Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.
«La consommation des Tunisiens a continué à croître à un rythme important» Trois questions à M.Tarek Ben Jazia, directeur général de l'Institut national de la consommation (INC)
En dépit du trend haussier de l'indice des prix à la consommation familiale, la baisse du pouvoir d'achat, le Tunisien se montre peu enclin à changer de comportement en termes de besoins, comment expliquez-vous ce constat et quelles sont les solutions à préconiser selon vous ? Il est évident que l'indice des prix à la consommation a connu une hausse importante durant les derniers mois, et dont les causes sont connues par tout le monde (dépréciation du dinar tunisien, hausse des coûts de production, manque de pluviométrie pour le secteur agricole, baisse de la productivité du travail, baisse de l'offre pour certains produits, problèmes au niveau des circuits de distribution, et des changements au niveau des modes de consommation qui n'ont pas été suivis par une offre adaptée...). Cette hausse a un impact certain sur le pouvoir d'achat des Tunisiens, notamment la classe moyenne qui a enregistré une baisse considérable en passant de plus de 80% de la population en 2010 à 67% en 2015. Faut-il à ce niveau relativiser en indiquant que le plus inquiétant dans l'inflation n'est pas le niveau atteint, mais surtout la tendance haussière, qui a enregistré heureusement une légère accalmie durant le mois de mai et s'est stabilisée à 7,7%. Malgré cette situation, la consommation des Tunisiens a continué à croître selon un rythme important, variant entre 8 et 9% aux prix courant durant les dernières années, dépassant même le niveau de la croissance économique. Cette consommation, faut-il l'avouer, a contribué d'une manière positive à la croissance du PIB. En effet, la consommation privée contribue à plus de 70% au PIB, dépassant de loin les autres vecteurs de croissance qui sont l'investissement et l'exportation. Il est aussi important de signaler que la propension marginale à consommer (qui traduit l'affectation d'un dinar de plus pour un Tunisien) des Tunisiens a enregistré une hausse considérable passant de 0,80 à 0,96. En termes simples, si en donne un dinar en plus pour un Tunisien, il va affecter presque la totalité à la consommation. Mais la question qui se pose est la suivante : ce rythme de consommation est boosté par quels facteurs ? La réponse à cette question est multiple et revêt plusieurs facettes économiques, sociologiques, psychologiques, environnement économique, changements dans les modes de consommation. Sur le plan économique : l'endettement des ménages tunisiens a enregistré une hausse importante depuis 2010, avec une croissance de 110% dans l'encours des crédits octroyés par les banques aux particuliers. Cet encours est passé de 10,7 milliards de dinars en décembre 2010, à 22,8 milliards de dinars au mois de mars 2018. Le taux d'endettement des ménages qui représente le rapport entre le revenu disponible des ménages et l'encours des crédits est passé de 19,5% en 2008 à 29,6% en 2016. Faut-il préciser que même ces chiffres de l'endettement ne traduisent pas la réalité, puisque les ménages ont d'autres sources d'endettement qui sont les achats par facilités, les crédits auprès des épiciers, auprès des caisses sociales ou fonds sociaux des entreprises, et d'autres sources de crédits parallèles. Sur un autre plan, le niveau d'épargne des ménages tunisiens a enregistré une baisse considérable durant les dernières années, passant de 11,4% en 2012 à 6,1% en 2016. Il faut signaler au passage que les augmentations salariales dans la fonction publique ont, eux aussi, contribué à la tendance haussière de la consommation des Tunisiens. En effet, selon l'Institut tunisien de la compétitivité et des études quantitatives, le pouvoir d'achat des salaires dans la fonction publique a enregistré une augmentation positive durant les dernières années de plus de 2%. Sur le plan de l'environnement économique : la consommation des Tunisiens est aussi boostée par une nette évolution de l'urbanisme commercial et la généralisation des grandes surfaces. En effet, selon une étude réalisée par l'INC, l'impact de la modernisation du commerce sur le niveau de dépense des Tunisiens est de 20% en moyenne. Ces espaces commerciaux, qui ouvrent chaque mois dans plusieurs quartiers et villes du pays, incitent à la consommation à travers une offre variée et des promotions alléchantes ; malgré leur importance indéniable dans l'amélioration de la qualité de l'offre et les garanties sanitaires données. La part de la grande distribution dans le commerce est passée de 16% en 2006 à plus de 27% en 2017. Sans