Il y avait de la force et de la poésie à travers des mouvements de marche en groupe et des sauts aux équilibres précaires. Il y avait de la colère marquée sur les visages parfois encore de la tristesse et la peur. La danse a ses Journées. C'est officiel ! L'ouverture des Journées chorégraphiques de Carthage a eu lieu mardi à la Cité de la Culture. La naissance de «Carthage Dance» est fortement attendue par les danseurs et les chorégraphes tunisiens qui ont toujours déploré l'indifférence des autorités à l'endroit d'un art majeur, la danse. C'est fait. A la salle de l'opéra de la Cité de la culture, Meriem Gellouz a fortement salué l'événement annonçant la primeur donnée aux rencontres Sud-Sud, en faisant la part belle aux chorégraphes tunisiens. La présidente des Journées a fait valoir l'engagement du festival à prôner les valeurs fondamentales, s'ériger contre les exclusions et pour la reconnaissance du corps en tant qu'expression de liberté. Le festival qui s'inscrit sous le slogan «Il n'y a pas de corps dansant sans dignité corporelle» comprend pas moins de 40 spectacles, des ateliers, des conférences et des projections de films. C'est dire que cette manifestation inaugurale qui se tient du 26 juin au 1er juillet s'est voulue à la hauteur des attentes de la profession, d'abord, et du public, ensuite. La danse des ghettos En présence du ministre de la Culture et de quelques officiels, le spectacle d'ouverture est présenté par la compagnie sud-africaine «Via Katlehong». Huit danseurs interprètes ont présenté durant près d'une heure et demie la pièce «Via Kanana» signée par le chorégraphe Gregory Maqoma. Né à Johannesburg, reconnu à l'échelle internationale, Maqoma est lauréat de plusieurs prix internationaux. Il a chorégraphié entre autres le concert d'ouverture de la Coupe du monde de foot en 2010, dans son pays, en Afrique du Sud. La troupe a présenté devant un public tunisien curieux des tableaux de danse et musique rythmée qui développent une thématique annoncée d'entrée de jeu sur le double écran géant du fond : la corruption. Sur l'avant-scène carrément vide, épuré, si l'on veut, se déploient les danseurs pour danser le «pantsula». Une danse lancée par les ghettos de Johannesburg se caractérisant par les mouvements de groupe, les contorsions énergiques, les frappes des pieds, le claquement des mains et les tournoiements des hanches. Les vidéos et les images projetées ont fait office d'écrin. Les silhouettes des danseurs s'y projettent, s'y incrustent et se dupliquent pourvoyant de profondeur la scène et d'une trame dramaturgique au spectacle. Théâtre dansé A travers une belle communication entre eux, les danseurs accomplissaient des mouvements acrobatiques en tapant des pieds rappelant à la fois la danse des claquettes ainsi que les danses populaires pratiquées pour se divertir et surtout dénoncer. La dénonciation de la corruption comme annoncé au début se fait claire mais la pauvreté et l'exclusion également. L'espace scénique s'est voulu, d'abord et avant tout, un lieu de dissidence politique. Dommage, quelques tableaux ont été parfois longs et répétitifs. La barrière de la langue a été un handicap majeur pour une œuvre qui se revendique, d'abord, du théâtre dansé. Les danseurs interprétaient des personnages qui parlaient et chantaient en racontant un récit. Ne comprenant pas la langue de la pièce qui aurait gagné à être sous-titrée, le public s'est concentré sur les mouvements des corps. Il y avait de la force et de la poésie à travers des mouvements de marche toujours en groupe et des sauts aux équilibres précaires. Il y avait de la colère marquée sur les visages, parfois encore de la tristesse et la peur. Il y avait de la beauté, de la théâtralité et une performance physique, sportive même, des corps dansants qui se sont unis, séparés, enchevêtrés pour porter des messages, défendre des idées, dénoncer des travers et des conditions de vie difficiles. Le train bondé projeté sur écran présente une scène de la vie quotidienne et désormais contestée. Du début jusqu'à la fin, des émotions fortes sont scénarisées à travers des prouesses physiques époustouflantes et par des danseurs qui ne se sont accordé aucun répit. Le public tunisien a fortement apprécié et l'a fait savoir.