La situation économique et sociale est particulièrement critique. Un peu partout, les indices et les clignotants virent au rouge. Eprouvée, saignée à blanc, l'économie s'engouffre et les finances sombrent. Les conséquences sociales sont désastreuses et le système politique est brouillé par les luttes de clans et de coteries C'est partout le même topo, le même déjà-vu, dans le registre de l'exclusion. Et pas seulement dans les grandes villes tentaculaires et miséreuses. Une série de visites de l'arrière-pays m'ont, encore une fois, administré la preuve par l'absurde que la Tunisie profonde va encore de mal en pis. Elle fait du surplace, régresse, s'impatiente. Les gens n'en peuvent plus. L'atmosphère est morose. On y mène sa vie à la peine, dans un environnement social saturé de préventions, d'amertume. Et prêt à s'embraser au moindre prétexte. Pourtant, nos hauts responsables politiques et gouvernementaux semblent s'en préoccuper comme du dernier de leurs soucis. Ils s'escriment le plus clair du temps dans des querelles de chapelle, le plus souvent fratricides, autour des dignités, des fauteuils et des portions de pouvoir. Témoin, la frénésie qui s'est emparée ces derniers jours des réseaux sociaux et de la blogosphère autour des différends présumés entre le chef du gouvernement et le ministre de l'Intérieur. En cause, des nominations, limogeages et démissions plus ou moins obligées parmi les hauts cadres du ministère de l'Intérieur. Que Facebook et les blogs s'emparent de la question, focalisent et s'alignent derrière des prises de position et autres partis pris, passe encore. Cela ressemble par moments à une auberge espagnole, voire une salle des pas perdus. Mais que des sphères gouvernementales, et des plus illustres côté rang et grade, s'y investissent elles aussi, cela frise franchement le ridicule. Ainsi a-t-on eu droit à des fuites de sources gouvernementales dites autorisées, mais parlant sous le sceau de l'anonymat, s'impliquant dans les accusations et contre-accusations ambiantes. Pire, l'une des publications nie carrément des informations parues sur Facebook faisant état de la rencontre du chef du gouvernement avec quelque dirigeant d'un parti de la place. Considérée sous cet angle, la communication semble piétiner. Elle évolue au ras du sol. Les dernières sorties médiatiques du chef du gouvernement n'ont pas été particulièrement brillantes. Pis, elles ont été contre-productives et ont alimenté les commentaires et remarques les plus inattendus, outre les rumeurs et racontars les plus farfelus parfois. Un cas d'école, véritable manuel de ce qu'il ne faut pas faire. Entre-temps, dans le bassin minier à Gafsa, à Tataouine et dans bien d'autres régions et secteurs, la communication appropriée à l'état de crise fait défaut. Cela aiguise les frustrations, exacerbe le sentiment de stigmatisation et de rejet et alimente la levée de boucliers. Ce dont on a besoin aujourd'hui, ce sont d'abord des choix économiques et sociaux clairs et porteurs d'espoir. Cela présuppose et requiert une réceptivité à l'environnement sociopolitique exacerbé et des messages d'espoir, des signaux forts. Cela nécessite, pour tout l'establishment, des décodeurs, une grille de lecture de la réalité qui passe outre les filtres et prismes déformants des clans, chapelles et coteries. A situation de crise, communication de crise, bien évidemment. N'empêche. Tout projet politique a besoin de convaincre et de persuader. Les registres de la raison, de l'affectivité et de l'émotion doivent être ciblés, mis à profit. Mais, pour communiquer, encore faut-il avoir un contenu, le message étant à la fois teneur et véhicule, et devant renvoyer aux préoccupations du commun des citoyens. Cela s'inscrit d'ailleurs au cœur du processus de légitimation, attribut de tout pouvoir qui se respecte. C'est dire que le gouvernement a du pain sur la planche à ce propos. Ses défauts d'exécution procèdent d'une carence terrible au niveau de la vision, du projet. Cela plombe la concrétisation de ses généreuses et fréquentes déclarations d'intention, qui demeurent somme toute lettre morte. Et, ce faisant, elles se soldent par l'effet boule de neige de la crise de confiance de plus en plus diffuse à large échelle. Ici comme ailleurs, il faut faire autour de soi assez de silence pour écouter les inquiétudes sourdes. Et, en politique, tout système de veille est brouillé par les luttes de clans et de coteries, que fondent les ambitions et prétentions individuelles démesurées et, somme toute, réductrices et destructrices.