oublier, au passage, l'ouverture en Tunisie de plusieurs franchises dans plusieurs secteurs, que l'habillement et la restauration. Même les investissements publicitaires, de leurs côtés, ont enregistré une hausse considérable passant de 150 MD en 2012 à plus de 240 MD en 2017, et tout le monde sait l'impact de ces publicités sur les modes de consommation. Sur le plan sociologique : certaines dépenses des consommateurs tunisiens sont guidées par des considérations sociologiques, telles que l'effet du mimétisme, surtout dans certains milieux familiaux guidés par les traditions. Les traditions et les fêtes tunisiennes, qui n'en finissent pas (Aïd, mouled, mariages, Ramadan...). La concomitance de ces saisons de consommation a eu aussi un impact sur le budget des ménages tunisiens, puisqu'ils sont concentrés dans presque 3 mois (juin, juillet, août). Sur un autre plan sociologique, on doit aussi signaler le fait du développement de la société du «paraître», dans laquelle la consommation n'est pas seulement un moyen pour subvenir à ses besoins, mais aussi un moyen d'appartenance sociale (je consomme telle marque ou tel produit, donc j'appartiens à telle classe sociale). Sur le plan psychologique : la consommation des ménages tunisiens durant les dernières années est devenue une consommation «dépressive», c'est-à-dire qu'on consomme pour dégager un peu le stress et la pression dans laquelle vit le consommateur tunisien. S'ajoute à ce phénomène, la volonté de ne pas se priver, qui est une sensation qui pousse à faire n'importe quoi (endettement, ventes de biens...) afin de subvenir à la tentation d'acheter et de consommer. Au niveau des modes de consommation : durant les dernières années, le mode de consommation des Tunisiens a enregistré des changements importants avec l'apparition de nouveaux besoins et l'augmentation de la part de dépense de certaines rubriques. On cite à ce niveau l'augmentation de la part de «la communication» dans le budget des ménages, la rubrique éducation, habitat... Même sur le plan alimentaire nos dépenses ont largement changé avec une hausse de la consommation des fruits et légumes, des viandes blanches, des œufs, des produits laitiers, contre une stabilisation des dépenses pour les viandes rouges, et une baisse pour les produits céréaliers. Tous ces éléments et facteurs ont largement contribué à expliquer cette consommation. Quelles sont les statistiques et constatations en termes de consommation durant le dernier mois de Ramadan ? Durant le mois de Ramadan, les dépenses alimentaires des ménages tunisiens augmentent de 29% par rapport à un mois normal. Cette hausse est expliquée par des habitudes de consommation liées à ce mois saint. En contrepartie, le gaspillage alimentaire augmente, puisque chaque ménage jette en moyenne 1/3 des plats préparés à la poubelle, qui est un véritable gâchis. Le gaspillage alimentaire en général au niveau des ménages tunisiens représente 5% des dépenses alimentaires. La part de lion dans ce gaspillage revient au pain avec plus de 15,7% du pain acheté est jeté, suivi par les produits céréaliers (couscous, pâtes...) à raison de 10%. Dans quelle mesure l'INC contribue-t-il à la promotion de l'information du consommateur et à l'orientation de son comportement de consommation ? L'INC est avant tout un centre de recherche et d'études. Dans ce cadre, nous avons réalisé plusieurs enquêtes et études, et nous allons prochainement lancer deux autres études importantes relatives à l'endettement des ménages et l'évolution du pouvoir d'achat. Nous réalisons aussi plusieurs séances de formation pour les associations de défense des consommateurs, en collaboration avec notre partenaire l'ODC. Sur le plan de la communication, nous essayons de développer une stratégie de communication active et variée, mais les moyens sont limités à ce niveau. Sur le plan du gaspillage du pain, nous pilotons depuis 2016, une stratégie de réduction du gaspillage de ce produit alimentaire vital, et nous travaillons avec le FAO depuis deux ans sur un projet de développement des chaînes de valeur et la réduction des pertes et gaspillages. Notre créneau au niveau de l'information du consommateur est surtout porté par les essais comparatifs des produits, dont nous sommes fiers d'être le premier centre d'essais en Afrique et dans les pays arabes. A travers les essais comparatifs des produits, nous informons les consommateurs (le dernier en date est celui sur les conserves de Thon et qui a été assisté par des experts allemands), nous incitons à l'amélioration de la qualité, à booster la compétitivité entre les marques et aussi à améliorer la capacité analytique de nos laboratoires.