Maintenant, l'important est d'entamer une action concertée et planifiée, selon une stratégie claire, pour la sauvegarde de notre patrimoine car il s'agit de notre histoire, mémoire, identité et surtout de notre image au passé, au présent et au futur.