Plusieurs défaillances touchent le secteur agricole, dont la baisse de la productivité et la pénurie d'eau. Celui-ci souffre également des difficultés liées aux circuits de distribution, à la contrebande, au gaspillage et aux pathologies. L'Ites vient de tirer la sonnette d'alarme sur les innombrables défaillances techniques et organisationnelles compliquées par le stress hydrique et auxquelles le secteur agricole doit faire face d'urgence pour pouvoir améliorer les indices de sécurité alimentaire qui périclitent en Tunisie depuis des années. «Les importations alimentaires tunisiennes sont essentiellement dominées par les céréales (43%), les huiles alimentaires et le sucre. Notre pays souffre de l'aggravation de sa dépendance céréalière. Nos importations alimentaires gonflent sans cesse pour s'établir actuellement à 9,2% du total des importations du pays», atteste Karim Ben Kahla, expert de l'Institut tunisien des études stratégiques (Ites), lors de la présentation de l'étude stratégique sur «La sécurité alimentaire et nutritionnelle en Tunisie», réalisée par l'Ites en collaboration avec le Programme alimentaire mondial (PAM). Stockage, productivité, circuits de distribution... C'est le premier constat d'une situation compliquée marquée par le fait que l'agriculture contribue à hauteur de 8% dans le PIB de la Tunisie, alors que le pays importe près de 50% de ses besoins en céréales, 25% de fourrage de bétail et 100% de fourrage de volaille. Une accumulation de défaillances techniques et organisationnelles qui touche notamment les terres agricoles, selon M. Ben Kahla, affirmant que 350 mille ha de terres agricoles sont aujourd'hui inexploités pour des raisons juridiques alors que 100 mille ha sont des biens de main-morte, et 65 mille ha de terres domaniales occupés illégalement par des particuliers. Ce n'est, pour l'expert, que la partie apparente de l'iceberg, car une foule de défaillances s'est emparée de notre agriculture depuis des années, comme la capacité de stockage de produits agricoles, la baisse de la productivité, la pénurie d'eau, les difficultés liées aux circuits de distribution, la contrebande, le gaspillage, les pathologies qui attaquent certaines cultures... Dans le même esprit critique, le président de l'Ites, Néji Jalloul, a également rappelé que le secteur agricole est très largement désavantagé par le faible taux de mécanisation, le morcellement des terres, l'étendue des terres domaniales... alors que l'agriculture tunisienne possède un énorme potentiel qui ne demande qu'à émerger. Attention au gaspillage et à l'eau ! Ce n'est pas la première fois que ce dossier est remis sur la table, soit par des experts tunisiens, soit par des consultants étrangers. Parmi ces derniers, le World Resources Institute (WRI) a classé la Tunisie en juin dernier au 33e rang quant au risque imminent de pénurie d'eau d'ici à 2040 avec risque de perdre plus de 80% de ses ressources d'eau non renouvelables. Selon le WRI, notre pays fait face à plusieurs problèmes, dont la dégradation de la qualité et de la fertilité des sols et de la terre, la sensibilité à l'érosion et la désertification (risque de perdre 50% des surfaces cultivables d'ici à 2050), le morcellement des propriétés et l'augmentation du ratio de dépendance aux importations des céréales (environ 60%). M. Jalloul a également dénoncé le gaspillage alimentaire qui représente une menace réelle pour la sécurité alimentaire de la Tunisie, avec 16% du pain jeté au rebut, 10% des produits à base de céréales, 6,5% de légumes, 4% de fruits, 2,3% du lait et de ses dérivés et 2% de viandes. C'est dans le même effort de compréhension du dossier de la sécurité alimentaire que l'Ites, en collaboration avec le PAM, a présenté, en mai dernier, les résultats d'une étude sur le stress hydrique que vit la Tunisie, dont le ratio d'environ 410 m3/h par an est bien en deçà des standards internationaux qui placent à 1.700 m3 par personne et par an le niveau minimal pour éviter tout risque de stress hydrique. La FAO va plus loin en assurant qu'un pays où le ratio d'eau est inférieur à 500 m3/habitant est un pays souffrant de pénurie d'eau absolue alors que pour franchir le seuil de vulnérabilité, il faut 2.500 m3/an/habitant. Recommandations L'étude stratégique sur «La sécurité alimentaire et nutritionnelle en Tunisie» a donné lieu à de nombreuses recommandations évidentes, dont développer la conscience nationale sur la sécurité alimentaire, mettre en place une nouvelle stratégie ad hoc, instituer un conseil national et des conseils locaux en la matière et créer un indicateur national de sécurité alimentaire. Nous y ajoutons les recommandations du World Resources Institute (WRI) qui a émis également d'autres recommandations, dont la mise en place d'une stratégie nationale multisectorielle pour une alimentation saine, la réalisation de spots publicitaires pour sensibiliser aux questions de l'alimentation et du gaspillage, et refondre le système de vulgarisation agricole, le développement de l'entrepreneuriat agricole et l'encouragement de l'innovation. WRI recommande également de miser sur la formation d'une main-d'œuvre agricole spécialisée, de valoriser les techniques ancestrales et les ressources en eau et en sol, et d'intensifier les systèmes de production.